LesLes mots se veulent à la hauteur de la situation qu’ils décrivent. « J’alerte solennellement sur cette instrumentalisation grave de la justice visant à bâillonner des expressions politiques », a déclaré mardi 23 avril Mathilde Panot, présidente du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale, en annonçant qu’elle était convoquée par « la direction de la police judiciaire » de la préfecture de police de Paris, « pour être entendue dans le cadre d’une enquête pour “apologie du terrorisme” ».
Convoquée en audition libre, Mathilde Panot n’est à ce stade poursuivie pour aucun délit. Mais selon elle, « c’est donc la première fois dans toute l’histoire de la Ve République » qu’un·e dirigeant·e de groupe d’opposition à l’Assemblée « est convoqué·e pour un motif aussi grave », sur, insiste-t-elle, « la base d’accusations fallacieuses ».
Mathilde Panot à une manifestation de soutien au peuple palestinien à Paris, le 13 janvier 2024. © Photo Xose Bouzas / Hans Lucas via AFP
Mathilde Panot précise que cette convocation « se fonde sur une communication officielle du groupe datant du 7 octobre », à savoir le communiqué du groupe parlementaire LFI publié dans les premières heures de l’attaque du Hamas en Israël. Le texte avait été critiqué, y compris à gauche, parce qu’il évoquait « l’offensive armée de forces palestiniennes menée par le Hamas », « dans un contexte d’intensification de la politique d’occupation israélienne à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ».
« Nous déplorons les morts israéliens et palestiniens. Nos pensées vont à toutes les victimes. L’escalade actuelle risque d’entraîner un cycle de violences infernales », continuait le texte. Le 10 octobre, Mathilde Panot avait aussi refusé de qualifier le Hamas d’organisation terroriste, préférant employant les termes de « branche armée responsable de crimes de guerre ».
« J’appelle tout un chacun à prendre conscience de la mesure des atteintes alarmantes contre la liberté d’opinion et contre la démocratie », alerte Mathilde Panot dans son communiqué. « La police convoque sans état d’âme à tour de bras une liste que l’on dit très longue. Toute la sphère politique et intellectuelle antigénocide est menacée », a déclaré pour sa part Jean-Luc Mélenchon.
De fait, l’annonce de cette convocation est la dernière d’une longue liste de procédures ouvertes pour « apologie du terrorisme », qui semble s’être brusquement allongée en quelques jours. Le 19 avril, Rima Hassan, juriste franco-palestinienne et candidate sur la liste Insoumise aux élections européennes, indiquait avoir été elle aussi convoquée, deux jours après l’annulation d’une conférence qu’elle devait tenir avec Jean-Luc Mélenchon à l’université de Lille (Nord).
Le 20 avril, c’est la militante antiraciste et propalestinienne Sihame Assbague qui faisait une annonce similaire, pour un tweet daté du 7 octobre 2023 où elle désignait un « responsable » de l’attaque du Hamas, « l’État colonial israélien », et où elle appelait à « soutenir la résistance palestinienne ».
Le 8 avril, le syndicaliste cheminot Anasse Kazib, ancien candidat à l’élection présidentielle pour le mouvement trotskiste Révolution permanente avait indiqué être convoqué pour un tweet daté du 7 octobre, où il disait son « soutien au peuple palestinien qui est debout face à cet État sanguinaire qu’est Israël ».
« Ces convocations s’inscrivent dans le cadre de la répression féroce qui touche de nombreux militants politiques, syndicaux ou associatifs depuis sept mois, afin de criminaliser toute solidarité avec le peuple palestinien », a déclaré Anasse Kazib dans un communiqué.
« Cela interroge sur les libertés publiques et la dérive autoritaire du gouvernement », commente pour sa part Thomas Portes, député LFI auprès de Mediapart, s’inquiétant d’« un déploiement de plaintes sur un arc extrêmement large ».
Le NPA visé dès novembre
LFI n’est pas le seul mouvement politique ciblé. Le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) l’a été aussi, dès le mois de novembre, pour un communiqué daté du 7 octobre, apportant son « soutien aux Palestinien·nes et aux moyens de lutte qu’ils et elles ont choisis pour résister », qui se concluait par le mot « Intifada ! ». Le directeur de la publication du site du NPA a été entendu. « Depuis, nous n’avons aucune nouvelle des suites que pourrait donner le parquet », indique le parti.
Des manifestants du NPA, le 9 décembre 2023, à Paris. © Photo Eric Broncard / Hans Lucas via AFP
« Ce n’est pas la première fois que nous sommes confrontés à ce genre de procédure », relativise un de ses membres, en faisant référence à la plainte de Gérald Darmanin lorsque Philippe Poutou avait clamé sur BFMTV en octobre 2021 que « la police tue ». « Nous n’avions pas non plus eu de nouvelles », pointe le militant qui ne voit rien d’autre dans ces procédures qu’un moyen de mettre la pression, sans fondement juridique.
Plusieurs condamnations pour « apologie du terrorisme » ont néanmoins déjà été prononcées. Le 18 avril, le tribunal correctionnel de Lille a condamné à un an de prison avec sursis Jean-Paul Delescaut, le secrétaire général de la CGT du Nord, en sa qualité de responsable de la publication du site du syndicat. Objet du délit : un tract du 10 octobre, affirmant que « les horreurs de l’occupation illégale [d’Israël en Palestine – ndlr] se sont accumulées » et qu’« elles reçoivent les réponses qu’elles ont provoquées ».
Jean-Paul Delescau à Lille, le 18 avril 2024. © Photo Pascal Bonnière / La Voix du Nord via MaxPPP
Le 26 mars, le tribunal de Grenoble a aussi condamné un élu municipal socialiste d’Échirolles (Isère), Mohamed Makni, à 4 mois de prison avec sursis, pour avoir relayé des messages sur les réseaux sociaux évoquant des « actes de résistance » du Hamas. Il a fait appel, mais a été exclu du Parti socialiste, et privé de ses délégations d’adjoint par la mairie d’Échirolles.
Un militant propalestinien a aussi été condamné le 21 février à un an de prison avec sursis pour avoir qualifié, lors d’une manifestation, d’acte « héroïque » et de « résistance » l’attaque du 7 octobre.
Le délit d’« apologie du terrorisme » a, pendant des dizaines d’années, relevé du droit de la presse, obéissant à des règles particulières parce que touchant à la liberté d’expression. Mais il a été intégré au droit commun par la loi Cazeneuve du 13 novembre 2014, faisant passer le nombre de condamnations de moins d’une par an, en moyenne, à plusieurs centaines par an depuis 2015.
Dès le 10 octobre, une circulaire du garde des Sceaux a appelé à « une réponse pénale ferme et rapide » contre les actes antisémites et l’apologie du terrorisme, définie comme « la tenue publique de propos vantant les attaques [du 7 octobre], en les présentant comme une légitime résistance à Israël, ou la diffusion publique de messages incitant à porter un jugement favorable sur le Hamas ou le Djihad islamique, en raison des attaques qu’ils ont organisées ».
Dans un premier temps, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, avait abondamment communiqué pour indiquer qu’il signalait à la justice de nombreux messages publics pour ce motif. C’est notamment lui qui avait signalé le tract du NPA.
385 signalements
Gérald Darmanin n’a pas été le seul à le faire, loin de là. Selon les informations de Mediapart, entre le 7 octobre et le 31 décembre 2023, le pôle national de lutte contre la haine en ligne du parquet de Paris a reçu 385 signalements en lien exclusivement avec le conflit au Proche-Orient. Pour toute l’année 2022, il avait reçu 500 signalements, tous sujets confondus. Ces signalements peuvent être relayés par les autorités, par des particuliers via la plateforme Pharos de lutte contre la haine en ligne ou par des plaintes déposées auprès des procureurs.
Le parquet de Paris a ouvert des enquêtes pour chacune de ces plaintes. Une fois l’auteur des propos identifiés, il a confié 76 dossiers à des parquets locaux, aussi susceptibles d’ouvrir des enquêtes sur la base de signalements reçus directement. Le parquet de Paris a classé sans suite 40 procédures faute d’avoir pu identifier un auteur, et en a seulement classé 6 car les propos n’étaient à ses yeux pas constitutifs d’infraction.
Pour autant, le parquet de Paris a pour l’heure déclenché des poursuites dans seulement 2 cas, dont un pour un simple avertissement pénal probatoire (qui a remplacé le rappel à la loi). Autrement dit, plus de 250 procédures sont donc encore en cours de traitement à Paris, parmi lesquelles toutes celles qui ont été dévoilées ces derniers jours.
« Il faut rappeler qu’une audition par des enquêteurs n’est pas équivalente à une poursuite, insiste un magistrat parisien. Les charges n’ont pas encore été évaluées par le parquet, l’audition est faite pour que la personne à qui il est reproché des propos puisse s’en expliquer. » Ce n’est qu’après avoir clos l’enquête que le parquet décide s’il classe sans suite, s’il confie le dossier à un juge d’instruction, ou s’il demande un procès.
Étudiant·es auditionné·es
Cette précision ne pèse sans doute pas lourd pour les personnes ciblées par une procédure. Notamment dans le milieu universitaire, par exemple les six étudiants de la section Solidaires étudiant-e-s de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), qui ont été entendus ces dernières semaines par l’un des groupes de lutte antiterroriste (Glat, il y en a 18 en France, chargés des enquêtes terroristes « périphériques » – apologie du terrorisme, disparition inquiétante, contentieux des détenus terroristes, etc.), dans le XIVe arrondissement de Paris, toujours pour « apologie du terrorisme ».
Il leur est reproché un texte daté du 8 octobre, où les étudiants affirmaient leur « soutien indéfectible à la lutte du peuple palestinien dans toutes ses modalités et formes de lutte, y compris la lutte armée ». Il avait donné lieu à un signalement de la direction de l’EHESS à la plateforme Pharos.
Manifestation de soutien au peuple palestinien à Nantes, le 4 novembre 2023. © Photo Maylis Rolland / Hans Lucas via AFP
Un signalement encouragé par la ministre de l’enseignement supérieur, Sylvie Retailleau, qui, le 9 octobre, avait adressé un courrier aux présidents d’université et directeurs d’instituts de recherche les enjoignant de signaler aux procureurs toute « apologie du terrorisme » et « incitation à la haine, à la violence et à la discrimination ».
Après des mois sans nouvelles d’une quelconque procédure, les convocations ont commencé à arriver début février. Sonia*, étudiante de 23 ans en master à l’EHESS, a été convoquée par deux fois par le Glat. « Par ces procédures, on cherche à faire taire les militants qui apportent leur soutien à la Palestine, estime la jeune femme. On aimerait que la France mette plutôt son énergie à essayer d’arrêter le génocide en cours à Gaza. »
« Les étudiants sont convoqués en audition libre. Nous n’avons pas accès au dossier. Mais quand vous avez des questions sur les convictions politiques ou religieuses, c’est bien qu’on est dans une forme de police de la pensée et des formes de censure », estime leur avocat, Antoine Comte. Il affirme que « pas un mot du communiqué ne contrevient à ce que dit le droit international ».
Le parquet de Nice (Alpes-Maritimes) a quant à lui ouvert cet automne une enquête visant des propos tenus par certain·es étudiant·es du campus de Menton de Sciences Po Paris, spécialisé dans le Proche-Orient. Dans des boucles WhatsApp de soutien à la Palestine, des étudiants avaient qualifiés les combattants du Hamas de « résistants ». La députée RN des Alpes-Maritimes Alexandra Masson avait fait un signalement au procureur. Selon nos informations, aucun étudiant n’a encore été convoqué par la police dans cette affaire.
Adeline*, elle, a bien été entendue. Cette universitaire a dû s’expliquer pendant deux heures il y a deux semaines, devant les policiers de la section antiterroriste de la PJ de Paris, pour des messages publiés sur les réseaux sociaux au lendemain de l’attaque du 7 octobre. « J’y indiquais pourtant que les tueries de civils et viols perpétrés le 7 octobre ne pouvaient pas se faire au nom de la résistance palestinienne », s’étonne-t-elle. « Les policiers étaient d’ailleurs plutôt furieux d’avoir à gérer ce genre de plainte », assure-t-elle.
Des associations très actives
Ce qui hérisse le plus Adeline est peut-être l’origine de cette histoire. « L’association qui a déposé plainte, l’Organisation juive d’Europe (OJE), dit sur son site internet lutter contre l’antisémitisme, l’antisionisme et la campagne BDS [action militante appelant au Boycott, au désinvestissement et à des sanctions contre Israël – ndlr]. La première cause est un délit, c’est donc normal. Mais les deux autres ne sont pas répréhensibles », analyse-t-elle.
L’OJE revendique en effet avoir lancé de nombreuses plaintes « depuis le 9 octobre », notamment contre Mathilde Panot et Rima Hassan, et se réjouit publiquement des procédures déclenchées – sans qu’il soit encore possible de lier formellement ces plaintes et les convocations en cours, le parquet de Paris refusant de s’exprimer.
L’organisation était également partie civile dans la procédure visant le responsable CGT Jean-Paul Delescaut. Elle avait aussi porté plainte contre l’humoriste Guillaume Meurice, qui avait comparé le 29 octobre sur France Inter le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou à une « sorte de nazi mais sans prépuce ». La procédure a été classée sans suite.
Au moins une autre association, la toute récente Jeunesse française juive (JFJ), s’est activée ces derniers temps pour faire de même. Dans un tweet en janvier, elle annonçait 41 plaintes pour des propos tenus depuis le 7 octobre. Parmi les cibles, le député LFI Thomas Portes. « Je n’ai pas reçu de convocation, mais au regard du climat très malsain du moment, je m’attends à en recevoir une », confie-t-il à Mediapart.
La justice pas seule à agir
Les procédures lancées dans ce climat particulier ne sont pas toutes judiciaires. Elles n’en sont pas moins vécues douloureusement par celles et ceux qu’elles visent. L’anthropologue Véronique Bontemps, spécialiste de la Palestine, peut en témoigner. En février, elle a écopé d’un avertissement de la part du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), après un passage en commission disciplinaire pour « apologie du terrorisme », « incitation à la haine raciale » et « atteinte au devoir de réserve ».
Sa faute ? Avoir relayé sur une boucle de mails de l’EHESS le communiqué de la section syndicale Solidaires étudiant-e-s. Mais elle conteste « absolument » les accusations dont elle a fait l’objet. « J’ai bien relayé ce texte, même si des formules étaient maladroites et que j’avais des réserves, sur lesquelles je me suis expliquée, mais à aucun moment il n’incite à la haine raciale ni ne fait l’apologie du terrorisme », commente la chercheuse.
La commission paritaire du CNRS avait été consultée avant que la direction et le président de l’institution, Antoine Petit, ne tranchent. Elle avait recommandé un avertissement sur le seul motif du non-respect du devoir de réserve des fonctionnaires, et de ne pas publiciser la décision. Le CNRS a passé outre cet avis, exigeant la publication de l’arrêté disciplinaire dans son bulletin officiel.
Interrogé, le CNRS n’a pas confirmé (voir en boîte noire) avoir effectué un signalement concomitant à la justice au sujet de son agente, « dans la mesure où il s’agit d’une situation individuelle », selon le service de presse. Précisant cependant par écrit que « lorsque nous [le CNRS] avons connaissance de faits commis par des agents CNRS, le CNRS, au regard de leur gravité, peut décider d’engager une procédure disciplinaire (interne à l’établissement) et, selon le cas une action pénale. »
« L’avertissement, ce n’est presque rien sur l’échelle des sanctions, mais c’était une technique d’intimidation qui a parfaitement fonctionné, résume aujourd’hui Véronique Bontemps. Après le début du conflit, j’ai été contactée par plusieurs médias comme anthropologue qui travaille sur la Palestine, j’ai tout refusé par peur que quoi que je dise, on ne le torde pour me nuire. »
Elle évoque aussi les messages très hostiles de certains de ses collègues, les menaces et les insultes qu’elle a reçues, la procédure disciplinaire, « une sanction en soi ». « Cela a eu pour effet de me faire taire, je n’en suis pas particulièrement fière mais c’est la réalité. »
Tayeb Khouira, lui, a une autre histoire à raconter. Le 18 janvier, le porte-parole national du syndicat Sud aérien a été appelé d’urgence au commissariat du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis). Officiellement, cet entretien n’a jamais eu lieu. Aucune trace, aucune convocation officielle, aucun procès-verbal. Pourtant, il a été interrogé pendant deux heures par des policiers qui ne se sont pas identifiés, et qui ont enchaîné des questions très ciblées.
« Aucun cadre légal, aucune preuve, rien du tout, mais ils m’ont assuré que j’avais tenu des propos où j’appelais à commettre des attentats sur l’aéroport, ce qui est évidemment faux ! », s’indigne le syndicaliste, qui travaille à Roissy. « Ils ont ensuite enchaîné en me demandant si j’avais des liens avec le Hamas, si je le glorifiais et si j’envoyais de l’argent à l’étranger. Puis ils m’ont demandé si j’allais souvent à la mosquée, je leur ai répondu que la dernière fois, c’était en 2014, pour l’enterrement de mon grand-père. »
L’entretien, qui ressemble fort à une action des services de renseignement, dérive ensuite sur sa participation à des manifestations en soutien à la Palestine, « toutes autorisées, auxquelles l’union syndicale Solidaires appelait à participer », précise Tayeb Khouira. « Ils n’avaient rien sur moi, en fait », résume-t-il. Il soupçonne cet étrange entretien d’avoir eu lieu uniquement en raison de sa participation, avec plusieurs figures syndicales proches du mouvement d’extrême gauche Révolution permanente (dont Anasse Kazib), à une vidéo diffusée le 13 novembre 2023, appelant à soutenir « la lutte du peuple palestinien » et à dire « stop au génocide à Gaza ».
« C’est nauséabond, l’ambiance est dégueulasse », constate Tayeb Khouira, qui a porté plainte pour « détention arbitraire ». Par curiosité, il a essayé de rappeler le numéro de portable d’où avait été passé l’appel le convoquant au commissariat : c’était une puce jetable, désactivée dans la foulée.
Licenciement
Enfin, au moins un cas a abouti à un licenciement. Le 21 avril, sur le réseau social X, la Palestinienne Muzna Shihabi a indiqué avoir été « silenciée » et « licenciée ». Jointe par Mediapart, cette conseillère en communication qui vit en France et travaille pour la branche américaine de l’ONG Care explique avoir été licenciée le 6 novembre pour des messages publiés sur ses réseaux sociaux personnels.
D’un mail expéditif, et après un appel téléphonique de Care France, l’ONG lui a signifié mettre un terme à son contrat après trois ans de travail, pour « un mème, des photographies et un commentaire », qui constitueraient « un soutien clair à la violence et aux attaques du 7 octobre contre Israël ».
« C’était rapide et sans avertissement, ils n’ont pas fait d’enquête, ne m’ont pas appelée, c’était violent », témoigne-t-elle, décrivant une procédure qui ne serait pas possible dans le cadre d’un contrat de travail français, où un entretien préalable, puis le respect d’un délai de plusieurs jours, est obligatoire avant tout licenciement.
D’après Muzna Shihabi, la décision de son employeur est liée à un message de la Licra lui reprochant de donner « une drôle d’image » des engagements de l’ONG. Le 7 octobre, elle avait publié plusieurs messages, sans jamais critiquer ou prendre de distance avec les attaques.
Au-delà de ce cas, les convocations répétées de personnalités publiques pour « apologie du terrorisme », ainsi que les interdictions d’événements en solidarité avec la Palestine depuis le mois d’octobre, font peser sur les militants associatifs de la cause palestinienne une chape de plomb dont tous témoignent.
Plusieurs organisations préfèrent garder le silence sur les difficultés qu’elles éprouvent à faire vivre la solidarité avec la Palestine. Certain·es responsables relèvent aussi une différence de zèle de la part des autorités pour poursuivre les personnes qui les harcèlent numériquement ou par téléphone : Anne Tuaillon, présidente de l’Association France-Palestine Solidarité (AFPS), révèle avoir déposé deux plaintes pour « harcèlement téléphonique », qui sont restées sans suite.
« À titre personnel, je me demande quand je vais être convoquée par la police, vu le peu de bases dont elle dispose pour accuser les uns et les autres. Le seul fait de dire que tout n’a pas commencé le 7 octobre devient de l’apologie du terrorisme », estime-t-elle.
Mathieu Dejean, Lucie Delaporte, Mathilde Goanec, Dan Israel et Manuel Magrez
Boîte noire
Une précision a été ajoutée à cet article après publication.
La réponse du CNRS au sujet de Véronique Bontemps a été ajouté après leur retour, mercredi 24 avril à 11h02, sur nos questions. Nous les avons sollicité le 23 avril 2023.