TSN est confrontée à un choix pour les prochaines années : prendre le virage vert ou fermer ses portes. Il s’agira d’un test important pour évaluer si une transition écologique socialement juste est possible pour une grande entreprise sidérurgique en Europe. Pour l’instant, les travailleurs, les populations locales et les défenseurs du climat ne sont pas sur la même longueur d’onde.
La transition écologique
Qu’est-ce que la transition écologique ? Comme tout lycéen un tant soit peu sensible aux matières scientifiques peut vous l’expliquer, une production d’acier plus écologique est simple à réaliser sur le plan chimique. Avant de pouvoir l’utiliser pour fabriquer de l’acier, le minerai de fer doit être traité, l’oxygène doit en être retiré. Pour ce faire, on associe l’oxygène au gaz carbonique. Ce dernier est rejeté dans l’air sous forme de CO2, un gaz à effet de serre responsable du réchauffement de la planète. On peut verdirle procédé en associant oxygène et hydrogène : on obtient alors de l’eau. Le problèmes d’environnement sont alors résolus. Mais pour cela il faudra construire une nouvelle usine, et ce n’est pas de chimie qu’il s’agit là, mais de comptabilité, parce que cela coûte de l’argent.
Et il faut disposer d’hydrogène vert. Or, il n’y en a pas. L’hydrogène “vert” est produit à partir de sources d’énergie renouvelables, par exemple à partir d’éoliennes en mer près d’IJmond. Mais ce parc éolien n’existe pas encore, pas plus qu’une usine d’hydrogène. Toutefois, il existe des projets en ce sens, et l’hydrogène vert pourrait alors être utilisé par d’autres utilisateurs.
Faut-il une aciérie ?
Les Pays-Bas ont-ils besoin de leur propre aciérie ? Ou vaut-il mieux poser la question dans un cadre européen ? Car il existe bel et bien un marché européen de l’acier. L’UE produit 125 millions de tonnes d’acier par an et en importe 15 millions de tonnes net pour répondre à une demande de 140 millions de tonnes d’acier. Si on conservait cette capacité de production, on limiterait déjà le transport et on garderait en main les leviers d’une production d’acier écologiquement et socialement responsable. Il convient toutefois de préciser que des pays comme la Chine et l’Inde travaillent également d’arrache-pied à verdir la production d’acier. Actuellement, l’industrie sidérurgique est responsable de 7 % des émissions mondiales de CO2.
Alors, faut-il le faire à IJmuiden ? En Europe, il y a des endroits où l’énergie verte peut être produite à moindre coût, par exemple en Scandinavie (hydroélectricité) ou en Espagne et au Portugal (énergie solaire). Mais bon, nous avons une aciérie à IJmuiden, alors pourquoi ne pas en faire un projet pilote pour rendre la production d’acier plus écologique en Europe ? Il s’agit également de 9 000 emplois, sans compter les emplois induits. À terme, l’hydrogène vert serait jusqu’à 5 % moins cher aux Pays-Bas que chez les concurrents allemands.
Tata Steel, la forteresse d’IJmuiden
L’acier est nécessaire, ne serait-ce que pour la transition verte. On ne fabrique pas des éoliennes avec du carton. Certes, la production d’acier de TSN n’est actuellement pas orientée vers la transition verte, mais vers l’étain pour les boissons gazeuses et les tôles d’acier pour les usines automobiles. Tata pourrait également être mis à contribution pour produire des plaques d’acier épaisses nécessaires à la construction d’éoliennes.
Ce que propose Tata
Tata a lui-même formulé un projet. Il propose de fermer une cokerie et un haut fourneau d’ici à 2030. Dans une cokerie, le charbon est transformé en coke. Ce coke est nécessaire pour obtenir le fer qui servira à la production de l’acier. Il est ensuite acheminé vers le haut-fourneau. Ce dernier serait donc remplacé par une chaîne de production potentiellement “verte”: une unité de fusion de DRI (réduction directe de fer), dans laquelle la fonte brute est transformé en acier dans un four à arc électrique.
La réduction directe du fer peut être assurée par le gaz de cokerie, un sous-produit de la deuxième cokerie qui resterait en service jusqu’à nouvel ordre. Ce gaz de cokerie contient une proportion importante d’hydrogène. Cela permettrait donc de réduire considérablement les émissions de CO2. Mais ce gaz de cokerie est aujourd’hui utilisé à d’autres fins, notamment dans une centrale électrique. Il semble donc que TSN veuille travailler avec du gaz naturel. Dans ce cas, la réduction des émissions de CO2 serait quasiment inexistante. L’argument avancé pour le justifier est que cette usine pourrait plus tard passer à l’hydrogène vert.
Cela représente plus de la moitié de la capacité de production actuelle. Il a été écrit que cela permettrait de réduire les émissions de 5 Mt de CO2, soit 4 % de l’objectif national pour 2030. Mais cela est loin d’être certain. TSN ne peut cependant pas éviter la fermeture d’une cokerie, car sa taille et son emplacement ont un lien étroit avec les problèmes de santé des habitants de la région.
Une deuxième ligne de production restera ouverte avec une cokerie traditionnelle et un haut fourneau.
Par ailleurs, des mesures devraient être prises pour réduire les effets néfastes sur la santé des riverains, comme la couverture des aires de stockage et l’installation de brise-vent afin de réduire la présence dans l’air de particules nocives, de graphite, de NO2 et autres. Les particules et le NO2 (dioxyde d’azote) sont particulièrement nocifs pour la santé. Les riverains ont en moyenne une espérance de vie réduite de deux mois et demi. Mais les odeurs et le bruit sont également pénibles, et il n’est pas agréable de ne pas pouvoir étendre son linge sur le fil à l’extérieur.
Ainsi, le projet de TSN revient à considérer qu’il ne faut pas s’attendre à une amélioration avant 2030, sans que l’on sache vraiment si et comment elle se concrétisera. Ce qui n’est absolument pas clair, c’est ce qui se fera plus tard pour l’autre moitié de la production. TSN affirme que la situation après 2030 est difficile à apprécier : les changements techniques, le coût des émissions de CO2, la quantité d’hydrogène vert disponible,...
Dans ce scénario, les effets néfastes sur la santé et les nuisances pour les riverains constituent un problème particulièrement épineux : attendre 2030 n’est pas envisageable, pas plus que de se contenter d’un scénario flou pour l’avenir. Mais TSN opérera dans le cadre des obligations légales en vigueur, et ne peut donc guère être poussée à traiter cette question rapidement.
D’autres solutions ?
Il y a aussi des propositions alternatives. L’une d’elles consiste à fermer immédiatement les cokeries et à importer le minerai de fer nécessaire. Cette solution serait plus coûteuse. Une autre solution consiste à travailler avec des métaux de récupération, c’est-à-dire à produire de l’acier de manière circulaire. Mais l’acier serait alors de moindre qualité et ne conviendrait pas toujours aux clients actuels.
Le véritable choix qui semble donc se présenter est soit la fermeture, soit le passage progressif aux technologies vertes, en assumant les dommages provisoires causés à l’environnement et à la santé des habitants de la région.
Le gouvernement devra dégager plusieurs milliards. Les Pays-Bas devront donc procéder à des investissements massifs dans l’énergie verte, en maximisant toutes les possibilités en mer et sur terre. C’est une condition sine qua non pour rester compétitif. Selon une estimation approximative, il faudrait investir 12 milliards d’euros dans la conversion complète de TSN à l’énergie verte.
Il faudrait également qu’il y ait un marché européen unifié de l’énergie, mais cela ne semble pas être à l’ordre du jour. L’Allemagne continuera de recourir au charbon pendant un certain temps, et la France à l’énergie nucléaire. Ils ne souhaitent pas être obligés de fournir de l’énergie à bas prix à leurs frères et sœurs européens.
Sur la même longueur d’onde
Tata est une multinationale indienne. Il semble risqué de faire cadeau de milliards à cette multinationale et d’installer un immense parc éolien en mer sans aucune garantie pour l’avenir. Il n’y en a pas. Il est très possible que Tata acquière les connaissances nécessaires à la production d’acier vert aux Pays-Bas aux frais du contribuable néerlandais et qu’elle s’en aille plus tard profiter du soleil méridional. Car l’acier vert a de toute façon de l’avenir, Tata le sait aussi. Aux Pays-Bas, l’entreprise dispose d’un solide département de recherche et de développement, qui peut encore rendre de bons services pendant quelques années.
Mais pour le moment, les travailleurs, les riverains et les défenseurs de l’environnement ne sont pas sur la même longueur d’onde. Le syndicat joue la carte du passage au vert dans le but de maintenir l’emploi. Les associations de défense de l’environnement, comme XR, exigent la fermeture immédiate des cokeries, condition sine qua non pour résoudre les problèmes de santé des riverains. Les habitants ne peuvent plus attendre. Selon Tata, l’entreprise ne serait alors plus économiquement viable.
En attendant, rien ne se passe. Le conflit entre les principaux intérêts économiques débouche principalement sur la temporisation. Cela renforce le sentiment d’impuissance qui, à son tour, n’encourage pas la coopération entre les syndicats, les riverains et les groupes de défense de l’environnement. Pour sortir de cette impasse, il est nécessaire d’unir les forces autour de principes clairs : maintenir un niveau d’emploi satisfaisant tout en respectant l’environnement et la santé, c’est techniquement tout à fait possible. Ce sont les intérêts financiers qui font barrage.
Sjarrel Massop, Patrick van Klink, Frank Slegers