Dans le cas particulier de l’Université McGill, deux groupes d’étudiantEs, McGill Hunger Strike for Palestine et Students for Justice in Palestine, ont produit une base de données sur les investissements de McGill dans des entreprises ayant des liens avec l’État d’Israël. On a constaté que « au 31 décembre 2023, l’Université McGill détenait environ 74 millions de dollars en investissements directs et 5,5 millions de dollars en investissements non divulgués dans des entreprises complices du maintien du régime d’apartheid d’Israël et du financement de son génocide. »
Les étudiantEs de McGill ont fait remarquer aux médias qu’il existe un précédent historique de désinvestissement à McGill, qui a été la première université canadienne à se désinvestir de ses avoirs dans l’Afrique du Sud sous l’apartheid en novembre 1985.
Plus récemment, en décembre 2023, elle a annoncé qu’elle se désengagerait de toutes ses participations directes dans le Carbon Underground 200, c’est-à-dire les 100 premières entreprises publiques de charbon au niveau mondial et les 100 premières entreprises publiques de pétrole et de gaz au niveau mondial.
Safa, une étudiante diplômée de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) qui participe à la manifestation sur le campus de McGill, a souligné que l’appel au désinvestissement n’est pas nouveau dans les universités montréalaises et que si la vague de manifestations sur les campus américains en solidarité avec la Palestine a certainement eu une influence sur l’établissement du campement à McGill, les étudiantEs de cette université, mais aussi de l’UQAM et de l’Université Concordia, s’organisent autour du BDS dans les universités québécoises depuis des dizaines d’années.
« Le mois dernier, l’UQAM est devenue la première université au Canada où toutes les associations étudiantes ont voté pour adopter un mandat de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) contre Israël », a déclaré Safa, notant que les organisateurs et organisatrices cherchent maintenant à obtenir le soutien de diverses facultés universitaires pour un boycott académique. Safa a souligné que la bataille est plus difficile à McGill, qui a des liens particulièrement forts avec Israël et où l’administration a toujours refusé d’écouter les étudiantEs ou de travailler pour trouver un terrain d’entente.
Interrogée sur la réaction des étudiantEs, des professeurs et du public face au campement de McGill, Safa a déclaré qu’elle avait été agréablement surprise par le soutien apporté aux manifestantEs. « Il y a eu tellement de dons de nourriture, de vêtements et de fournitures que les organisateurs et organisatrices ont redistribué le surplus aux personnes dans le besoin à l’extérieur du campus », a-t-elle mentionné.
Néanmoins, depuis le début, le campement pacifique de McGill a été la cible de critiques de la part de l’administration et d’attaques de la part d’étudiantEs peu favorables à la manifestation. Deux de ces étudiants ont demandé une injonction qui aurait obligé toutes les manifestations à se dérouler à une distance de plus de 100 mètres de chacun des 154 bâtiments de McGill, alléguant que les manifestants les mettaient mal à l’aise et les faisaient éprouver un sentiment d’insécurité. Le 1er mai, la demande d’injonction a été rejetée par la juge de la Cour supérieure Chantal Masse. Comme le rapporte Le Devoir, Mme Masse a déclaré dans son jugement que les manifestantEs du campement occupaient illégalement le terrain de McGill, mais qu’elle ne voyait pas l’urgence de démanteler le campement puisque les cours et les examens n’étaient pas perturbés et que l’accès aux bâtiments n’était pas bloqué.
Mais l’administration de l’université, dirigée par le recteur et vice-chancelier Deep Saini, a exigé que le campement soit démantelé et a tenté d’impliquer la police, laquelle a répondu que l’action de protestation était une affaire civile et non criminelle. Cependant, près d’une semaine après le début de la manifestation, le premier ministre François Legault est intervenu demandant à la police de démanteler le campement, qu’il a qualifié d’illégal.
Les étudiantEs protestataires ont le soutien de plusieurs membres du corps professoral, aussi bien à l’Université McGill elle-même que dans d’autres universités montréalaises. Lors de notre visite du campement, nous nous sommes entretenus avec Rula Jurdi Abisaab, professeure d’histoire islamique à l’Institut d’études islamiques de l’Université McGill. Elle a indiqué qu’elle adhérait aux lignes directrices du BDS depuis 2005, lorsque la société civile palestinienne a lancé un appel à la communauté internationale pour qu’elle boycotte Israël. En tant que professeure, le boycott universitaire était pour elle un objectif logique. Elle n’était pas la seule dans ce cas.
« Des professeurEs et des professionnels de la culture ont jugé très important de travailler au boycott des institutions israéliennes qui opèrent en complicité avec des organisations économiques et militaires qui normalisent l’occupation coloniale ou produisent des connaissances qui justifient l’occupation et la colonisation », a déclaré Mme Abisaab.
Elle a souligné que, face au génocide qui a tué 37 000 palestiniens et palestiniennes à ce jour, les étudiantEs se sont mobiliséEs plus intensément autour des objectifs du BDS, et pour examiner les liens de l’université avec les entreprises et les institutions israéliennes, affirmant que « notre travail ici en tant que professeurEs, à McGill ou à Concordia, est de soutenir nos étudiantEs qui ont été à l’avant-garde de ce mouvement ». Elle a ajouté que beaucoup de ses collègues lui apportent leur soutien, même s’ils ne viennent pas au campement.
Interrogée sur la réaction de l’administration de McGill face au campement et aux membres de la faculté qui expriment leur solidarité avec les étudiants et les étudiantes, Abisaab a insisté sur la tradition démocratique du Canada qu’elle espère voir respectée par l’administration.
« Ces sites et ateliers sur le campus sont des endroits de développement des connaissances ; ce sont des sites de sensibilisation, d’enseignement et d’expertise », a déclaré M. Abisaab. « Nous savons que la dissidence et la désobéissance civile sont très importantes pour développer le type de connaissance qui nous mènera à une société plus juste, le type de société dans laquelle nous aspirons à vivre. Je ne pense pas que l’administration de McGill, même si elle est mécontente, puisse prétendre que ce que font les étudiants ou les membres de la faculté qui les soutiennent sabote ou sape les fondements de cette institution », a-t-elle ajouté.
« Je pense qu’ils ne suivront jamais l’exemple des universités américaines », a-t-elle poursuivi. « Ce qui s’est passé à Columbia et à l’université Emory à Atlanta est honteux et nous nous y opposons. Mes collègues et moi-même, à McGill et dans d’autres institutions, avons été très clairs dans nos déclarations communes et individuelles : nous ne prendrons pas position contre les étudiantEs et nous nous opposerons à toute militarisation du campus », a affirmé Mme Abisaab.
« Une répression violente serait une très mauvaise décision », a-t-elle ajouté. « Les administrateurs auraient tort de faire l’autruche et de sous-estimer la force et la patience de ce mouvement. Ils et elles doivent écouter les étudiantEs et s’engager avec eux. Ces membres du corps étudiant continueront à manifester pacifiquement ; ils ont appris la persévérance ; sont très bien organisés, et sont très inspirants », a-t-elle déclaré.
Jeudi, une contre-manifestation pro-israélienne a eu lieu près du campement, organisée par des groupes de la communauté juive officielle. Cependant, il y a également un contingent d’étudiants et étudiantes et de sympathisantEs juifs à l’intérieur du campement.
Nous nous sommes entretenus avec l’une d’entre elles, une étudiante de McGill qui s’est identifiée sous le nom de Robin (nom fictif). Interrogée sur son engagement, elle a fait observer que : « Nous sommes un ensemble très diversifié d’étudiantEs, de professeurEs, d’anciens étudiants, de juifs, de personnes d’origine Palestinienne et musulmane qui se réunissent tous et toutes sous l’égide de la libération de la Palestine ». « En tant que juive, a-t-elle poursuivi, j’ai pensé qu’il était incroyablement important de s’impliquer aussi activement. Vous savez, on grandit avec cette propagande sioniste, ce lavage de cerveau dès le plus jeune âge. Il faut passer par un processus de désapprentissage et il est alors crucial d’essayer de partager cela avec les autres ».
Elle a déclaré que la réaction de ses amiEs de la communauté juive à son engagement a été mitigée. Ce n’est pas tout le monde qui l’appuyait. « D’un autre côté, j’ai rencontré certaines des personnes les plus extraordinaires dans le cadre de cet activisme politique et cela a eu un impact réel de rencontrer des personnes dont les objectifs et les valeurs correspondent si profondément aux miens », a-t-elle fait remarquer.
Robin a également des amis d’amis qui sont impliqués dans les mouvements de solidarité à Columbia depuis quelques années et qui ont participé au campement. Elle est optimiste quant à l’élargissement du mouvement dans le reste du Canada et a un petit conseil à donner : « Faites-vous entendre », a-t-elle insisté. « Votre université ne vous écoutera pas si vous ne faites pas avancer ces mouvements. À moins que vous ne vous fassiez entendre à un point tel qu’ils ne puissent pas l’ignorer. Je me réjouis que les étudiants et les étudiantes de tout le Canada s’alignent sur la solidarité avec le Mouvement de libération de la Palestine. »
André Frappier
Andrea Levy
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