Photo : Le 21 mai au matin, la police a violemment investi un campement pacifique à l’université du Michigan.
La cible était un campement non violent d’étudiants non armés qui dormaient dans des tentes devant la bibliothèque des étudiants de premier cycle. Ils étaient là pour protester contre la complicité de l’U-M avec la guerre génocidaire contre le peuple palestinien à Gaza et en Cisjordanie que les États-Unis soutiennent . Était ciblée une composante particulièrement visible : celle des étudiants juif.s de l’U-M (parmi les étudiants du premier cycle,, on compte environ 25 % de juifs), qui sont convaincus que la manière la plus efficace de lutter contre l’antisémitisme est de s’allier avec les opposants au racisme, à l’islamophobie, au colonialisme et à l’oppression de classe.
Comme en témoignent plusieurs vidéos visibles sur Instagram, des témoignages directs diffusés sur X, une lettre de protestation signée le 21 mai par plus de 400 enseignants, une interview de Salma Hamamy, étudiante à la chaîne « Democracy Now », le 22 mai, et d’autres sources d’information, les assaillants en tenue anti-émeute ont aspergé les jeunes de gaz poivré comme ils auraient pu le faire avec des lances à incendie, leur ont lancé des chaises et des tables, les ont frappés avec des matraques, les ont jetés à terre et en ont arrêté quatre, tandis que d’autres ont été envoyés à l’hôpital.
Dans une déclaration préparée à l’avance et publiée à peu près au même moment, le président de l’U-M, M. Ono, a déclaré, imitant aussi bien que possible Homer Simpson : « Des moments comme celui-ci démontrent exactement pourquoi la liberté d’expression est si importante et doit être reconnue » :
Dans ce courrier, il a poursuivi en déformant l’histoire du mouvement de protestation sur le campus, incriminant un type de comportement qui aurait fait du campus de l’U-M un lieu dangereux du fait de prétendus débordements survenus lors de précédentes manifestations pro-palestiniennes, ainsi que de comportements à risques qui auraient été observés dans le campement. Dans sa réponse, la faculté fait remarquer que les incidents de ce type sont sans commune mesure avec ceux qui ont eu lieu dans le passé lors d’autres manifestations politiques à l’U-M, ou à l’occasion d’événements sportifs, et qu’ils n’ont pas suscité de réaction similaire. La principale allégation (un « risque d’incendie ») était une invention malveillante.
En d’autres termes, la lettre du président Ono à la communauté de l’U-M était un cours magistral d’alchimie politique dans lequel la répression de la dissidence légitime se trouvait remaniée et renversée en une proclamation de principe des vertus démocratiques qui devaient être défendues ardemment, pendant que du gaz poivré arrosait les visages de ceux qui appliquaient ces principes dans la pratique. Le courage politique est peut-être rare, mais dans le cas du campement et des revendications politiques qu’il portait, il était déjà clairement possible de dialoguer et de parvenir à des compromis, comme l’ont fait les administrations des universités Brown, Rutgers, Wesleyan, Northwestern, Oregon, et bien d’autres encore.
Pourtant, l’U-M a choisi de se détourner du chemin de la raison, et de maintenir sa ligne de conduite sur le long terme qui consiste à se soucier davantage d’étouffer et de réprimer les étudiants idéalistes que d’agir pour mettre fin au massacre actuel des civils à Gaza.
Les autorités et les administrateurs de l’U-M ne partagent peut-être pas tous les mêmes idées sur le plan politique, mais ce qui lie cette coalition hétéroclite, c’est une opposition partagée à la transparence, à une communication ouverte et régulière avec les étudiants et le corps enseignant, et une disposition à compromettre la sécurité des étudiants en prétendant protéger théoriquement la sécurité de l’U-M. Ils ont maintenant dilapidé leur crédibilité de manière flagrante par des distorsions éhontées de la valeur des mots, des définitions élastiques des notions de « sécurité » et de « perturbation », et la fabrication de leur propre mythologie, tristement stupide, selon laquelle il faut détruire les protestations légitimes pour les protéger.
La réalité, néanmoins, a une fâcheuse tendance à refaire surface, et je me souviens de ce que Peter Beinart, rédacteur en chef de Jewish Currents, a publié sur « X » le 9 février dernier pour défendre des manifestants qui avaient été arrêtés dans les mêmes circonstances :
« Un jour, lorsque soutenir l’apartheid en Israël-Palestine sera aussi inconcevable que de le soutenir en Afrique du Sud, les Juifs américains se souviendront de ces jeunes militants comme nous nous souvenons des Freedom Riders juifs du début des années 60. Réprouvés aujourd’hui, ils seront un jour reconnus comme des héros ».
Alan Wald