Cher.es collègues et ami.es
Nous vous adressons nos salutations, en espérant la victoire des travailleurs/euses de tous les pays du monde.
Nous n’avions pas pensé qu’il serait nécessaire de vous écrire à nouveau au sujet de la répression du mouvement syndical en Iran, ainsi que sur la violation des Conventions internationales concernant la liberté d’association, les conventions collectives, le droit au travail et à la vie, ainsi que la sécurité au travail.
Nous n’avions pas pensé qu’il serait nécessaire de rappeler à nouveau que nous, et de nombreux autres travailleurs/euses, avons été licencié.es, harcelé.es et emprisonné.es parce que nous croyions à l’activité syndicale et à l’organisation indépendante du monde du travail.
Nous regrettons d’être obligés d’écrire à nouveau sur le harcèlement, les poursuites judiciaires, les emprisonnements de longue durée, qui nous sont imposés, ainsi que sur nos revendications légitimes.
En ce qui concerne la violation des droits fondamentaux des travailleurs/euses d’Iran, la répression des organisations syndicales indépendantes, ainsi que le travail des enfants, certaines organisations syndicales indépendantes d’Iran et du reste du monde ont produit pendant les années passées de nombreux rapports. Elles les ont été adressés aux autorités de l’Organisation internationale du travail, et ont même déposé des plaintes.
Malgré tout ces efforts, l’inaction de l’OIT nous étonne, et nous posons les questions suivantes :
Pourquoi l’OIT n’a-t-elle pas pris à ce jour des mesures tangibles et efficaces, afin que l’Iran respecte les Conventions fondamentales de l’OIT, alors que tous les membres de l’OIT sont tenus de « respecter, promouvoir et mettre en œuvre » ces Conventions ?
Pourquoi l’OIT continue-t-elle d’accepter comme « représentants des travailleurs » des personnes qui ne sont pas choisies par les salarié.es, mais désigné.es par le pouvoir en place ? Et cela d’autant plus que l’Etat iranien siège officiellement dans certaines instances de l’OIT.
Nous nous souvenons qu’à la suite des arrestations massives de travailleurs/euses à la veille de la Journée internationale du travail de 2022, une pétition signée par plus de 5 500 personnes avait été adressée à la 110e Conférence annuel du Travail. Cette pétition avait vu le jour à l’initiative du Conseil de coordination des organisations syndicales des enseignant.es d’Iran. Elle était notamment soutenue par le Syndicat des Travailleurs/euses de la Compagnie des autobus de Téhéran et de sa banlieue (VAHED).
Cette pétition demandait que les délégations syndicales participant à la conférence condamnent le gouvernement iranien pour la violation croissante des droits des travailleurs/euses, et en particulier :
– le droit de constituer des associations indépendantes du pouvoir,
– le droit à la liberté d’expression et de réunion.
Mais nous ne nous souvenons pas d’avoir reçu une quelconque réponse de l’Organisation internationale du Travail.
En 2005, la Fédération internationale des travailleurs/euses des transports (ITF), dont notre syndicat Vahed est membre, a déposé une plainte contre le gouvernement de la République islamique d’Iran auprès de l’Organisation internationale du travail. Cette plainte concernait la répression et l’arrestation de militants du Syndicat des travailleurs/euses de la Compagnie des bus de Téhéran, et notamment l’attaque organisée contre notre syndicat. Ce dossier est toujours ouvert, et sa taille s’épaissit chaque année de nouvelles plaintes.
Mais l’OIT s’est contentée de répondre aux soit disant « représentants des travailleurs » désignés par le gouvernement iranien au sein de cette organisation. En conséquence, aucune mesure pratique et efficace n’a été prise depuis près de deux décennies.
Depuis 2004, nous, les membres du Syndicat VAHED, avons été harcelés par notre employeur, le gouvernement iranien, les agents du ministère du Renseignement et le pouvoir judiciaire. Nous avons été arrêtés, emprisonnés et licenciés à plusieurs reprises pour avoir créé une organisation syndicale et avoir eu une activité syndicale indépendante se situant dans le cadre des conventions et normes internationales du travail.
Durant cette période, des centaines de membres du syndicat ont été arrêtés et battus, des dizaines de personnes ont été licenciées ou suspendues, et leurs domiciles ont été perquisitionnés. Trois membres du Syndicat Vahed, emprisonnés au centre de détention d’Evin, ont été sans interruption la cible de cette politique anti-ouvrière, et condamnés à de longues peines de prison. Malgré de graves maladies physiques, les responsables de la prison et les agents du ministère du Renseignement nous ont empêché de bénéficier de congé maladie pour nous soigner.
• Réza Shahabi, membre du Conseil d’administration du Syndicat des travailleurs/euses des autobus de Téhéran et sa banlieue (VAHED) a été arrêté le 22 mai 2022 en raison de la poursuite de ses activités syndicales, ainsi que pour avoir rencontré deux syndicalistes français de Force Ouvrière (FO), Cecile Kohler et Jacques Paris.
Réza Shahabi a été maintenu à l’isolement et interrogé pendant plus de quatre mois dans les sections 209 et 241 de la prison d’Evin. Il a été ensuite condamné à 6 ans de prison, 2 ans d’interdiction de résidence dans la région de Téhéran, 2 ans d’interdiction de quitter le pays, et 2 ans d’interdiction d’activités syndicales. Ce jugement a été confirmé en appel, et Réza Shahabi purge en ce moment sa peine de prison.
• Davoud Razavi, membre du Conseil d’administration du Syndicat des travailleurs/euses des autobus de Téhéran et sa banlieue (VAHED), a été arrêté le 5 octobre 2022 pour avoir poursuivi ses activités syndicales et avoir également rencontré Cecile Kohler et Jacques Paris. Il a été détenu à l’isolement et soumis à un interrogatoire intense pendant quatre mois. Le tribunal de première instance l’a condamné à 5 ans d’emprisonnement et à deux ans d’interdiction d’activités syndicales, ce qui a été confirmé en appel. Il purge actuellement sa peine de prison.
• Hassan Saïdi, membre du Syndicat des travailleurs/euses des autobus de Téhéran et sa banlieue (VAHED), a été également arrêté en raison de la poursuite de ses activités syndicales, ainsi que sa rencontre avec Cecile Kohler et Jacques Paris. A la suite de la descente nocturne des agents de sécurité du 28 mai 2022, il a passé quatre mois en cellule d’isolement et sous interrogatoires. Saïdi a été condamné à 6 ans de prison, 2 ans d’exil, 2 ans d’interdiction d’activités syndicales et 2 ans d’interdiction de quitter le pays. Ce verdict a été confirmé en appel. Cependant, ces derniers jours, sa peine de prison a été réduite par la Cour suprême à trois ans, six mois et un jour concernant l’accusation de rassemblement et de collusion, et à sept mois concernant l’accusation de prosélytisme contre le régime.
Durant cette période, des centaines de militant.es des mouvements syndicaux, enseignant-e-s, étudiant.es et femmes ont été licencié.es, arrêté.es et emprisonné.es, uniquement pour leurs activités syndicales et civiles, ainsi que pour la défense de leurs droits et de ceux de leurs collègues. Les quelques rares organisations indépendantes de travailleurs/euses et d’enseignant.es, dont celles de VAHED et de l’enseignement, qui ont pu voir le jour malgré la répression, sont soumises à une pression permanente. Elles sont en permanence dans la ligne de mire des forces de sécurité. Elles sont dans l’impossibilité d’avoir une activité ouverte et libre.
Des dizaines de travailleurs/euses, d’enseignant-e-s, d’étudiant-e-s, de défenseurs/euses des droits des enfants et des femmes, sont actuellement emprisonné.es. Parmi elles et eux : Reyhané Ansarinejad, Anisha Asdalahi, Sarvanaz Ahmadi, Sharif Mohammadi, Nassrin Javadi, Nahid Khodajou, Zainab Hamrang, Osman. Ismaili, Rasool Bodaghi, Mehran Raouf, Keyvan Mohtadi, Kamiar Fakur, Cecile Kohler, Jacques Paris et bien d’autres.
Les agents du régime appartenant au « Centre suprême des conseils islamiques du travail » et autres institutions fantoches aux ordres du régime et des employeurs, contrôlent et sabotent le mouvement syndical. Pour tenter de réduire au silence l’expression des revendications fondamentales, ils disposent de moyens financiers et logistiques considérables ainsi que du soutien du ministère du travail et des forces de sécurité.
Alors que d’innombrables travailleurs/euses et enseignant-e-s sont comme nous en prison ou persécuté.es, ces mêmes agents du régime en place participent à la conférence de l’OlT en tant que représentant.es du monde du travail, ce qui ne peut être que très regrettable.
Nous soulignons, par conséquent que nous, les travailleurs/euses d’Iran, ne sommes représentés par personne au sein de cette conférence :
– ni par de soit disantes délégations syndicales provenant d’Iran,
– ni par des personnes ou organisations prétendant représenter les travailleurs/euses iranien.nes à l’étranger. Nous ne nous reconnaissons pas en elles, de quelque manière que ce soit.
Nous sommes conscients que chaque année, en même temps que se tient la conférence de l’OIT, les organisations syndicales internationales et les partisans de la classe ouvrière iranienne à l’étranger organisent des rassemblements de protestation pour soutenir les travailleurs/euses emprisonné.es et les luttes ouvrières en Iran.
Nous les apprécions sincèrement et leur exprimons notre reconnaissance, ainsi qu’à toutes les organisations et personnes soutenant le mouvement syndical iranien.
Cette année, grâce au soutien de syndicats de France, de Suisse, du Danemark, de Suède, de Grande- Bretagne et diverses organisations syndicales internationales, nous constatons un soutien plus large du monde du travail
Nous espérons également que le dossier des plaintes liées à la répression des organisations syndicales indépendantes et des militants iraniens sera traité avec plus de sérieux et d’urgence, et que des résultats en faveur des salarié.es d’Iran seront obtenus.
Enfin, depuis la prison d’Evin, nous voudrions exprimer notre solidarité avec les travailleurs/euses et peuples opprimés d’Iran et du monde. Et surtout, qu’avec le reste de la classe ouvrière du monde, nous appelons à un cessez-le-feu immédiat en Palestine.
Il faut mettre fin à la guerre criminelle du gouvernement israélien contre le peuple palestinien et aux politiques guerrières menées dans la région par les puissances mondiales et régionales.
Il faut parvenir à l’établissement d’une paix durable au Moyen-Orient et dans le monde, fondée sur les intérêts du plus grand nombre et les valeurs humaines universelles.
La solidarité internationale, la lutte unie des véritables organisations syndicales et des différents peuples, épris de liberté et de justice, sont les principales garantes de l’établissement de la paix et de la justice dans la région et dans le monde.
Renforcer ces organisations et mouvements est une tâche incontournable pour nous tous, en tant que mouvement syndical international.
Avec tous nos remerciements et salutations,
Réza Shahabi et Davoud Razavi
Membres du conseil d’administration du Syndicat des travailleurs/euses des autobus de Téhéran et sa banlieue (VAHED)
Prison d’Evin, Téhéran, Iran Le 27 mai 2024
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