Chaque printemps, des négociations salariales ont lieu entre les employeurs (privés et publics) et les syndicats, dont la teneur est gardée secrète. Un accord (« tariffavtale ») est généralement trouvé avant la date butoir, à la faveur de la culture consensuelle d’un pays peu enclin aux luttes sociales. Par exemple, cette année, la fonction publique territoriale (école et hôpitaux, principalement) a signé un mauvais accord, avec une revalorisation salariale bien inférieure à l’inflation.
Délitement du service public
La fonction publique d’État, notamment pour les diplôméEs, bénéficie d’une sorte de régime spécial garantissant une meilleure revalorisation salariale mais, on s’en serait douté, le gouvernement souhaite le remettre en cause. Il est soutenu en cela par le premier syndicat du pays (LO pour « Landsorganisasjonen i Norge »), au motif tristement banal que cela constitue une inégalité entre travailleurEs. Cependant, la deuxième force syndicale, Unio, très représentée dans le secteur de l’éducation et de la recherche, rejette ce projet et le gouvernement est très loin d’obtenir un accord salarial. Le conflit porte également sur le remplacement des départs à la retraite, le gouvernement ayant pris la fâcheuse habitude d’embaucher au rabais des jeunes diplôméEs qui partent travailler dans le privé au bout de quelques années, ce qui participe au délitement du service public. Les services de l’État manquant de personnel et de compétences, l’État passe alors des contrats avec le privé ou embauche de CDD précaires pour les dossiers pointus qu’il ne parvient pas à traiter. Quel que soit le pays, la petite musique qui sape le secteur public est toujours la même !
Grève reconductible
Unio, ainsi que plusieurs autres syndicats, ont donc lancé un mouvement de grève reconductible dans la fonction publique d’État. Le système norvégien est sur ce point très particulier. Chaque adhérentE donne à son syndicat le mandat de négocier et décider de la grève. Le syndicat fixe alors le taux de participation à la grève, et les grévistes sont tirés au sort. Les heureux éluEs ont l’obligation légale de chômer, les autres doivent se rendre au travail. Des caisses de grève bien fournies permettent de compenser la perte de salaire en bonne partie. Fait surprenant, l’employeur ne peut confier à un non-gréviste une tâche habituellement assurée par un gréviste. Par contre, le gouvernement norvégien dispose d’une botte secrète, souvent critiquée par le passé par l’Organisation internationale du travail pour son usage abusif : si le conflit dure, il peut soumettre au Parlement un vote qui contraindra les grévistes à reprendre le travail, sous prétexte de danger ou conséquences graves pour la société ou la santé. Un médiateur entre les parties est alors nommé.
Entre 20 % et 60 % de grévistes
Avec ce système mi-jaune mi-rouge, 3 500 fonctionnaires sont en grève depuis le 27 mai (universités, chercheurEs en instituts, ministères, agences étatiques de régulation, médecine et Inspection du travail, police…), ce qui représente entre 20 % et 60 % de grévistes selon les secteurs. Dans ce paisible petit pays de cinq millions d’habitantEs, le dernier mouvement comparable dans la fonction publique remonte à au moins une décennie. À Oslo, le responsable syndical de la police a même déclaré, embarrassé, que c’était sa première prise de parole en manif ! Les négociations étant au point mort, le nombre de grévistes doublera à partir du 3 juin. Dans le privé, il est possible que les pilotes d’avion et certains secteurs de la grande distribution se joignent au mouvement, pour des motifs similaires. À suivre !
Correspondant.e.s