Omar Barghouti s’exprime à Derry, en Irlande du Nord, le 27 janvier 2024. Photographie : George Sweeney/Alamy
Les manifestations organisées par les étudiants et étudiantes pour exiger que les universités rompent leurs liens financiers et académiques avec Israël ont suscité un soutien sans précédent à la lutte palestinienne pour la libération et ont popularisé la question du désinvestissement dans le débat public, selon le cofondateur du mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS).
Omar Barghouti, défenseur palestinien des droits humains qui a contribué à lancer le mouvement BDS il y a près de 20 ans, a déclaré que la solidarité étudiante avait contribué à sensibiliser le monde à l’occupation israélienne et à l’« apartheid », tout en révélant l’hypocrisie – et les tendances répressives – de certaines des universités les plus prestigieuses du monde, qui investissent dans des entreprises plaçant « le profit avant les gens et la planète ».
« Le soulèvement actuel des étudiant.es sur les campus à travers les États-Unis, l’Europe et dans le monde est le signe d’un moment sud-africain de la Palestine, car le soutien à la fin de la complicité avec le génocide israélien et le régime sous-jacent de colonialisme et d’apartheid vieux de 76 ans atteint un point de bascule dans la lutte pour la libération palestinienne … le « B » et le « D » de BDS sont devenus beaucoup plus courants qu’auparavant. »
« Ce soulèvement étudiant représente une formation accélérée sur la Palestine pour des millions de personnes, en particulier en Occident. Il a mis fin à de nombreuses années de silenciation et d’effacement des voix palestiniennes, de l’histoire palestinienne, de la culture palestinienne [et] des aspirations […] Il nous donne de l’espoir et de l’inspiration en ces temps sombres où Israël poursuit son génocide contre 2,3 millions de Palestiniens dans la bande de Gaza occupée et assiégée », a déclaré M. Barghouti au Guardian, alors qu’Israël continue de défier la décision du plus haut tribunal de l’ONU lui enjoignant d’arrêter son assaut sur Rafah. Dans cette ville méridionale de Gaza, les réfugié.es palestinien.nes ont peint sur leurs tentes des messages de gratitude à l’égard des étudiant.es.
Les Palestiniens de Rafah expriment leur gratitude aux étudiants qui ont installé des campements à travers les États-Unis le 27 avril. Photographie : Anadolu/Getty Images
Partout dans le monde, les étudiantes et étudiants ont revendiqué un cessez-le-feu immédiat et permanent à Gaza, ainsi qu’une plus grande transparence sur les partenariats et le désinvestissement des entreprises liées à la défense et des fabricants d’armes qui équipent l’armée israélienne. Depuis le début des représailles contre l’attaque du Hamas le 7 octobre, qui a fait près de 1 200 morts, Israël a tué plus de 36 000 Palestiniens et Palestiniennes et des milliers d’autres sont porté.es disparu.es sous les décombres et présumé.es mort.es.
Le mouvement étudiant de l’université de Columbia fait partie de ceux qui demandent également à l’université de divulguer et de mettre fin à ses investissements dans un large éventail d’entreprises ayant des liens avec Israël, notamment Google, Amazon et Airbnb. Certains mouvements entendent également mettre fin aux partenariats des universités avec les institutions universitaires israéliennes qui opèrent dans les territoires palestiniens occupés ou qui soutiennent ce que les groupes de défense des droits humains décrivent comme les politiques d’apartheid de l’État et la guerre actuelle contre Gaza.
Barghouti était étudiant à l’université de Columbia dans les années 1980, lorsque des manifestant.es anti-apartheid ont bloqué le Hamilton Hall pendant trois semaines dans le cadre d’une campagne visant à obliger l’université à désinvestir de l’Afrique du Sud. Lancé en 2005, le mouvement BDS s’inspire de la lutte anti-apartheid sud-africaine et du mouvement des droits civiques aux États-Unis.
Les récentes manifestations d’étudiant.es pro-palestinien.nes ont pris de l’ampleur après que le président de l’université de Columbia a autorisé en avril la police de la Ville de New York à expulser par la force le campement étudiant, ce qui s’est soldé par plus d’une centaine d’arrestations et la suspension de plusieurs étudiant.es.
À quelques exceptions près, les administrateurs des universités ont fait appel à la police, qui est accusée d’avoir eu recours à un usage excessif de la force contre les étudiant.es et les enseignant.es.
« La violence déployée par la police pour réprimer les manifestations organisées par les étudiants a été choquante, mais elle est révélatrice de la puissance de ces mobilisations. Ces graves violations de la liberté d’expression, de la liberté académique et du droit civique de manifester pacifiquement témoignent du potentiel de ce soulèvement pour ouvrir la voie à la rupture des liens de complicité avec le régime israélien », a déclaré M. Barghouti.
Au cours des dernières semaines, BDS a déclaré que des dizaines d’universités à travers le monde s’étaient engagées à prendre des mesures préliminaires pour au moins discuter du désinvestissement d’entreprises et/ou couper les liens avec les universités israéliennes que les manifestant.es considèrent comme « complices ». De nombreux campements ont pris fin en raison des vacances d’été, mais les étudiants et un nombre croissant de professeurs, de membres du personnel et d’anciens étudiants ont manifesté lors des cérémonies de remise des diplômes et se sont engagés à ne pas reculer.
Le gouvernement israélien rejette depuis longtemps les accusations d’apartheid – et les accusations de génocide contre la population palestinienne de Gaza de plus en plus nombreuses, par l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice, les experts de l’ONU et les
Dans de nombreux cas, ces mêmes universités prestigieuses ont également subi des pressions croissantes de la part des étudiant.es, du corps enseignant et du personnel pour se désengager de l’industrie des combustibles fossiles, à l’origine de l’urgence climatique, et qui finance depuis longtemps des programmes universitaires et des chercheur.es dans le cadre de sa stratégie visant à refuser et à retarder toute action significative en faveur du climat.
Des étudiants demandent à l’université de Harvard de se désinvestir des combustibles fossiles à Cambridge, Massachusetts, le 28 mars 2017. Photographie : Keith Bedford/The Boston Globe via Getty Images
L’année dernière, le ministre de l’environnement palestinien a déclaré au Guardian que la plus grande menace existentielle à laquelle les Palestiniens étaient confrontés avant le 7 octobre était la crise climatique, et que leur capacité à l’atténuer et à s’y adapter était depuis longtemps entravée par le blocus d’Israël.
« La lutte pour le démantèlement du régime israélien de colonialisme et d’apartheid en Palestine, vieux de plusieurs décennies, va de pair avec les luttes globales pour la justice, notamment la justice environnementale. La catastrophe climatique est exacerbée par les inégalités et oppressions mondiales et principalement causée par des gouvernements et des entreprises complices, dont la quête de profit passe avant les humains et la planète », a déclaré M. Barghouti.
« Avec Israël qui monopolise les ressources, détruit les terres agricoles, refuse l’accès à l’eau, la hausse des températures exacerbe la désertification ainsi que les pénuries d’eau et de terres, renforçant l’apartheid environnemental [en Palestine] ».
Les 60 premiers jours du conflit ont généré plus d’émissions de gaz à effet de serre que l’empreinte carbone annuelle totale de 23 des pays les plus vulnérables au climat.
Si l’on ne connaît pas encore l’ampleur du désastre pour l’environnement, des images satellites fournies au Guardian en mars montrent déjà la dévastation de 48 % de la couverture arborée et des terres agricoles. Israël a également détruit des serres, des infrastructures d’eau, d’assainissement et d’énergies renouvelables, tandis que les munitions ont laissé derrière elles des « matières dangereuses qui contaminent le sol et les eaux souterraines, constituant une menace importante pour l’écosystème ».
Des experts juridiques internationaux ont déclaré qu’Israël commettait un domicide – la destruction massive des habitations et des conditions de vie afin de rendre un territoire inhabitable – et un écocide.
Le mantra des étudiant.es protestataires est souvent le suivant : « Divulguez, désinvestissez. Nous ne nous arrêterons pas, nous ne nous reposerons pas ». Selon M. Barghouti, la transparence est une chose que les universités ont longtemps cherché à éviter.
Un étudiant tient une banderole sur laquelle on peut lire « divest now » lors de la cérémonie de remise des diplômes de l’université George Washington, à Washington DC, le 19 mai. Photographie : Carol Guzy/Zuma Press Wire/Rex/Shutterstock
Après que des campagnes menées avec succès par des étudiantes et étudiants ont contraint les grandes universités américaines à se désinvestir du régime d’apartheid sud-africain dans les années 1980, de nombreuses universités ont commencé à déplacer leurs investissements de la détention directe d’actions vers des fonds pré-packagés, des fonds de capital-investissement et des crédits privés. Cette évolution a rendu la divulgation d’informations plus difficile et le désinvestissement moins accessible, ce qui est volontaire, selon M. Barghouti. Même si cela pourrait prendre du temps, les universités pourraient commencer à se désengager de ces investissements opaques et choisir de détenir directement les actifs sous-jacents.
Toutefois, les récentes manifestations étudiantes ont aussi mis en lumière des limites que les institutions universitaires étaient prêtes à franchir pour dissimuler – et étouffer la contestation de – leurs liens avec des entreprises et d’autres universités impliquées dans des violations des droits de l’Homme et des atteintes à l’environnement, a déclaré M. Barghouti.
« Les grandes universités, en particulier aux États-Unis et au Royaume-Uni, sont devenues semblables à de grandes sociétés d’investissement, avec des dotations massives, mais avec des étudiants, des professeurs et des travailleurs qui n’aiment pas voir leur institution investir dans des entreprises néfastes pour l’humain et la planète. Cette tension a conduit avec le temps à une répression accrue, à la silenciation et à des méthodes sophistiquées de censure pour minimiser l’influence que la communauté [universitaire élargie] pourrait gagner ».
« Cette répression violente et souvent raciste vise à atteindre deux objectifs principaux : premièrement, coloniser les esprits des étudiants mobilisés avec du désespoir, dénigrer et faire apparaître leur soulèvement comme futile, et deuxièmement, détourner l’attention des revendications du mouvement. [Mais les] étudiant.es, avec créativité, engagement et détermination, amplifient le mouvement pour le boycott et le désinvestissement comme jamais auparavant. Cela nous inspire grandement et, personnellement, cela me remplit d’un sentiment réconfortant de déjà-vu ».
En 1985, après avoir occupé le Hamilton Hall de l’Université de Columbia, les manifestations menées par les étudiant.es noir.es se sont transformées en mouvement social d’ampleur, qui a finalement conduit l’Université Ivy League à se désinvestir totalement de l’Afrique du Sud – devenant la première grande université des Etats-Unis à le faire. Cette année, la police a expulsé et arrêté près de 300 manifestant.es du Hamilton Hall, un jour après l’avoir occupé et rebaptisé Hind Hall en hommage à Hind Rajab, une fillette palestinienne de six ans tuée par l’armée israélienne à Gaza en janvier.
Pour M. Barghouti : « Tous ceux qui ont participé à cette manifestation [de 1985], et à des milliers d’autres à travers le monde, se souviendront toujours que nous avons participé à une lutte juste et triomphé sur un régime d’oppression apparemment invincible. Cela semble toujours impossible jusqu’à ce que cela devienne possible ».
Nina Lakhani