ÀÀquoi ressemblerait la vie de millions de musulmans avec Marine Le Pen à l’Élysée ? À un cauchemar. La réponse a toujours semblé évidente pour un parti qui agite depuis un demi-siècle l’épouvantail d’une submersion par les étrangers et les « mahométans ».
Jamais, cependant, cette question ne s’était posée aussi concrètement, aujourd’hui que la candidate d’extrême droite est aux portes du pouvoir et que les annonces d’abstention au second tour se multiplient au sein d’une communauté musulmane dégoûtée par un quinquennat placé sous le sceau de la stigmatisation et de la loi « Séparatisme ».
« Moi, la blonde, elle ne me fait pas peur, confiait ainsi Mourad Ghazli, ex-cadre chiraquien et ancien des « Grandes Gueules » et de Beur FM, bien connu des quartiers populaires, dans une vidéo publiée après le premier tour. Elle ne peut rien faire de plus [qu’Emmanuel Macron – ndlr]. »
Ce sentiment partagé par certains du caractère inoffensif de la candidate RN doit beaucoup à la stratégie de campagne adoptée par la fille de Jean-Marie Le Pen, qui a su opérer un toilettage sémantique de son programme. Dans les dix-neuf livrets thématiques, on ne trouve pas les mots « halal », ni « charia », ni « burkini », ni « burqa », ni « mosquée »… À peine une mention du « voile islamique » dans un document concernant l’école.
Restée planquée derrière l’arbre Zemmour, Marine Le Pen a pu ainsi faire croire un temps qu’elle n’était « pas dans une guerre de religion avec l’islam » et faire oublier les « frasques » passées. Comme ces affiches assimilant les minarets de mosquée à des missiles, les propos sur les prières de rue comparées à l’occupation nazie, ou ce fantasme agité que la Constitution pourrait être un jour remplacée par la charia.
En réalité, sur le terrain de la répression de l’islam, rien n’a changé chez Marine Le Pen. Si la députée s’est abstenue de voter la loi Séparatisme en 2021, c’est parce qu’elle trouvait que le texte manquait « de courage ». À l’époque, elle proposait un contre-projet de loi, bien plus dur, « visant à lutter contre les idéologies islamistes ». Corédigé par le « monsieur justice » de la candidate, Jean-Paul Garraud, ancien rapporteur UMP de la loi de 2010 contre le voile intégral, ce texte, qui fait office de programme présidentiel, est un concentré de mesures ultra-répressives portant atteinte à plusieurs libertés fondamentales. Les associatifs mettent en garde : « Marine Le Pen, c’est la loi Séparatisme puissance 100. » Tour d’horizon des principales mesures.
Interdiction du voile
L’interdiction du voile dans l’espace public, les commerces et « tout espace accueillant du public » est inscrite à l’article 10 de ce texte. En déplacement dans le Vaucluse jeudi, la candidate a démenti vouloir sanctionner aussi le port de la barbe ou de la djellaba, proposition qu’elle défend pourtant depuis 2012 et récemment confirmée par ses proches. D’ailleurs, l’« exposé des motifs » de sa loi prérédigée évoque les « tenues islamistes » en général, et l’article 10 tous « les signes ou tenues constituant par eux-mêmes une affirmation sans équivoque et ostentatoire des idéologies visées », c’est-à-dire « islamistes ».
Le livret programmatique sur l’école, quant à lui, prohibe sans équivoque le seul « voile islamique » pour les accompagnatrices scolaires, soumises au statut de « collaborateur occasionnel du service public » et donc au principe de neutralité. Cette mesure porterait non seulement atteinte à la liberté de culte, mais constituerait une rupture d’égalité, les femmes musulmanes étant les seules touchées. La France serait en outre la première démocratie au monde à interdire le port du voile dans l’espace public.
Le RN s’est par ailleurs enlisé, au début de la campagne, dans des déclarations ambiguës sur l’interdiction de la kippa, moult fois revendiquée ces dernières années par Marine Le Pen, comme un « petit sacrifice » demandé aux juifs. Mais face à Gérald Darmanin, mercredi 13 avril, Jordan Bardella a rappelé la nouvelle ligne : « Ils pourront la porter. » Car l’« interdiction du voile n’est pas fondée sur le concept de laïcité mais sur l’idéologie islamiste », a aussi asséné Marine Le Pen, il y a quelques jours, sur RTL.
Pour Marine Le Pen, qui tient en horreur la société « multiculturelle », le combat contre les signes ostentatoires et spécifiquement le voile n’est ni laïque ni féministe, il est « civilisationnel ». Dans la droite ligne de son père, qui a intégré dès la fin des années 1980 l’idée d’un problème musulman sur le sol « chrétien », elle considère l’islam non pas comme une religion mais comme une idéologie conquérante, dont le voile ne serait qu’un étendard, et les femmes des prosélytes. Un temps mis de côté, le credo est clair aujourd’hui : « Le voile est un uniforme islamiste et pas musulman, c’est l’uniforme d’une idéologie, pas d’une religion. »
Il s’agirait donc de lutter contre « des minorités dictatoriales qui tentent d’effacer ce qui a fait [la] grandeur et [la] cohésion » de la France, expliquait-elle à l’été 2021, les particularismes religieux étant appréhendés comme des facteurs de division.
Prohibition du halal
L’interdiction du halal suit cette même logique. « L’abattage rituel sans étourdissement préalable sera interdit », peut-on lire dans le programme. Autorisé par le Code rural, le sacrifice rituel par égorgement pour le culte juif et musulman fait l’objet d’une dérogation préfectorale qui permet de ne pas se soumettre à l’obligation d’étourdissement de l’animal. Avec Le Pen à l’Élysée, la pratique serait proscrite pour les deux cultes.
Face au tollé provoqué au sein de la communauté juive, Marine Le Pen s’empressait début avril de rectifier le tir, en précisant la possibilité d’importer de la viande sacrifiée. « La mesure renvoie juifs et musulmans dos à dos en les faisant passer pour des populations porteuses de traditions barbares et ancestrales »,analyse Jonathan Hayoun, coauteur avec Judith Cohen-Solal de La main du diable : comment l’extrême droite a voulu séduire les juifs de France.
Cheval de bataille du RN, la pénalisation du sacrifice religieux figurait encore en 2002 dans la partie « combattre le communautarisme et le fondamentalisme islamique ». Mais comme la stratégie de « dédiabolisation » est passée par là, la mesure a aujourd’hui atterri dans le livret sur le bien-être animal. « Marine Le Pen parle de bien-être animal alors qu’elle refuse d’interdire la chasse à courre », pointe Fateh Kimouche, spécialiste du halal en France et patron du site Al-Kanz. « L’abattage rituel a aussi été interdit par les nazis », rappelle-t-il.
Sur le registre des sanctions, Marine Le Pen se fait discrète. Au sujet du voile, elle a parlé d’une simple amende, sans plus de détail. Aucune amende n’est cependant inscrite dans les livrets programmatiques.
Haro sur les « facteurs de scission »
Mais l’éventail répressif prévu par la proposition de loi « visant à lutter contre les idéologies islamistes » est bien plus large. Est considérée comme une idéologie islamiste celle qui porte en elle des « facteurs de scission majeurs » ou des « menaces graves […] pour l’unité de la Nation », mais aussi celle qui relève des « liens avec des autorités, organisations ou puissances étrangères […] de nature à faire naître les doutes les plus sérieux sur la loyauté envers la France et la soumission à ses lois de ceux qui les professent ».
Parmi les quarante articles portant alors atteinte aux libertés fondamentales, on relève l’interdiction de manifester, de se présenter à des élections professionnelles, la fermeture de lieux de culte, la censure des films, sites internet et livres mis en cause.
Marine Le Pen prévoit également de modifier le Code pénal pour y insérer une « peine d’indignité nationale » (privation du droit de vote et d’éligibilité, interdiction d’expression publique, etc.) pour les auteurs de délits ou crimes liés à « l’idéologie islamiste ». Un article prévoit la déchéance de nationalité pour ces mêmes raisons.
Avec ces outils supplémentaires à disposition, la fille de Jean-Marie Le Pen amplifierait sans doute les opérations de fermeture de lieux de culte et dissolutions lancées à tout-va sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, étendant encore le champ des associations visées.
Qu’en serait-il, par exemple, de la mosquée de Paris, financée par le gouvernement algérien, et dont le principe de « loyauté à la France » si cher au RN pourrait être questionné ? Contacté, le RN n’a pas retourné nos appels.
D’autres associations explicitement dans le viseur du RN devraient être touchées, à commencer par la Fédération des musulmans de France (ex-UOIF), interlocutrice historique des pouvoirs publics, dont Marine Le Pen demande la dissolution depuis plusieurs années.
Idem pour SOS Racisme, association considérée comme une organisation « politique » et « communautariste », ou encore le Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), désigné comme « censeur » par le RN.
La liberté de la presse serait aussi attaquée, puisque Marine Le Pen envisage, entre autres dispositions répressives, la fermeture de tout média « témoignant d’une quelconque complaisance » à l’égard des « idéologies islamistes ». Et ce, avec un simple coup de plume du ministre de l’intérieur. Un journal publiant des articles sur le sort réservé aux femmes voilées ou évoquant la dissolution d’associations se verrait-il fermé par les autorités ? Sollicité, le RN garde le silence.
Lou Syrah
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