« Je« Je veux rassurer tout le monde : nos compatriotes d’origine étrangère ou les personnes de nationalité étrangère présentes chez nous, qui travaillent, qui paient leurs impôts, qui respectent la loi, qui aiment notre pays, n’ont strictement RIEN à craindre de notre politique. » Ce sont les mots, un poil surprenants au premier abord, du numéro un du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella, tenus sur le plateau de BFMTV/RMC, le 14 juin.
Celui qui a vu son parti rafler plus de 30 % des voix aux élections européennes, catapulté aux portes du pouvoir par la décision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale et de provoquer ainsi des élections législatives les 30 juin et 7 juillet, s’est voulu rassurant.
Et pour cause, le parti d’extrême droite fait depuis longtemps de l’immigration un véritable fonds de commerce, y consacrant, dans ses programmes successifs, une place non négligeable ; criminalisant les « clandestins » et propageant l’idée d’une « invasion » migratoire ou d’une immigration « massive » que plus personne ne serait en mesure de contrôler, sauf lui.
À l’heure où il souhaite ratisser plus large pour se donner un maximum de chances d’accéder au pouvoir, il est donc assez cohérent qu’en matière migratoire, le RN tente aujourd’hui de polir son image. Enfin, seulement pour celles et ceux qu’il perçoit comme étant les « bons immigrés », qui travaillent, paient des impôts et respectent la loi.
Certains ne manquent pas de tomber dans le panneau. « Moi je suis portugais, je suis en France depuis 52 ans, marié avec une Française, j’ai la nationalité portugaise et je crains rien, je travaille », réagit un internaute en commentaire sous la vidéo concernée.
Le lapsus révélateur de Sébastien Chenu
Interrogée sur ce point alors qu’elle était en déplacement, Marine Le Pen a tenté une pirouette pour expliciter les propos de Bardella : « Le sujet n’était pas les Français d’origine étrangère mais les étrangers. Je pense qu’il a savonné, ça peut arriver, on est un peu sur les rotules », a-t-elle déclaré, avant d’assurer que « les étrangers qui sont présents sur notre territoire, respectent notre pays et travaillent n’ont aucune raison d’être priés de partir ».
Mais force est de constater que lorsque l’on chasse le naturel, celui-ci revient vite au galop. Invité sur le plateau de l’émission « Touche pas à mon poste ! » sur C8, le député RN Sébastien Chenu a affirmé vouloir supprimer la double nationalité, précisant que cela pouvait « se discuter » et « s’ouvrir » pour les ressortissant·es de l’Union européenne.
« Pour le reste, je pense que quand on a une nationalité, on en a une, parce ça dit beaucoup de ce que vous êtes et de ce à quoi vous êtes attaché. On ne peut pas être français pour certaines choses et uruguayen pour d’autres », a-t-il développé, citant l’exemple des Uruguayens quand l’animateur Cyril Hanouna préférait la figure des Maghrébins.
Ce dernier n’a pas hésité à défendre cette mesure, allant jusqu’à la personnaliser : « Moi par exemple, je suis de nationalité française et je suis d’origine tunisienne. Si demain j’avais la nationalité tunisienne, il faudrait que je choisisse. Et c’est normal, c’est comme dans une équipe de foot », a-t-il osé, intimant au chroniqueur lui faisant face, qui se positionnait contre la suppression de la double nationalité, de « se calmer » à coups de « Oh, oh, oh ! ».
L’ennui, c’est que cette même mesure, encore assumée par le RN en 2017, ne figure plus au programme du parti depuis deux ans. Le vice-président de l’Assemblée nationale n’a pas tardé à rétropédaler. « Interrogé par Cyril Hanouna, j’ai évoqué la suppression de la double nationalité : mea culpa. Marine Le Pen a renoncé à cette mesure et ne compte pas revenir dessus ! Au moins c’est clair. Erreur corrigée », s’est contredit Sébastien Chenu sur le réseau social X le soir même.
Certains y ont vu un « renoncement », d’autres une forme d’amateurisme. En réalité, cette déclaration ressemblait davantage à un lapsus qu’à une simple « erreur » de communication. Tout comme les déclarations de Jordan Bardella s’agissant des « bons immigrés », qui n’auraient selon lui « rien à craindre » de la politique du RN, ne sont qu’un leurre.
Comme l’a très justement souligné le conseiller parlementaire et chroniqueur politique François Malaussena en réaction au rétropédalage de Sébastien Chenu, la proposition de révision constitutionnelle du RN, datée du 25 janvier 2024, s’en prend directement aux binationaux en leur interdisant l’accès à l’administration, aux services publics et aux mandats électoraux.
Et si le « grand référendum » sur l’immigration promis par le RN depuis plusieurs années semble avoir disparu dans le contexte des législatives, Jordan Bardella s’est arrangé pour faire savoir, face aux caméras l’ayant suivi jusque dans le Loiret où il visitait une exploitation agricole le 14 juin, que la première mesure qu’il adopterait serait la suppression du droit du sol. Un classique pour le parti d’extrême droite, qui s’est régulièrement attaqué à ce droit (comme à beaucoup d’autres s’agissant des personnes étrangères).
Un flou volontairement entretenu
Si son programme pour les législatives, décliné en huit priorités, entend « stopper la submersion migratoire » et « réduire drastiquement l’immigration légale et illégale », il ne précise pas à quelle(s) catégorie(s) il pourrait s’en prendre parmi l’immigration dite « légale », à l’heure où des enseignant·es-chercheurs, des professeur·es des écoles dans le privé, des médecins ou des étudiantes et étudiants étrangers participent à faire tourner les services publics et l’économie française, ou seront les travailleurs et travailleuses de demain, qui pourraient aspirer à un regroupement familial ou à acquérir la nationalité française – deux autres droits que voulait limiter le RN au moment des élections de 2022.
Il ne dit pas non plus ce qu’il ferait des personnes sans papiers, dont le nombre est estimé à environ 700 000 en France, qui pourraient figurer parmi les « personnes de nationalité étrangère présentes chez nous », etqui elles aussi travaillent, cotisent, paient des impôts parfois, mais qui peinent à régulariser leur situation, confrontées à l’exploitation de leur employeur et au mur de la préfecture, et sont qualifiées de « clandestins » par l’extrême droite en France.
Le programme ne fait pas non plus mention à la priorité nationale, pourtant si chère au parti, qui vise à privilégier les citoyen·nes de nationalité française pour l’octroi de logements sociaux, l’accès aux prestations sociales ou l’obtention d’un emploi. « Pour mettre en place cette priorité nationale, nous aurons besoin de la présidence de la République française, parce qu’il faudra engager une révision constitutionnelle », a souligné Jordan Bardella, interrogé à ce sujet sur France 2 mardi 18 juin.
Qu’on ne s’y trompe pas : le flou est volontairement entretenu par les responsables politiques du RN pour tenter de flatter à la fois les droites et les plus modérés, encore indécis, susceptibles de vouloir lui donner leurs voix aux législatives. Mais l’histoire du parti démontre que les personnes étrangères et les immigré·es (catégorie qui comporte également les personnes naturalisées françaises) restent l’une des principales cibles du RN.
Celui-ci, faut-il le rappeler, avait déjà estimé que la loi immigration portée par Gérald Darmanin était une « nouvelle filière d’immigration », alors que celle-ci reprenait plusieurs propositions phares du parti (dont plusieurs ont été censurées par le Conseil constitutionnel) et bafouait des droits fondamentaux tout en entérinant de profonds reculs pour les étrangers et étrangères en France.
Quant à l’une des mesures sans cesse mise en avant par Jordan Bardella ces derniers jours, visant à expulser les « délinquants et criminels étrangers », le numéro un du parti omet de dire que cela figure d’ores et déjà dans la loi immigration promulguée fin janvier. Et que de plus en plus d’étrangers « lambda », ceux-là mêmes qu’il prétend protéger lorsqu’ils travaillent et paient des impôts, sont touchés par des obligations de quitter le territoire français (OQTF) sur le motif de la menace à l’ordre public alors qu’ils ne représentent aucun danger.
Une manière de noyer toujours plus le poisson dans un contexte où l’immigration et l’insécurité sont trop souvent associées pour porter des discours de haine à l’endroit des personnes étrangères.
Nejma Brahim
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