Catherine, SUD ANPE :
Je voudrais parler de la question du rapport au pouvoir. Je pense qu’il faut aller au-delà du constat ou de la volonté que les femmes prennent des responsabilités dans la vie syndicale ou le mouvement associatif ou politique, parce que ça ne suffit pas comme réflexion. Comment prépare-t-on le renouvellement des directions ? Comment les féminise-t-on ? Comment fait-on monter et aide-t-on les copines à tenir ? Les organisations syndicales, jusqu’à présent, ont beaucoup « péché » sur ce sujet. Si on ne reprend pas le débat sur, par exemple, le temps où on peut rester permanent, on reproduira le schéma des confédérations depuis toujours et le schéma de fonctionnement des hommes. On ne doit pas se contenter de dire qu’il faut prendre des responsabilités. Il faut aussi réfléchir à comment on transmet et on partage ensuite ses responsabilités, comment on fait tourner le pouvoir. Je pense qu’il y a un vrai risque chez les femmes d’intérioriser le schéma de fonctionnement dans les organisations syndicales.
Sur l’idée : « les femmes s’occupent du concret pour aller au général ». C’est en partie vrai, mais il faut faire attention au partage des tâches insidieux : les femmes au concret, les hommes à l’idéologique et aux concepts. Nous sommes aussi « capables » que les hommes pour ce qui est de raisonner et d’avoir des idées. C’est aussi une intériorisation du rôle des femmes qui me semble dangereux.
Sur mon secteur, l’ANPE, par rapport à ce que dit Marie-Thérèse sur les infirmières ou les assistantes sociales, je pense que tout travail social à un peu cet aspect-là, l’ANPE n’y échappe pas. S’il y a une dévalorisation des secteurs qui relèvent du social, c’est aussi parce qu’ils sont très féminisés. Cela mériterait de rendre plus visible cet aspect du métier.
En ce qui concerne le partage des tâches entre le mouvement syndical et le mouvement des femmes, je pense que c’est un peu dangereux. Le mouvement des femmes ne doit pas se limiter au spécifique. Il a aussi son mot à dire sur l’exploitation capitaliste et la place des femmes là-dedans.
Claire, CFDT ANPE :
Si on veut demain, dans le syndicalisme, avoir beaucoup de chômeuses, beaucoup de précaires, et arriver à structurer des luttes unitaires, nous sommes obligées de faire du transversal, de l’interprofessionnel, peu importe les mots. C’est essentiel. Il faut que nous les femmes nous arrivions à trouver notre place.
S’il y a quelque chose que nous ne savons pas faire c’est de la stratégie, On réfléchit beaucoup, on est capable, à partir du quotidien, d’élaborer les revendications, de construire les luttes etc. Mais nous avons énormément de mal à réfléchir collectivement avec une projection sur les dix ans. J’ai souvent remarqué, dans mon syndicat ou, plus largement, à la CFDT, et même dans le cadre d’AC !, de Collectif ou de Ressy, dans tous les cadres intersyndicaux, interprofessionnels et qui essaient de se projeter dans l’avenir, que les femmes n’interviennent quasiment pas. Cela est catastrophique. Il faut que nous disions, et pour que nous disions, il faut que nous élaborions. Je suis convaincue qu’il faut que nous élaborions pour nous-mêmes, à partir de notre vécu, de notre expérience des responsabilités, de la manière dont nous concevons le syndicalisme, pour que collectivement nous ayons une pensée stratégique, une parole stratégique que l’on pourra confronter avec celle des hommes. Sinon, c’est le modèle dominant qui s’impose et nous n’arriverons pas à en construire un autre.
Madeleine, SNES :
Le SNES est un syndicat ancien de la jeune FSU. Il regroupe des personnels titulaires et non-titulaires, en formation ou non, enseignants et non-enseignants, de l’enseignement secondaire et des centres de formation. La présence des femmes dans le SNES est à l’image des femmes dans la profession : 60 % de syndiquées pour 60 % de femmes. Elles sont responsables très majoritairement dans les établissements scolaires, un peu moins au niveau départemental et académique. Elles sont 40 % nationalement. Elles représentent la majorité des élus des personnels, élus par des hommes et des femmes de la profession, dans leurs catégories respectives. Cette représentativité des femmes, certes minoritaire au début, n’est pas nouvelle : en 1968, la secrétaire générale du SNES de Paris (qui regroupait à ce moment-là l’Ile de France actuelle) était une femme ; notre secrétaire générale actuelle est une femme. L’accès aux responsabilités n’est pas toujours facile, pour de multiples raisons. Mais il est favorisé par la participation des femmes à la vie syndicale, aux collectifs départementaux ; elles parviennent ainsi plus aisément à accepter et à être acceptées dans l’exercice de responsabilités à d’autres niveaux.
Des obstacles demeurent : l’image de responsables qui savent tout, sur tout, à tout moment, effraie souvent celles qui souhaiteraient prendre en charge un point plus particulier. Une répartition plus équilibrée des tâches dans les collectifs permettrait de lever cet obstacle. Un autre obstacle me semble tout aussi important : les hommes utilisent depuis longtemps des réseaux - réseaux de communautés d’âge, d’activités sportives ou culturelles, réseaux d’études - qui permettent un accès plus facile à tous les domaines de la vie sociale. Les femmes y viennent depuis peu. C’est encore une fois le travail collectif régulier qui contribue à mettre en relief la capacité de chacun-e à exercer une responsabilité et non une cooptation sur la base de réseaux constitués ailleurs. C’est sur ces bases que la présence des femmes s’est développée dans le SNES, que la présence de militantes s’est affirmée. Cela ne va pas toujours sans difficultés, le mouvement syndical étant lui aussi traversé par les contradictions de la société. Mais la situation évoluera d’autant plus rapidement que filles et garçons seront mieux informés de l’évolution des sociétés, du rôle des femmes dans ces sociétés comme de l’importance du symbolique, de l’imaginaire, pour construire des contre-modèles de l’image des hommes et des femmes dans notre société.
Michèle, FGTE-CFDT :
Je trouve tout à fait légitime que l’on revendique des postes pour les femmes dans les lieux de pouvoir, notamment dans les CE d’entreprises plus ou moins mixtes où pourtant presque tous les postes d’élus sont détenus par des hommes. On voit bien qu’il y a là une exclusion systématique des femmes dans les postes de titulaires dans les entreprises. Je suis au siège social d’Air France. Dans le collège maîtrise, il y avait 12 candidats, les 11 premiers étaient des hommes. Pourtant, dans le siège, il y a au moins 50 % de femmes. Quelque chose ne va pas ! Si nous sommes dans le syndicat, c’est pour faire bouger les choses et pour cela il faut essayer d’occuper des lieux de pouvoir. Il ne faut pas avoir peur de dire que l’on veut du pouvoir, et notamment dans les CE, même si certains disent qu’ils n’ont pas le droit de veto et que cela n’a pas d’intérêt. Je ne suis pas d’accord. Être élue CE, c’est quelque chose d’important. On y débat de la durée du travail, le temps partiel, la précarité, les emplois jeunes, la structure des salaires… On ne doit pas laisser les postes de titulaires aux hommes mais revendiquer toute notre place. Cela ne se fera pas tout seul, il faudra se bagarrer, parce que, comme ce sont des lieux de pouvoir, les hommes se battront pour les conserver.
Une autre chose importante examinée par les CE, c’est l’égalité professionnelle. Or, il faut bien le dire, les mecs s’en foutent totalement, il n’y a jamais pratiquement d’intervention sur ce sujet et cela me semble fondamental de faire apparaître ce qui est totalement invisible dans l’entreprise : toutes les discriminations envers les femmes. Faire ressortir les discriminations dont sont victimes les femmes alors que les rapports faits par les directions les nient. Il faut aussi prendre en compte les revendications des femmes sur l’embauche, sur la promotion, sur la formation, sur le temps de travail, le temps partiel, etc., tout ça à travers le rapport sur l’égalité professionnelle ; mais aussi les problèmes de garde d’enfant, etc. A mon travail, il y a une copine qui se bat depuis cinq ans dans le cadre d’une association pour obtenir une crèche et une halte garderie sur la plate-forme aéroportuaire de Roissy. Pour vous donner deux chiffres : 50 000 salariés sur Roissy, 38 000 en horaires décalés, matin, soir, nuit, week-end, jours fériés, etc ; une population très jeune pour faire ce type d’horaires, 5000 enfants de moins de quatre ans et rien pour les garder. « Les femmes n’ont qu’à se démerder », comme on nous dit partout. Et pourquoi cette situation ? Parce que tous les CE sont tenus par des hommes. Dans tous les syndicats, ce sont des hommes (nous avons 17 syndicats), dans tous les postes de direction ce sont des hommes. Alors, bien sûr, difficile dans ces conditions de faire prendre en compte les revendications spécifiques des femmes. D’ailleurs, on nous rabâche que c’est à nous de nous occuper des enfants. Un sondage CREDOC il y a trois mois montrait que 87% de la population française considère que c’est aux femmes de s’occuper des enfants. Et les milliers d’appels que l’association de Roissy reçoit chaque année viennent presque exclusivement des mères. Il faut faire prendre en compte cette situation supportée par les seules femmes, obligées, avec des horaires affreux, de jongler pour faire garder leurs mômes.
Sud-ANPE :
Je voulais revenir sur deux ou trois choses. La première, c’est que le choix de s’investir dans le militantisme, qu’il soit syndical ou associatif, est le même pour les hommes et les femmes ; ce sont les contraintes qui ne sont pas les mêmes. La deuxième, c’est que si les femmes veulent s’investir, avoir du pouvoir, des responsabilités, elles ont aussi envie de faire « autrement », différemment du modèle qui leur est imposé depuis des années et des années, ce fonctionnement monolithique avec une seule parole d’homme qui n’entend pas celle des femmes. Cette manière de militer autrement, de prendre des responsabilités autrement, c’est quelque chose qui n’est pas entendu, que ce soit dans les structures, associations syndicales ou politiques. Les femmes reçoivent et perçoivent les choses différemment ; elles travaillent différemment, elles vivent leurs conditions de vie au travail complètement différemment et pas forcement spécifiquement. Lorsqu’on aura entendu ce différent, cet autrement, en découleront des modes de fonctionnement qui seront autres. Ce peut être décentraliser les responsabilités, les réunions, qui se focalisent au même endroit, sur Paris, ce qui nécessite pour les copines de province des déplacements difficiles ; ce peut être aussi des problèmes de garde. Les syndicats doivent réfléchir sur les moyens qu’ils se donnent pour que les femmes puissent faire face à leurs problèmes. La troisième chose, c’est qui si les femmes sont capables de porter les revendications, si elles n’ont pas besoin des hommes pour le faire à leur place, elles ont par contre besoin qu’ils partagent et qu’ils soutiennent ses revendications. Les hommes et les femmes doivent partager les revendications des femmes, être solidaires.
Une dernière chose et qui me fait peur, c’est la montée de l’ordre moral, avec le FN et l’extrême droite, tout ce discours sur la place des femmes qui doit restée au foyer ; l’image aussi de la femme en politique, la femme du maire de Vitrolles, la potiche sur les affiches etc. Je n’ai pas envie de démontrer que je suis la même femme. Je suis une femme différente et différente de cette image qu’elles donnent. Il faut aussi compter avec la volonté du FN de s’impliquer dans la vie syndicale (on l’a vu aux prud’homales dans les entreprises semi publiques).
Sud-Éducation :
Je voulais intervenir après ce qu’a dit Claire Villiers sur un syndicalisme féministe à réinventer ou à inventer tout court. A Sud-Éducation, on travaille souvent en intersyndicales, en interpro, et c’est aussi pour ça qu’on est là aujourd’hui. Même si on peut regretter l’absence au moins de la CGT, nous sommes aujourd’hui une intersyndicale qui a débattu, qui a travaillé, constaté les différences. Si cette intersyndicale n’a pas le pouvoir d’apparaître, d’agir, nous serons encore une fois un supplément d’âme. Je voulais, si ce n’est vous proposer un enjeu, du moins un objectif à court terme qui est la manifestation de demain 7 mars sur le chômage. Je regrette qu’il n’y ait pas un cortège de femmes au début de la manifestation et je voudrais proposer, puisque qu’on aura pas cette visibilité pour montrer que les femmes sont les premières concernées par la précarité et le chômage, que nous disions très fort tous nos slogans partout où nous serons dans la manifestation.
Marie-Christine, CFDT Météo :
Je voulais vous faire part d’une expérience un peu atypique. Je suis dans un milieu technique très masculin puisque les femmes n’ont que récemment été autorisées à passer le concours de la météo, dans les années 72. Actuellement, dans les milieux techniques, les femmes représentent 20%. Pourtant, au niveau syndical, les femmes sont très bien représentées puisqu’elles sont plus de 25% des adhérents et 30% des militants au bureau national et dans les instances paritaires ; la secrétaire générale depuis 5 ans est une femme. On est donc sur-représentées au niveau syndical y compris à des postes de responsabilité.
On pourrait penser que l’on a tout gagné mais il y a une contrepartie à cette présence forte : c’est que l’on n’a jamais parlé des problèmes des femmes à la CFDT météo, on n’a jamais mis en avant nos problèmes de femmes. Depuis 20 ans que je milite à la CFDT Météo, je n’ai jamais entendu parler de problèmes spécifiques de femmes. Il y a 25 ans, c’était difficile de faire des études scientifiques en étant une femme, de rentrer dans un milieu complètement masculin, de s’imposer au niveau professionnel. Pour la plupart, étant ingénieure, nous sommes devenues les premières chefs de service. Nous sommes cadres, avec l’impression d’avoir gravi les échelons petit à petit, de s’être affirmé et d’avoir les mêmes droits que les hommes. C’est vrai que le statut de la Fonction publique nous protège parce qu’il n’y a pas apparemment pas de discriminations. Mais y a-t-il vraiment égalité entre les hommes et les femmes ? C’est une question qu’on ne s’est jamais posée. Quant on fait des statistiques, on s’aperçoit que non, il n’y a pas égalité professionnelle. Cela ne vient pas du milieu professionnel en lui-même mais de la société et de la place des femmes dans cette société. Des femmes refusent des postes à responsabilités ou ne se mettent pas en avant ; on dit qu’elles privilégient leurs problèmes familiaux ou qu’elles vivent différemment leur travail. Les femmes s’arrêtent pour garder leurs gosses malgré des métiers intéressants. Et on se retrouve, au bout de 25 ans, avec une progression de carrière moindre par rapport aux hommes.
Pourquoi je vous parle de cette expérience ? Parce que jusqu’à maintenant, je ne m’étais pas intéressée au mouvement féministe. J’avais gravi mes échelons au niveau professionnel, syndical. Je pensais que l’on pouvait nier les problèmes féminins en s’imposant au niveau syndical. Je reconnais aujourd’hui qu’il faut, quelque soit le milieu professionnel, prendre en compte la spécificité féminine même s’il n’y a pas de discriminations dans le milieu professionnel. La société fait que cette discrimination existe. Ce type de discours a du mal à passer parmi les camarades hommes et je vois que je fais sourire lorsque j’en parle. J’ai proposé de faire une enquête à la CFDT Météo sur les différences hommes/femmes, ils acceptent mais ne sont pas vraiment persuadés de l’utilité de ce type de démarche.
Certaines ont dit que l’accès aux postes de responsabilités amène un risque de starisation. Quant on est une femme responsable syndicale, surtout dans un milieu masculin, il y a un comportement, y compris des collègues ou de la direction qui est trouble, il faut s’en rendre compte. On nous surestime, on est des femmes « extraordinaires », des femmes « formidables » parce qu’on est arrivées à ce stade de responsabilité. C’est un risque qu’il nous faut connaître. La femme qui réussit est mise sur un piédestal.
Je souhaite qu’il y ait une autre rencontre de ce type et qu’on ouvre à l’Europe et à l’International. Je voudrais que nous ayons aussi une pensée particulière en cette presque veille du 8 mars pour les femmes d’Afghanistan. Nous demandons aujourd’hui le droit au travail, elles, elles demandent le droit à la vie, tout simplement.
Anne, SNPES-PJJ-FSU :
La FSU est une jeune fédération mais, sur la place des femmes, il n’y a rien de neuf : toujours les mêmes difficultés pour que les femmes occupent des places dans les directions. Les chiffres sont édifiants : au conseil délibératif fédéral national, il y a à peine 20 % de femmes et, pour l’ensemble des sections départementales FSU, il y a tout juste 10 % de femmes secrétaires départementales !
Le fait de se retrouver partie prenante du Collectif national pour les Droits des femmes avec d’autres femmes syndicalistes et féministes a permis de se sentir plus fortes dans nos syndicats pour remettre en cause les façons de fonctionner qui excluent les femmes. La mise en place de commissions femmes dans les syndicats me semble primordiale pour prendre en compte la réalité de l’exploitation des femmes, de leur conditions de travail. Si je regarde la FSU, ses représentants au conseil supérieur de la Fonction publique sont uniquement masculins pour un champ professionnel (et syndical) très féminisé. Lors des discussions sur la réduction du temps de travail par exemple, j’ai les plus grands doutes sur la prise en compte dans leur argumentaire de ce que nous pouvons connaître et dire sur le temps partiel des femmes. A la FSU, nous souhaitons que la commission femme puisse saisir l’ensemble des secteurs (revendicatif, éducation, etc.) sur les questions où nous pensons que la dimension femme doit être prise en compte.
Pour que les femmes trouvent leur place à tous les niveaux, notamment de directions, la formation syndicale est extrêmement importante. En effet, l’impression de ne pas être à la hauteur, de ne pas avoir les capacités pour prendre des responsabilités est souvent partagée par les jeunes copines. La formation syndicale, comme la prise progressive de responsabilité, est indispensable pour contrer cela.
J’ai pu constater dans mon syndicat, le SNPES-PJJ-FSU que le fait depuis quelques années d’avoir un bureau national féminisé a provoqué des changements dans la façon de se comporter des hommes. Le rapport à la parole, au pouvoir, n’est pas exactement le même et cela a provoqué de fait un changement d’attitude.
Marie-Claude, CFDT Basse-Normandie :
Je pense que la seule solution est d’avoir des lieux où l’on puisse élaborer une réflexion spécifique, où il y ait une parole femme. C’est vrai que les commissions travailleuses ou « femmes » ont eu une interaction très importante pour faire avancer les revendications, pour que les organisations syndicales prennent en charge des problèmes qu’on disait « sociétaux » dans les années 70/80. Puis il y a une baisse de cette activité et les militantes n’ont plus vu la nécessité de commissions travailleuses. Je pense qu’il faut avoir la possibilité, dans l’organisation syndicale, de moments non mixtes. Ceci dit, cela restera insuffisant tant qu’il n’y aura pas, à l’extérieur du mouvement syndical, des lieux où les femmes puissent se rejoindre, discuter, débattre, voir ce qu’elles peuvent faire ensemble. Il ne faut pas se leurrer, ça n’est pas le mouvement syndical qui fera avancer à lui tout seul les revendications des femmes.
J’appartiens à une Union régionale, je suis à la commission exécutive, je suis d’ailleurs la seule femme. C’est une région qui a beaucoup mobilisé sur la réduction du temps de travail. Ceci dit, on a eu un mal fou à mobiliser pour la fameuse manifestation du 15 novembre du Collectif des droits des femmes sur la réduction du temps de travail. C’est resté une affaire que j’ai prise en charge avec la commission travailleuses. Je dirai, pour nuancer, qu’il est très difficile de mobiliser sur ce thème. Ça m’a vraiment choquée parce que je trouvais que c’était la manifestation idéale pour associer les revendications dites féministes et des revendications qui avaient des répercussions pour l’ensemble de la société.
Joëlle, Sud-Rail :
La situation des femmes dans l’organisation syndicale Sud-Rail est le reflet de la situation du rapport hommes/femmes dans l’entreprise. Il faut rappeler que la SNCF est marquée par une très forte dominante masculine - les femmes ne représentent qu’un peu plus de 10 % du personnel à statut. Ainsi, force est de constater que nous sommes peu d’adhérentes et de militantes à Sud-Rail.
Pour autant nous avons, dès notre congrès constitutif, tenu à marquer fermement notre refus de toute discrimination, qu’elle soit sexiste ou raciste. C’est donc sur ces bases claires que nous nous adressons aux salariées, qu’elles soient au cadre permanent de la SNCF, salariées contractuelles c’est à dire sans le statut de cheminote, mais également femmes travaillant dans les sociétés de sous-traitance et plus particulièrement dans les sociétés de nettoyage ferroviaire où les conditions de travail, tant pour les hommes que pour les femmes, relèvent d’atteintes quotidiennes au droit du travail.
Fabienne, SNEP-FSU :
Nous représentons les enseignants de l’éducation physique et la particularité de ce milieu c’est qu’il concerne 50 % d’hommes et 50 % de femmes et que la proportion est la même dans le syndicat. Ce syndicat a une priorité : la formation des jeunes et le renouvellement des cadres. La question c’est : à quelles conditions pourrons-nous offrir un syndicalisme de transformation sociale ; un syndicalisme qui permettra à chacun de trouver un enrichissement grâce au collectif ; un syndicalisme où chacun trouvera une gratification personnelle ; un syndicalisme dans lequel chacun pourra se situer. Il faut donc avoir le souci du pluralisme. Nous avons donc mis une grande priorité sur la formation syndicale des jeunes ou sur des thèmes plus précis. Nous avons des dossiers de plus en plus nombreux à traiter sur lesquels il faut des compétences si on veut gagner. Nous avons fait un état des lieux pour repérer combien de femmes étaient concernées dans les instances départementales, académiques et nationales et sur quelles fonctions elles apportaient leur contributions. Au niveau départemental, on retrouve à peu près un tiers des femmes sur la totalité des membres des bureaux départementaux ; sur les niveaux académiques et nationaux, un quart. Pour les tâches, elles sont souvent trésorières ou/et commissaires paritaires c’est-à-dire que les fonctions de représentation, les fonctions de négociations avec l’institution, ce sont le plus souvent les hommes qui les assument.
Pour terminer, je voudrais dire qu’on a un secteur femme au SNEPS qui fonctionne depuis très longtemps. Pour l’instant, la commission est mixte ; elle traite de problèmes spécifiques et généraux avec un éclairage masculin et féminin ; il y a un éclairage féminin à travailler à propos du métier de professeur d’éducation physique en tant que mères ou futures mères (problèmes des grossesses) et de la formation des filles futures professeures. Cette commission a par ailleurs écrit des textes qui ont été intégrés dans les textes de congrès.
Annick, Sud-PTT :
Dès sa création, Sud-PTT a inscrit dans ses textes fondateurs la reconnaissance de l’oppression spécifique des femmes, la nécessité de lutter contre et de veiller à ce que les femmes trouvent toute leur place dans leur organisation syndicale.
Malgré cet engagement de principe, le bilan est loin d’être globalement positif ! Le taux de féminisation de nos adhérents (33 %) est en dessous du taux de féminisation global de La Poste et de France Télécom (39%). A La Poste, le travail volontariste fait depuis quelques années en direction du personnel contractuel (des femmes à 85%) a permis que nous commencions à syndiquer ce personnel précaire et largement féminisé. A France Télécom, nous avons longtemps été implanté majoritairement dans les secteurs traditionnellement à dominante masculine (les services techniques) et nous avons encore du mal à nous implanter et à prendre en charge le secteur commercial, un secteur à personnel largement féminisé et qui subit aujourd’hui une aggravation de ses conditions de travail, du « stress »... et un bouleversement très important des horaires.
A Sud-PTT, nous pensons qu’il faut rendre visible la situation des femmes dans le syndicat. Pour cela, nous faisons des points réguliers, dans nos structures, nos publications, sur le taux de féminisation des adhérents, le nombre de femmes dans les structures, dans les réunions etc. Au niveau fédéral, nous avons aujourd’hui 35 % de femmes au Bureau fédéral et au Secrétariat fédéral. Il faut dire que nous avions mis en place, dès le premier congrès, des mesures statutaires en terme de places « réservées aux femmes » dans ces deux structures : 20 % au départ, puis une mesure de 33% au dernier congrès fédéral en 96. Une politique volontariste qui est beaucoup plus difficile à faire prendre en compte par les syndicats départementaux dont les structures sont peu féminisées (entre 15 et 20 % en moyenne).
Nous nous soucions aussi du problème du renouvellement des militants. Pour que l’aspect femmes soit pris en compte dans l’effort qui est fait pour que de nouvelles personnes prennent des responsabilités dans SUD-PTT, il faut être particulièrement vigilant(e)s et bien faire comprendre qu’il y a un enjeu à ce que des femmes soient dans les structures : enjeu sur les revendications, le fonctionnement, et enjeu sur le modèle social que nous construisons.
Nous avons besoin, dans le syndicat, de lieux non mixtes (commissions femmes), mais aussi et parallèlement de participer aux lieux mixtes, les structures habituelles des syndicats. Sinon, il y a deux risques : que les commissions mixtes soient « la bonne conscience » de l’organisation syndicale sans que cela change quoi que ce soit ; que ce soit aussi le lieu où les copines motivées sur ces sujets « se tiennent chaud » (c’est parfois utile de se tenir chaud...) mais ne pèsent en rien sur les orientations et la pratique du syndicat.
Enfin, nous pensons que, pour avancer, le mouvement syndical a besoin d’être bousculé par un mouvement autonome des femmes. Même si celui-ci a aujourd’hui du mal à se structurer, s’il ne peut être la reproduction des années 70, il n’en demeure pas mois nécessaire et urgent. C’est aussi pourquoi nous sommes investies dans le Collectif national pour les Droits des femmes que nous considérons comme le lieu unitaire le plus adéquat aujourd’hui pour défendre ensemble les droits des femmes.
Sophie, SNUIPP-FSU :
Encore un syndicat de la FSU, le syndicat des instituteurs et des institutrices. Je voudrais dire que des choses restent quand même surprenantes. Le SNUI-pp est un syndicat jeune, 6 ans d’existence. Il avait tout à reconstruire, dans un milieu extrêmement féminisé (entre 75 à 80 % de femmes institutrices), On ne peut pas dire qu’il y avait des barrières, des gens qui s’accrochaient à leurs postes, qui empêchaient que tout le monde puisse trouver rapidement sa place. On est dans un milieu plutôt bien syndiqué par rapport au taux de syndicalisation en France. D’ailleurs, notre taux de syndicalisation est exactement à l’image de la profession, le SNUI-pp syndique 75 % de femmes. Et pourtant, dés le début, il y a véritablement une érosion de la présence des femmes plus on monte dans les instances. Dans les conseils syndicaux départementaux, on tombe de 75 % de femmes à 43 %. Quand on arrive à la direction nationale, on tombe à 25 %. Il y a là quelque chose de véritablement choquant. La première tâche que l’on a eu, à la commission femme SNUI-pp c’est de rendre cela visible. Mais même ça, ça veut dire construire un rapport de force. Soit on nous écoute pas, soit on nous écoute et puis comme ça fait mal quelque part on dit : mais oui, mais c’est comme ça, y’a d’autres problèmes ; ou on essaie d’évacuer, ou on nous écoute dans l’indifférence. Les explications générales sur la place des femmes dans la société ne sont pas si faciles à faire accepter à des camarades qui nous disent très fraternellement : « ça peut pas être moi le fautif ; c’est vrai dans des pays où la situation des femmes est terrible, où il y a des conflits sociaux, mais c’est pas possible chez nous ». Ils n’acceptent pas l’idée qu’eux aussi puissent reproduire les mécanismes de domination masculine ; ça n’est pas une question d’individu bien sûr mais un ensemble collectif qui agit.
Sur les solutions : je crois qu’il ne faut pas essayer d’isoler les éléments un par un pour essayer de peser. Je crois qu’on est obligé d’articuler tout en même temps, c’est ça qui rend la tâche extrêmement difficile. A la fois, il faut articuler tout ce qui a déjà été évoqué du point de vue des raisons structurelles dans nos organisations : non cumul des mandats, rotation des tâches, il y a des statuts qui le permettent dans le SNUI-pp mais ensuite c’est loin d’être évident. Une copine disait hier qu’à partir de 18h il faudrait obligé à vider les locaux syndicaux. Comme ça les femmes n’auront plus cette culpabilité due à l’obligation quotidienne de partir toujours avant la fin des réunions, plus tôt que les autres permanents. On pourrait aussi parler de ce qu’on demande comme charge de travail aux permanents et aux militants. C’est aussi un problème cette image qu’on donne.
On a un métier qui, du point de vue des rythmes de travail, est fortement accolé au rythme de vie des enfant. Pour une institutrice, son milieu social, son mari, ses enfants s’habituent à ce qu’à 16h30, le mercredi et les vacances elle soit disponible. Passer dans le monde du militantisme syndical rompt violemment avec ce rythme. Toutes celles qui l’ont pratiqué peuvent vous dire que cela fait des dégâts autour de soi. Bien sûr, comme il nous faut tout construire, on veut s’intéresser à tout et ça mène à une vie absolument infernale qui n’est pas assumable pour une majorité de femmes. Nous devrions avoir une charte de fonctionnement qui tienne compte de ce problème.
Par ailleurs, je pense qu’il faut des commissions femmes, des structures non mixtes pour se battre, renforcer le Collectif des droits des femmes, fonctionner un peu en « lobby ». Il faut renforcer à l’extérieur tout ce qui nous a permis d’avancer à la FSU. Pendant que nous nous construisions, il y avait le Collectif du droit des femmes, des manifs dans les rues, les Assises qui nous permettaient de créer un rapport de force à l’intérieur. Sinon, individuellement, la tâche est tellement écrasante, s’est tellement décourageant d’être toujours renvoyées au fait d’être féministes que des fois on baisse les bras.
Pour finir, je suis convaincue de la nécessité de construire le mouvement autonome des femmes. Par contre je pense que les formes de reconstruction de ce mouvement sont multiples. Je ne fais pas une division aussi nette que d’autres copines entre mouvement autonome et organisations syndicales. Quand on fait des commissions femmes, c’est parce qu’on se sent bien entre femmes, pour discuter, construire un rapport de force, élaborer. Pour moi, ça fait aussi partie de du mouvement de femmes. S’il faut construire un mouvement pour les femmes, par les femmes, il faut intégrer tous les milieux, toutes les structures dans lesquelles on fait avancer le schmilblic.
Yvette, SUD Éducation :
Je vais prendre comme point de départ la conclusion d’une intervenante de ce matin, qui, si j’ai bien compris, a dit qu’il faut peut-être arrêter de parler de nos spécificité. Si je peux continuer cette phrase, je dirai que c’est ce qui fonde SUD Éducation : on est dans une société mixte et multiple et c’est de cette façon là qu’il faut aborder les problèmes. Pour le moment, notre taux de syndicalisation correspond au pourcentage hommes/femmes dans les différents corps de métier. Sur le plan des prises de responsabilités, nous sommes en phase de construction. Nous n’avons pas de volontarisme, mais le pourcentage dans les postes de responsabilités correspond au pourcentage hommes/femmes de nos syndiqués. Nous avons décidé pour le moment que le problème des femmes est un problème transversal et qu’il faut le porter comme tel. On verra bien si cela marche, mais c’est en tout cas le pari qu’on veut tenir. Pour ce qui est des commissions femmes, nous avons décidé de ne pas en faire. Cela ne veut pas dire qu’en certaines périodes de l’histoire, il n’y ait pas eu besoin de groupes de paroles ciblés et éventuellement non mixtes. J’ai l’impression qu’en 1998, on n’est pas obligé de replaquer comme principe l’existence de commissions spécifiques non mixtes.
J’ai aussi envie de dire que ce n’est pas une qualité d’être une femme. Revendiquer sans arrêt des places pour les femmes, je n’ai pas envie de faire cela. Le fait d’être une femme n’est pas une qualité en soit. Que l’on reconnaisse la mixité de la société, que les femmes discriminées par la société puissent bénéficier des instruments pour se construire, c’est une chose. Par contre, en terme de militantisme politique ou syndical, n’avançons pas le fait d’être une femme comme quelque chose qui doit être pris en compte pour avoir des places. Par ailleurs, il me semble évident qu’il faut un mouvement féministe qui porte les idées féministes et soit indépendant des partis politiques et partis syndicaux.