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Correspondant NPA - Dans votre communiqué de presse à la veille du 1° juin, vous qualifiez cette mesure de « racket » et « enfumage ». Pourquoi ?
Lucien Sanchez - La Métropole met en avant la nécessité du soutien d’étiage, qui est autour de 50 m3/s en été. Or la Métropole pompe tout au long de l’année 1,8 m3/s dans la Garonne, mais en restitue 1,3 m3 après traitement par la station d’épuration. La consommation réelle de la Métropole est donc de 0,5 m3/s, soit 1 % du débit d’étiage. Admettons que cette mesure permette d’économiser 5 %, ce qui est déjà beaucoup, cela ne représentera au final que 0,05 % du débit d’étiage, c’est-à-dire pratiquement rien ! Voilà pour l’enfumage. D’autant plus que la Métropole affirmait il n’y a pas si longtemps que « la consommation d’eau de Toulouse-Métropole est quasi négligeable, même en cas de faible débit ».
Et pour le « racket » ?
Tout simplement parce qu’en mettant en application cette mesure au 1er juin, elle prive les usagers de la réduction du tarif de 30% pendant les cinq premiers mois, ce qui lui permet d’engranger entre 12 et 13 millions d’euros sur l’année sur le dos des « ménages » qui perdront plusieurs dizaines d’euros.
La Métropole avait-elle vraiment besoin d’opérer ce « racket » ?
On touche là à la question de fond qui ramène aux contrats. Rappelons que lorsque en 2018 la Métropole a opté pour une délégation de service public (et non une régie) et conclu un contrat avec Véolia pour l’eau potable et Suez pour l’assainissement, celles-ci avaient, pour obtenir le marché, proposé des offres très alléchantes garantissant un prix « très bas ». Mais pour tirer cette offre au plus bas, les concessionnaires avaient tablé sur une augmentation annuelle de la consommation d’eau de 1%. La Chambre régionale des comptes avait d’ailleurs reproché à Toulouse-Métropole d’avoir accepté une offre basée sur une telle prévision d’augmentation d’activité. Or la consommation est en baisse (de 7 % en 2023) et Veolia et Suez se retrouvent en déficit, respectivement de 8,5 et 27 millions d’euros sur trois ans.
La consommation est en baisse (de 7 % en 2023) et Veolia et Suez se retrouvent en déficit, respectivement de 8,5 et 27 millions d’euros sur trois ans
Les contrats étant signés aux risques et périls des concessionnaires, ils ne peuvent demander une compensation à la Métropole. Sauf si ces manques à gagner résultent d’une nouvelle disposition mise en place par la collectivité elle-même ! Et c’est ce que vient de permettre la mise en place de la tarification saisonnière.
Le 4 avril, deux avenants ont été votés dans lesquels « Toulouse Métropole s’engage à compenser les baisses de volume à condition qu’elles soient directement imputables à la tarification saisonnière ». Voilà à quoi pourraient servir la cagnotte des 12 millions d’euros. Cela reste à vérifier, mais nous ne pouvons qu’avoir des soupçons quant à une entente de la Métropole avec les délégataires.
Même si la tarification saisonnière n’est pas une bonne mesure, la question des économies d’eau reste posée ?
Tout à fait. Nous nous réjouissons que 7 % d’économies aient été réalisées en 2023 (entre 3 et 4 % au plan national). Au passage cela montre que les habitants de la Métropole sont très conscients de la nécessité d’économiser l’eau sans qu’il soit nécessaire de prendre une mesure qui, quoi qu’on en dise, a un caractère punitif.
Mais la question principale des économies d’eau, au moment du soutien d’étiage, c’est la consommation par l’agriculture irriguée qui pompe à elle seule plus de 70 % de la ressource en été. Tant que ce modèle agricole persistera, les économies d’eau dans la Métropole – certes nécessaires – n’auront qu’un effet très limité.
En fait, derrière ce débat sur la tarification saisonnière, il y a un problème plus profond, souligné dans un rapport récent : « Alors que les charges des services d’eau sont majoritairement fixes, leurs recettes dépendent des volumes distribués. Or la consommation d’eau potable diminue de l’ordre de 1 à 2 % par an. Souhaitable, cette réduction se traduit pour les services d’eau par une diminution des recettes. Le modèle économique des services d’eau et d’assainissement n’est donc pas adapté à l’impératif de sobriété. Il est urgent de le réformer, dans le respect des principes d’équité, d’équilibre économique et de préservation de la ressource. »
Cette diminution des recettes pose justement la question de la gestion par les entreprises privées qui devront distribuer moins d’eau tout en cherchant à dégager le profit maximum. Dès lors les tarifs risquent d’exploser. C’est un argument de plus en faveur de la gestion publique de l’eau. À Toulouse comme ailleurs.
Au-delà de ces dénonciations d’enfumage et de racket, quelles sont les propositions d’Eau-Secours 31 ?
Nous menons campagne pour la mise en œuvre d’une nouvelle tarification, avec gratuité d’un certain nombre de m3 et progressivité ensuite par tranches. Mais nous ne pouvons être plus précis, car il faudrait d’abord disposer de statistiques précises sur les consommations des divers usagers : ménages, industrie, agriculture, commerces et artisans, hôpitaux, les administrations, etc. Nous ne cessons de demander ces chiffres.
Il faudrait d’abord disposer de statistiques précises sur les consommations des divers usagers : ménages, industrie, agriculture, commerces et artisans, hôpitaux, les administrations, etc.
Nous observons aussi que la mise en application est assez complexe, en particulier pour les personnes en habitats collectifs (chiffre très élevé à Toulouse), car cela peut provoquer des injustices sociales. Ainsi, Bordeaux a renoncé à le faire, Montpellier a dû réajuster sa tarification, mais cela peut aussi bien marcher, à Muret par exemple, mais aussi à Lyon où le projet semble le plus abouti.
Il est piquant de noter que sur proposition de deux élus (dont un de l’opposition) Jean-Luc Moudenc, président de Toulouse-Métropole, a accepté d’intégrer deux amendements à la délibération du 4 avril, prévoyant une étude sur la gratuité des premiers m3 et sur la tarification progressive, ainsi que sur le développement des compteurs individuels.
Nous suivrons donc attentivement, avec les éluEs qui partagent nos convictions, la finalisation de ces études, en exigeant d’y être associés.
Le débat se poursuit donc, avec le bilan que la Métropole devra tirer d’ici un an sur la nouvelle tarification.
Propos recueillis par notre correspondant