• Une simulation numérique permet de prendre en compte le bouclage macroéconomique du programme et de le comparer à un scénario de référence obtenu par prolongement des tendances récentes. Elle montre que le programme ne provoquera ni explosion du déficit public, ni récession, ni fièvre inflationniste. Au contraire, hormis la balance commerciale (légèrement dégradée, ce qui devrait être compensé par le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières prévu par l’UE), toutes les variables de l’économie française (PIB, dette, etc.) seront améliorées par les mesures du NFP.
• La mise en œuvre de ce programme réduira les inégalités et le chômage, augmentera le pouvoir d’achat des citoyens tout en maintenant une inflation autour de la cible de 2 %. Nous montrons que, non seulement la décarbonation est une chance pour l’économie française mais que l’ensemble du programme du NFP constitue un gisement potentiel d’au moins 495 000 emplois nets en 5 ans (i.e. incluant ceux qui devront être reconvertis ou abandonnés). La justice sociale et l’efficacité écologique ne sont pas les ennemies de l’emploi en France. Au contraire, ce sont ses meilleurs alliés.
• Nous confirmons que l’enveloppe annuelle de 30 milliards d’euros pour la bifurcation écologique annoncée par le NFP est cohérente et en proposons une version détaillée.
• Nous proposons des canaux complémentaires et originaux de financement et de recettes, lesquels permettront de diminuer davantage encore le coût net des mesures. Nous considérons par ailleurs qu’il est possible de dégager une marge de manœuvre budgétaire d’environ 20 milliards d’euros par an, en plus de ce qui a été envisagé jusqu’à présent par le NFP, sans nécessairement imposer au-delà de 50 % la tranche des plus hauts revenus .Aujourd’hui, le réalisme économique a changé de camp.
I-REMETTRE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE SUR UNE TRAJECTOIRE SAINE
Plusieurs commentateurs ont laissé entendre que ce programme déstabiliserait dangereusement l’économie française, en pesant sur les finances publiques, la croissance et l’emploi. Toutefois, tous se contentent d’examiner point par point le coût des mesures proposées, sans les mettre en regard de leurs effets.
• Un bouclage macro-économique offre la possibilité d’aller plus loin qu’un simple chiffrage, qui ne permet pas de prendre en compte les interactions entre les propositions du NFP et donc la trajectoire qu’il souhaite impulser à la société. Nous fournissons ici une représentation stylisée de cette trajectoire à l’aide d’une simulation macroéconomique, en prenant en compte l’essentiel des interactions entre toutes les variables en jeu : salaires, prix, emploi, investissements publics, dettes privées et publiques, inégalités, pollution etc. Voici la liste des mesures testées :
– Les investissements publics et la création de nouveaux emplois publics ;
– Le passage à la semaine de 32 h ;
– L’amorce d’une bifurcation écologique selon les lignes directrices indiquées infra (cf. section 3) ;
– La réforme de l’impôt sur le revenu et sur le patrimoine ;
– Le retour à l’âge de départ à la retraite à 62 ans ;
– La revalorisation du SMIC à 1 600 euros/mois ;
– Le déploiement du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF).
Pour tester ces mesures, nous avons utilisé le modèle Eurogreen
Fig. 1 Simulation des effets macroéconomiques du programme économique du NFP
Parcourue de gauche à droite et de haut en bas, la Figure 1 fournit les enseignements suivants.
Elle confirme tout d’abord l’effet positif de l’ensemble des mesures considérées sur le revenu national
L’effet redistributif du programme du NFP est confirmé par la baisse de l’indice de Gini de près de 3 points à horizon 2025. Quant au taux de chômage, il descendra en dessous de 4 % avant 2030, en premier lieu grâce à la réduction du temps de travail qui permet un partage du volume de l’emploi.
La dernière capsule de la Fig. 1 permet de visualiser les effets séparés de chacune des mesures de politique publique sur le chômage. Prise isolément, par exemple, la réforme de l’impôt sur les revenus provoquerait une hausse du chômage, mais celle-ci est plus que compensée par l’effet conjugué des nouveaux emplois créés dans la fonction publique et du retour de l’âge du départ à la retraite à 62 ans
II- CRÉER DE NOMBREUX EMPLOIS NON DÉLOCALISABLES ET PORTEURS DE SENS
De nombreuses études démontrent que la décarbonation de l’économie française, loin d’être l’ennemie de l’emploi, constitue, au contraire, un gisement de création d’emplois très important. Nos propres estimations confirment amplement ce constat.
Dans le secteur privé, les gisements de création d’emploi se trouvent notamment dans le bâtiment et dans l’agriculture. Le bâtiment constitue un enjeu majeur et pour lequel différentes études (Ademe, The Shift Project etc.) estiment que la rénovation va engendrer la création de 100 000 à 250 000 emplois locaux et non délocalisables. Enfin, le passage du modèle agricole agro-industriel intensif actuel à une agroécologie sobre en fossiles est également très propice à la création d’emplois.
La Figure 2 récapitule les créations d’emplois que l’on peut déduire de l’étude de l’Institut Rousseau, Road to Net Zero (RtNZ, 2024), ajustée à la période 2024-2029
Emplois créés d’ici 2029 (ETP = équivalent temps plein) |
Invest. nécessaires supplémentaires (M€ 2022 par an) | Emplois nets créés par M€ investi (ETP/M€) | Emplois nets créés (milliers d’ETP) |
Infras ferroviaires et cyclables | + 5 000 | 11-12 | + 58 |
Matériel roulant & vélos | + 1 000 | 9-11 | + 10 |
Rénovation | + 12 000 | 13-14 | + 160 |
Agriculture | +15% |
+ 13 | |
Production et réseaux d’énergie | + 2 200 | 8-9 | + 19 |
TOTAL |
|
Fig. 2 Créations d’emplois nets grâce à la transition écologique</p>
Nous estimons donc à 260 000 le nombre d’emplois créés dans le secteur privé au cours des 5 prochaines années, grâce aux principaux investissements prévus dans la transition écologique. Sachant que les futures diminutions d’emplois dans le secteur automobile (liées au report modal) ou à la baisse des constructions neuves auront lieu après 2029, ces créations d’emplois sont considérées comme nettes.
Dans le secteur public mis à mal ces dernières années, un rattrapage doit intervenir. Par exemple, dans le périmètre du ministère de la transition écologique où près de 20 000 postes ont été supprimés en l’espace de 15 ans, la création immédiate de près de 2 700 postes apparaît indispensable.
Les besoins du secteur de la santé sont immenses, en particulier dans l’hôpital public, à bout de souffle. Des créations d’emplois significatives sont nécessaires et pourraient représenter entre 50 000 et 100 000 postes d’infirmiers et d’aide-soignants. Sachant que, compte tenu des difficultés de recrutement dans des métiers difficiles et du temps nécessaire à la formation de ces nouveaux agents, les embauches devront être étalées dans le temps. Nous retenons la fourchette basse de 50 000 postes.
Dans le domaine de l’éducation, le NFP ambitionne d’atteindre la moyenne européenne en matière de nombre d’élèves par classe. Cela induirait le recrutement de 160 000 enseignants supplémentaires dans l’Éducation nationale. Cela revient à recruter, en moyenne 2 ou 3 professeurs supplémentaires par établissement en sus des recrutements courants.
Les besoins de la justice sont nombreux. Concernant les magistrats et les greffiers, eu égard aux capacités de formation existantes, il nous semble réaliste de tabler sur la création de 3 750 magistrats et 5 000 greffiers en 5 ans. S’agissant de l’administration pénitentiaire, l’augmentation du nombre de places pour agir contre la surpopulation carcérale nécessiterait le recrutement en cinq ans d’environ 9 000 agents supplémentaires. Au regard des besoins importants dans le domaine de la sécurité, notamment dans la police, des recrutements de l’ordre de 5 000 agents en cinq ans devront être effectués, afin d’améliorer les conditions de travail et limiter le nombre d’heures supplémentaires.
Au total, cela représente la création d’au moins 235 450 postes de fonctionnaires ou assimilés d’ici 2029. Additionnées aux créations d’emplois dans le secteur privé (260 000), nous obtenons une estimation d’environ 495 450 emplois en 5 ans, soit en moyenne, de l’ordre de 99 000 emplois par an
Certes, il existe de nombreux obstacles à la mise en œuvre concrète de ces plans de recrutement qui devront probablement relever d’une gestion prévisionnelle des emplois en fonction des contraintes : structuration de filières de formation professionnelle, déploiement large de l’apprentissage, montée en compétences des filières et partenaires sociaux (OPCO, CTI, etc…). Mais le potentiel d’un Big Bang sur le marché du travail est là.
III- ASSURER UNE VRAIE BIFURCATION ÉCOLOGIQUE
Le Nouveau Front Populaire annonce 30 milliards d’euros de dépenses supplémentaires dans la bifurcation écologique. Ces montants sont cohérents et comparables aux résultats de notre étude Road to Net Zero (RtoNZ), qui a chiffré les investissements publics et privés nécessaires à l’atteinte des objectifs climatiques de l’Europe et de la France en mobilisant plus de 150 chercheurs et experts européens.
Ce chiffrage est réaliste car il s’appuie sur les politiques publiques des pays européens ayant obtenu les meilleurs résultats de terrain. Basés sur une stratégie de transition globale intégrant des mesures de sobriété, ces investissements additionnels sont deux fois moins importants que ceux proposés par la Commission européenne, qui reposent presque uniquement sur l’électrification des usages. Cette stratégie permet une neutralité carbone en 2050 tout en garantissant la souveraineté énergétique de la France à moyen terme et réduisant sa vulnérabilité aux importations de matériaux critiques.
Si l’on adapte les besoins « moyens d’ici 2050 » de l’étude RtoNZ aux années 2024-2029 en considérant une montée en puissance progressive et réaliste, en particulier dans les domaines du bâtiment, de l’agriculture et du ferroviaire
• Rénovation énergétique des logements : + 11 Mds/an
• Rénovation énergétique des bâtiments publics : + 3 Mds/an
• Ferroviaire : + 3 Mds/an
• Puits de carbone (forêt) et biodiversité : + 1,6 Md/an
• Agroécologie : + 1,5 Md/an
• Secteurs stratégiques industriels : + 1 Md/an
• Production d’énergie bas-carbone : + 2 Mds/an
• Conversion des véhicules roulant (bus, camions, voitures) : + 2 Mds/an
• Infrastructures vélo et aide à l’achat d’un vélo électrique : + 3,3 Mds/an
• Soutien au développement des infrastructures de recharge : + 2,4 Mds/an
Pour les logements, nous proposons une prise en charge modulée selon les revenus, de 50 % en moyenne des coûts de référence du Rapport Sichel (2021) et de l’ADEME
Pour également accélérer la rénovation énergétique des bâtiments publics (de l’État et des collectivités), +3 Mds/an sont nécessaires d’ici 2029. Cela correspond à une prise en charge publique de 100 % des coûts de référence des rénovations énergétiques de ces bâtiments (+- 600 euros/m2 pour les travaux énergie) à un rythme de 2 % du parc public par an en moyenne d’ici 2029, afin d’atteindre un rythme de 3 % par an à partir de 2030 pour pouvoir rénover d’ici 2050 les 70 % du parc les plus énergivores (le reste ayant été construit récemment ou étant déjà isolé).
S’agissant du ferroviaire, un besoin à court terme d’au moins +2 Mds/an pour le renouvellement et la modernisation du réseau est très largement documenté dans les rapports du Conseil d’orientation des infrastructures (COI) et de l’Autorité de régulation des transports (ART). Ces investissements permettraient de rattraper le retard français dans ce domaine et d’approcher les niveaux d’investissements des réseaux les mieux entretenus (e.g. Autriche). Afin de permettre une baisse du prix des péages et des billets de longue distance pour l’ensemble des français, le financement public des investissements actuels devrait également augmenter d’environ 1 Md/an, soit un besoin total de + 3 Mds en moyenne sur cette période, centrés sur les lignes actuelles.
Enfin, les retours d’expérience des pays et régions de l’UE ayant obtenu les meilleurs résultats sur l’agriculture biologique (e.g. Toscane ou Portugal) montrent qu’il faut doubler les aides moyennes à l’hectare pour accompagner les conversions à l’agro-écologie, afin de passer progressivement les surfaces en bio de 10 % à 20 % de la surface agricole française. Avec le maintien de mesures agro-environnementales permettant des conversions progressives et une réorientation des aides aux revenus, à moduler selon les emplois créés, le besoin de financement pour cette stratégie est d’environ + 1,5 Md/an d’ici 2029, avec une augmentation à prévoir du budget de la future PAC de 30% pour la France.
IV- INVENTER DE NOUVEAUX CANAUX de FINANCEMENT
Aujourd’hui, le taux maximal d’imposition effectif sur les revenus des personnes physiques (IR) n’est que de 21 % environ et l’impôt a cessé d’être progressif. La proposition du NFP consiste à réformer l’IR de manière à restaurer sa progressivité tout en faisant en sorte que les contribuables dont le revenu mensuel imposable est inférieur à 4 000 euros ne subissent pas d’augmentation de leur imposition.
Pour estimer l’impact de cette réforme, nous avons eu recours à la formule de l’impôt abc, introduite par l’Institut Rousseau en 2021
‘a’ est le taux effectif d’imposition maximal ; ‘b’ est le revenu imposable mensuel minimum ; ‘c’ détermine la progressivité du taux d’imposition. Plus ‘c’ est grand, plus l’augmentation du taux d’imposition avec le revenu est lente.
Par construction, le taux effectif abc ainsi que le taux marginal ne peuvent pas diminuer avec le revenu, ce qui les rend progressifs au sens fort. On le voit, en section 1, dans la version que nous avons simulée pour notre bouclage macro-économique : l’indice de Gini qui mesure les inégalités globales est fortement affecté à la baisse par cette réforme.
Nous proposons d’adopter un taux effectif (et marginal) d’imposition maximal de 50% (paramètre ‘a’). Cela permettrait, en cumul avec les autres impôts en vigueur, de ne pas dépasser un taux d’imposition marginal maximal de 66 %. Le revenu imposable minimum que nous proposons est de 1 421 euros (paramètre ‘b’, intégrant la suppression de l’abattement de 10 %). Enfin, le paramètre ‘c’ serait fixé de telle sorte que l’impôt pèse davantage sur les classes les plus favorisées que sur les classes moyennes.
Concrètement, l’impôt sur le revenu resterait inchangé (voire serait légèrement allégé) pour les revenus mensuels inférieurs à 4 000 euros, c’est-à-dire pour 90 % des c12ntribuables français. En effet, environ 50 % d’entre nous ont actuellement un revenu inférieur à 2 000 euros de revenu brut par mois et seuls 10 % des contribuables ont un revenu qui dépasse 4 000 euros par mois. Le gain de recettes fiscales induit par la seule réforme de l’IR par le NFP telle que nous la comprenons est ainsi d’environ 15 milliards d’euros, au lieu des 5 milliards discutés aujourd’hui dans les médias. Soit un gain de 10 milliards.
IV. 2. Financement par garantie publique
Certains investissements peuvent être couverts par le privé sans grever le budget de l’État grâce à des garanties publiques qui n’affectent pas le déficit public. Inspiré par la création rapide de la Société de financement de l’économie française (SFEF) en 2008 sous le contrôle de l’Assemblée nationale pour soutenir des banques, ce modèle pourrait en particulier financer les investissements dans les bâtiments publics.
Les entreprises privées du BTP, des banques et des investisseurs privés pourraient alimenter un fonds dédié qui financerait ces investissements par une dette garantie par l’État et remboursée via les économies d’énergie issues de la rénovation thermique, à travers un contrat de performance énergétique et sous contrôle de la direction de l’immobilier de l’État (DIE). Pour 10 milliards d’euros de prêts par an remboursables sur une vingtaine d’années, ce système allégerait d’autant la facture de la rénovation des bâtiments publics et permettrait de rediriger une même enveloppe budgétaire vers d’autres chantiers de la bifurcation écologique. Combinés, ces deux exemples permettent de dégager annuellement 20 milliards de recettes supplémentaires par rapport à ce qui a été annoncé jusqu’à présent par le NFP, sans pour autant procéder à un matraquage fiscal, et sans compter de nombreux outils supplémentaires
Note réalisée sous la coordination de : Gaël Giraud
Auteurs et Autrices : Matthieu Bordenave, David Cano Ortiz, Emilio Carnevali, Giovanna Ciaffi, Simone D’Alessandro, Matteo Deleidi, Nicolas Desquinabo, Laurent Dicale, Tiziano Distefano, Riwan Driouich, Nicolas Dufrêne, Guillaume Kerlero de Rosbo, Judith Kleman, Fabien Lassalle-Humez, François Lefebvre, Malo Letan, Emilie Lory, Amine Messal, Guilherme Morlin, Adam Poupard, Philippe Ramos, Félix Ranson, Rébecca Rogly, Augustin Rogy, Davide Romaniello, Olivier Saut, Karim Sim Ahmed, Lauric Sophie et Camille Souffron.
Références
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