Le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) l’a promis : les Jeux de Paris 2024 seront les plus écologiques de l’histoire.
Pour tenir son pari, le 27 juin, le Cojop a annoncé compenser près de 1,5 million de tonnes de CO2 émis par l’événement en finançant à l’international et en France des projets qui capturent du carbone, comme la protection de zones naturelles ou la restauration d’écosystèmes.
Dans l’Hexagone, quatre projets de reforestation ont été retenus, localisés dans le Val-d’Oise, l’Aisne et les Vosges. Estampillés « Label bas-carbone », le seul standard de compensation carbone applicable en France, ils doivent compenser au total 14 500 tonnes d’équivalent CO2 – correspondant aux émissions des activités du siège de Paris 2024 depuis 2018, d’après les organisateurs. Soit moins de 1 % des émissions des JO. Les 99 % restants seront en principe compensés via neuf projets dans des pays du Sud : le coût de la compensation carbone en France serait six à sept fois plus élevé qu’à l’international, toujours selon les organisateurs.
Le 24 novembre 2023, des arbres sont plantés dans le cadre du programme « 1 jeune, 1 arbre » dans une forêt du Jura. Cette initiative s’inscrit dans la planification écologique française qui vise à replanter un milliard d’arbres d’ici 2030. © Photo Eliot Blondet / Sipa
Sur le papier, l’idée semble simple : planter des arbres en France qui, en grandissant, absorberont dans le futur une partie du carbone rejeté dans l’atmosphère par les JO.
Mais d’après les scientifiques contactés par Mediapart, ces projets posent nombre de questions : choix d’essences encore mal connues, surfaces de reboisement très réduites, cobénéfices des projets discutables, voire aucune garantie de résultats en matière de stockage de carbone.
Contacté par Mediapart, le Cojop a répondu que « les projets français sélectionnés l’ont été parce qu’ils sont encadrés par un Label bas-carbone distribué par l’Ademe [l’agence publique de la transition écologique – ndlr] ».
Une démarche qui pose question
Dans un premier temps, les experts forestiers s’étonnent de ce choix du Cojop de faire planter des arbres.
En mai 2023, Canopée, association française de défense des forêts, a publié une analyse critique du « Label bas-carbone ». Pour Bruno Doucet, chargé de campagne forêts françaises à Canopée, « il est pour absurde de compenser des émissions de CO2 en plantant des arbres. Il existe un décalage temporaire entre le carbone émis à un temps T et celui qui pourrait potentiellement être absorbé par des arbres d’ici à trente ans. Entre-temps, l’arbre peut dépérir à cause de ravageurs, être victime d’incendie ou croître moins vite à cause de la sécheresse, autant de facteurs de plus en plus décuplés par le changement climatique ».
« À cause des aléas climatiques, le taux moyen d’échec de plantation d’arbres en France a atteint le niveau record de 38 % en 2022, d’après le ministère de l’agriculture », avertit Sydney Vennin, de Fern, ONG de protection des forêts à l’échelle de l’Union européenne, et corédactrice de cette étude avec Canopée.
« La démarche du Cojop me gêne car ce ne sont pas les forêts mais les zones humides et les tourbières qui séquestrent le plus de carbone. On est plus dans de l’aide à la plantation que dans de la réelle compensation carbone »,détaille à Mediapart Jean-Marie Dupont, botaniste indépendant et administrateur de la Société botanique de France.
Des essences au comportement mal connu
Pour ce programme financé à hauteur de 600 000 euros, le Cojop a attribué deux projets de compensation carbone à l’Office national des forêts (ONF) et deux autres à la Société forestière de la Caisse des dépôts.
Cette dernière porte un projet de boisement de terres agricoles ou en friche dans le Val-d’Oise. L’objectif est de planter 52 hectares d’une nouvelle forêt, dite « de Maubuisson », qui s’étalera sur 1 340 hectares. Quatorze essences seront installées, telles que du chêne, du bouleau ou du cormier.
« Le projet compte planter entre autres des essences issues du pourtour méditerranéen, comme du chêne chevelu ou du hêtre d’Orient. Le but est d’anticiper le changement climatique,signale à Mediapart Jonathan Lenoir, chercheur pour le CNRS à l’université de Picardie-Jules-Verne, spécialiste de l’étude des impacts des changements climatiques sur la distribution des espèces. Mais boiser avec ces essences, par anticipation du réchauffement climatique global, peut aboutir à des échecs, notamment avec les hivers qui peuvent encore être trop rigoureux pour certaines essences méridionales en Île-de-France. »
Le second projet de compensation carbone de la Société forestière de la Caisse des dépôts fait encore plus sourciller les scientifiques. L’idée est de reboiser dans les Vosges, au cœur de la forêt de Boëne Neuy, plus de 13 hectares d’épicéas atteints par les scolytes – des insectes ravageurs – avec du pin Douglas (à 43 %), du mélèze d’Europe (50 %), et du sapin de Bornmüller (7 %), trois essences de résineux privilégiées par l’industrie du bois.
L’écologue Jonathan Lenoir souligne que le pin Douglas, essence nord-américaine qui a besoin de beaucoup d’eau, est ici planté dans l’est de la France et à faible altitude (moins de 500 mètres), ce qui peut conduire, selon lui, à des risques de déficits hydriques élevés pour l’espèce. Quant au sapin de Bornmüller, qui vient de Turquie, l’essence est réputée résistante à la sécheresse mais son comportement en France est encore mal connu.
« C’est un non-sens écologique ! Sous couvert de planter des essences plus résilientes aux changements climatiques, on plante des résineux en dehors de leur aire naturelle : on voit que pour ce projet la logique économique a primé sur l’écologie », fulmine Jean-Marie Dupont, de la Société botanique de France.
Contacté par Mediapart, la Société forestière de la Caisse des dépôts répond (voir réponse complète en annexes) que « s’il existe des incertitudes sur certaines espèces [qu’elle plante] pourtant depuis de nombreuses années, il [lui] semble nécessaire de tenter d’adapter la forêt au changement climatique en introduisant précautionneusement quelques essences provenant de climats plus méridionaux ».
« Un confetti à l’impact ridicule »
La même logique semble irriguer un des deux projets pilotés par l’ONF, dans la forêt domaniale de Retz (Aisne). L’action consiste en un reboisement de parcelles sinistrées, principalement avec du pin maritime (45 %), une essence plantée dans les Landes à des fins industrielles, et du chêne sessile (33 %).
« Planter du pin maritime en forêt de Retz, dans l’est des Hauts-de-France, c’est un choix audacieux, commente le chercheur au CNRS Jonathan Lenoir. Le changement climatique conduit certes à des hivers plus doux mais le réchauffement planétaire n’empêche pas la survenue de gelées tardives en zone continentale, ce qui peut s’avérer létal pour le pin maritime dont la distribution en France est sous influence océanique. »
Sollicité par Mediapart, l’ONF répond qu’en termes de grandes régions écologiques, la forêt domaniale de Retz n’est pas située en zone continentale mais dans le « centre-nord semi-océanique », et sur un territoire où la plantation de pins maritimes est conseillée par le ministère de l’agriculture. « Des peuplements non indigènes de pin maritime existent dans le Nord-Ouest, sont sélectionnés dans un objectif de récolte de graines et de plantation ensuite dans cette même région de provenance ; celle-ci couvre la forêt domaniale de Retz », ajoute l’office.
Toutefois, ce projet de reboisement dans la forêt de Retz, qui s’étire sur 19 hectares dans un massif de plus de 13 000 hectares, demeure pour le professeur Guillaume Decocq, directeur de l’unité Écologie et dynamique des systèmes anthropisés à l’université de Picardie-Jules Verne, « un confetti à l’impact ridicule » : « C’est un peu une escroquerie : on fait de la compensation dans un massif qui, JO ou pas, aurait été reboisé de toute façon, car Retz est une forêt très productive. »
En réponse, l’ONF a expliqué que la taille du projet a été adaptée à la surface des dépérissements constatés. « Les projets n’ont pas été choisis par rapport à leur taille, mais par rapport à leur qualité », a de son côté réagi le Cojop.
Des projets sans réel bénéfice
Pour son action de reboisement en Vosges avec du pin Douglas, du mélèze d’Europe et du sapin de Bornmüller, la Société forestière de la Caisse des dépôts affiche comme « cobénéfices » de ce projet « une bonne performance en termes de préservation de la biodiversité » et la protection d’un cours d’eau grâce à un « reboisement principal effectué à plus de 10 mètres » de la rivière. Mais comme le précise à Mediapart Guillaume Decocq, « question biodiversité, c’est du pipeau : les résineux, avec leurs aiguilles, font des litières qui offrent des écosystèmes moins fonctionnels car peu d’espèces y sont adaptées. Quant au reboisement préservant le cours d’eau, c’est une pratique déjà en vigueur pour des certifications de gestion durable ».
Par ailleurs, pour ses deux projets dans les Vosges et dans le Val-d’Oise, la Société forestière de la Caisse des dépôts a estimé la séquestration de carbone totale à 17 598 tonnes de CO2 sur trente ans, « sous réserve de confirmation par un audit à cinq ans ».
L’écologue Jonathan Lenoir estime que réaliser un audit à cinq ans permet de quantifier le succès d’installation des plants mais n’assure en rien la compensation carbone annoncée par le projet. « On peut vite glisser vers le greenwashing [écoblanchiment] avec ce type d’annonce car il n’y a aucune garantie de résultat : les arbres plantés peuvent dépérir ou être rasés ensuite pour leur bois. »
Contactée par Mediapart, la Société forestière de la Caisse des dépôts a rétorqué que « le Label bas-carbone exige de chaque propriétaire qu’il s’engage à maintenir sa plantation pendant la durée de trente ans et à gérer sa forêt à l’aide d’un document de gestion durable visé par une autorité d’État ». Le Cojop a pour sa part assuré que des audits seront réalisés tout au long de la vie des projets, et pas uniquement à cinq ans.
Aucune plus-value écologique
Enfin, le second projet de compensation carbone de l’ONF se situe dans la forêt domaniale de Montmorency (Val-d’Oise), fortement touchée par la maladie de l’encre du châtaignier. Sur chaque îlot de reboisement totalisant près de 80 hectares de forêt, l’objectif est de planter trois à quatre essences d’arbres, principalement du chêne sessile. « Comme beaucoup de forêts domaniales, Montmorency est encline à une forte mécanisation des pratiques de gestion forestière qui ont tassé au fil des ans les sols, au point que l’accès à l’eau est difficile pour les arbres,analyse Jonathan Lenoir. Le choix des essences est ici intéressant, mais pour la croissance des chênes qui seront plantés, face à des sols tassés, on ne pourra pas faire de miracles. »
« Je ne vois pas où est la plus-value écologique de ces quatre programmes,résume Jean-Marie Dupont, de la Société botanique de France. Faire du gain carbone de cette façon, ça fait moche pour les Jeux olympiques. »
Pour les experts forestiers, derrière ces projets de reboisement se cache une logique portée par le gouvernement et les industriels : celle de dire que face au changement climatique, les arbres ne pourront pas s’adapter, et qu’il faut donc reboiser. « En conséquence, on rase les parcelles dégradées et on plante des essences méridionales à croissance rapide, ce qui permet de répondre aux besoins de greenwashing du secteur privé et aux intérêts de l’industrie du bois. C’est oublier que les arbres ont de bonnes capacités d’adaptation grâce à leur grande diversité génétique, qu’il faut miser sur leur régénération naturelle », signale à Mediapart Raphaël Kieffert, responsable syndical au Snupfen-Solidaires à l’ONF.
« En somme, il vaut mieux viser des mesures de conservation des vieilles forêts, bien plus efficaces dans le stockage du carbone, plutôt que des opérations de plantation,conclut Jean-Marie Dupont. Mais c’est une histoire moins démonstrative à raconter pour le grand public des Jeux olympiques... »
Le storytelling est définitivement l’épreuve reine de ces Jeux.
Mickaël Correia