En Chine, des policiers virtuels vont patrouiller sur le Net
Les autorités chinoises, qui multiplie les moyens pour contrôler l’accès de ses citoyens à Internet, s’apprêtent à lancer un nouveau programme afin de prévenir toute « activité illégale » sur le Net. Un couple de policiers virtuels apparaîtra, dès le 1er septembre, toutes les demi-heures sur les écrans de tout internaute se connectant sur un site d’information basé à Pékin. En décembre, cette mesure sera appliquée à l’ensemble des sites et des forums de la ville.
Les cyberpoliciers se manifesteront à intervalle régulier pour rappeler aux internautes que certains sites – considérés comme une « source de désordre public et de perturbation de l’ordre social », selon Pékin – ne doivent pas être visités.
Il s’agira de mettre hors d’atteinte aussi bien la pornographie que les sites incitant à la sécession, aux jeux d’argent ou à la fraude. « La police protégera le monde virtuel, car il a un impact grandissant sur le monde », s’est justifié Zhao Hongzhi, directeur adjoint du département Internet de la police de Pékin.
Les autorités chinoises misent également sur l’interactivité de ses policiers virtuels. Ainsi, lorsqu’un utilisateur cliquera sur les icônes, il sera automatiquement redirigé vers le site du centre de surveillance d’Internet, où il pourra à son tour signaler tout contenu suspect ou toute activité illégale. Environ 5,5 millions des 120 millions d’internautes chinois se trouvent actuellement dans la capitale, où sont également hébergés plus 300 000 sites et forums.
AFP, 29.08.07
Yahoo ! mis en cause dans l’arrestation de « cyberdissidents » chinois
Les associations de droits de l’homme font front commun contre le moteur de recherche Yahoo !, jugé trop conciliant avec les autorités chinoises. L’ONG américaine World Organization for Human Rights vient de publier sur son site la plainte de Wang Xiaoning à l’encontre de l’entreprise américaine, accusée d’avoir transmis les adresses e-mail et IP du « cyberdissident ». « En fournissant ces informations, le défenseur a sciemment enfreint les lois internationales, et causé au plaignant de graves souffrances physiques et mentales », précise le texte de la plainte.
Agé de 56 ans, Wang Xiaoning a été condamné en septembre 2003 à dix ans de prison et deux ans de privation de ses droits civiques pour « incitation à la subversion du pouvoir de l’Etat ». Lors de son arrestation, précise la plainte, l’opposant chinois a été torturé. Il est l’auteur de journaux en ligne diffusés par courriel, prônant une ouverture démocratique de la Chine.
D’autres « cyberdissidents » auraient également été arrêtés sur la base de données fournies par Yahoo !. L’association Reporters sans frontières en recense au moins quatre. Chef de la rédaction d’un journal économique dans le sud de la Chine, Shi Tao est condamné en avril 2005 à dix ans de prison. Agé de 38 ans, il est mis en cause pour diffusion de secrets d’Etat après avoir posté sur la Toile une consigne du gouvernement chinois aux médias leur interdisant de célébrer l’anniversaire de la répression du mouvement pro-démocratique sur la place Tiananmen. Sa mère a réclamé que la firme américaine soit jugée pour avoir communiqué aux autorités chinoises les informations qui ont conduit à l’emprisonnement du journaliste.
A propos de cette affaire, Michael Callahan, un responsable de Yahoo !, a affirmé que l’entreprise n’avait pas « d’information sur la nature de l’enquête ». « Nous condamnons toute répression de la liberté d’expression, en Chine comme dans le monde entier. Nous avons fait connaître nos vues au gouvernement chinois », précise-t-il sur le blog de la société. « Quand une entreprise de télécommunications implantée aux Etats-Unis reçoit un ordre de renforcement de la loi américaine, elle doit s’y conformer. De la même manière, ne pas se soumettre en Chine aurait exposé Yahoo ! à des charges criminelles. En fait, les compagnies américaines doivent faire face à un dilemme : se conformer à la loi chinoise ou partir », ajoute-t-il.
ENQUÊTE PARLEMENTAIRE
A la Chambre des représentants, un influent parlementaire a toutefois annoncé, au début du mois d’août, l’ouverture d’une enquête pour déterminer si des responsables du moteur de recherche américain ont présenté sous un faux jour leur rôle dans l’arrestation de Shi Tao. « C’est déjà suffisamment honteux qu’une riche compagnie américaine fournisse volontairement à la police chinoise les moyens de pourchasser un homme enquêtant sur la répression en Chine », a déclaré le président de la commission des affaires étrangères, Tom Lantos. Mais « chercher à cacher cette pratique méprisable quand le Congrès demande une explication est un grave délit », a-t-il ajouté.
Yahoo ! n’est pas la seule entreprise informatique accusée par les associations de collaborer avec les autorités chinoises. Google reconnaît, par exemple, l’interdiction d’accès à certains sites chinois. Pékin durcit par ailleurs sa législation, puisque les acteurs informatiques viennent de signer un « pacte d’autodiscipline », leur enjoignant de « protéger de leur propre chef les intérêts de l’Etat et du Parti ».
« Les entreprises sont dorénavant ’encouragées’ à enregistrer l’identité de leurs clients avant de pouvoir mettre en ligne leurs articles. Le plus grave est que les entreprises devront garder les informations des blogueurs, permettant ainsi aux autorités de les identifier », commente Reporters sans frontières. Parmi les signataires du pacte, figurent des acteurs majeurs comme MSN de Microsoft et Yahoo !.
Le Monde.fr, 28.08.07
CHINE : 40 000 policiers du Net contre 162 millions d’internautes
En une dizaine d’années, Internet s’est imposé comme un outil essentiel de la vie démocratique. En Occident, le cyberespace a révolutionné les campagnes électorales et fait émerger un « journalisme citoyen ». Dans les jeunes démocraties et les régimes autoritaires, il a fourni une arme redoutable aux défenseurs de la liberté d’expression et aux militants démocratiques : l’arme de la communication invisible. Inévitablement, ces régimes ont cherché la parade. Et l’ont trouvée - avec l’aide des grandes entreprises de la high-tech occidentale. Arsenal répressif ou technologique, certains pays mettent tout en œuvre pour tenter de contrôler Internet, pour empêcher la circulation d’idées, d’informations et de mots d’ordre indépendants. Y parviennent-ils ? Pas tout à fait et pas partout. Comme toujours, il est plus facile de contrôler un petit pays qu’un grand, mais, comme le constatent à leurs dépens les dirigeants chinois, la vague Internet n’est pas si facile à endiguer. Et les surfeurs sont parfois, eux aussi, très forts en technologie.
La « grande muraille virtuelle » érigée par le gouvernement chinois contraint les internautes à des stratégies de contournement et à des jeux de cache-cache. Blogs fermés, sites bloqués, messages effacés requièrent une certaine ingéniosité. Franchir la ligne rouge peut coûter cher : l’ONG Reporters sans frontières estime que 52 cyberdissidents sont derrière les barreaux en Chine, souvent accusés d’avoir révélé des secrets d’Etat, un délit fourre-tout qui permet tous les abus de pouvoir.
L’autocensure est systématique : les portails (Sina, Sohu) ou les hébergeurs de blogs (Tianya) reçoivent, comme tous les médias, des circulaires avec les sujets à ne pas aborder - comme celle que le journaliste Shi Tao a mise en ligne en 2005, ce qui lui a valu dix ans de prison. Le nettoyage est fait (des phrases disparaissent des blogs ou des forums de discussion), avant même que la police de l’Internet, forte de 30 000 à 40 000 membres, n’intervienne.
Un nouveau pas vient d’être franchi le 24 août : les hébergeurs de blogs chinois, mais aussi Yahoo et Microsoft (MSN) ont signé un « pacte d’autodiscipline » à travers lequel ils s’engagent à ne pas diffuser des « messages illégaux et erronés » et à « protéger les intérêts de l’Etat et du public chinois ». Ce « pacte » encourage aussi les hébergeurs à identifier les blogueurs.
Jusqu’alors, le système de censure chinois a été sérieusement mis à l’épreuve par les 162 millions d’internautes recensés et leurs 20 millions de blogs. Internet est devenu une caisse de résonance sans pareille pour la société civile. Il a amené le parti à prendre en compte une opinion publique qu’il méprisait, et nourrit une presse de plus en plus agressive.
A Xiamen, en mai, un activiste a réussi, grâce à son blog, à mobiliser la population de la ville contre le projet de construction d’une centrale pétrochimique. Après avoir échangé près d’un million de messages SMS, les habitants ont participé à l’une des plus grosses manifestations organisées dans une grande ville de Chine depuis les rassemblements de la place Tiananmen en 1989. « Les médias n’ont pas pu parler de la manifestation. Mais des internautes vont à leurs frais sur place et enregistrent les événements avec un téléphone portable ou bien une caméra, puis les diffusent sur le Net. C’est un nouveau canal pour une expression indépendante », explique Li Datong, l’ancien rédacteur en chef de l’hebdomadaire Bingdian, limogé en 2006 pour avoir mis en ligne un système de pénalités imaginé par les cadres du parti pour sanctionner les journalistes trop critiques.
Révélé par un reportage télévisé, l’esclavage généralisé pratiqué dans les briqueteries du Henan et du Shanxi est devenu une affaire nationale grâce à Internet, où les parents d’enfants disparus ont fait circuler des pétitions. Plus rien ne semble pouvoir arrêter l’information en Chine : le gouvernement a finalement renoncé, en mai, à obliger les auteurs de blogs à s’enregistrer au préalable sous leur véritable identité. Trop compliqué à mettre en œuvre à une échelle pareille.
Extrait de l’enquête « La censure sur Internet : Etats contre cyberdissidents »
de Sylvie Kauffmann, avec Martine Jacot et Brice Pedroletti, publiée dans l’édition du Monde du 29 août 2007. LE MONDE | 28.08.07 | 14h15 • Mis à jour le 28.08.07 | 14h15.