À la tombée de la nuit, les colons sont descendus dans le village. « Ils étaient plus d’une centaine, masqués et armés de fusils et de gourdins. Ils ont brisé les vitres de mes deux voitures et ont jeté de l’essence à l’intérieur, y mettant le feu ainsi qu’à l’entrée de ma maison. Nous nous sommes précipité·es avec de l’eau pour essayer d’éteindre les flammes. Nous n’avions rien d’autre pour nous protéger que des pierres ».
Ibrahim Sidda, August 16, 2024. (Oren Ziv)
Telle est la scène décrite par Ibrahim Sidda, le 15 août, dans la ville palestinienne de Jit, la dernière de Cisjordanie occupée à subir un pogrom aux mains des colons israéliens. Ibrahim Sidda était chez lui, en train de prendre un repas avec sa famille, lorsque les envahisseurs sont arrivés. « Nous sommes des gens pacifiques », a-t-il déclaré à +972 après l’attaque, encore incrédule face à ce qui lui était arrivé, à lui et à sa communauté.
Au total, les colons ont brûlé trois voitures et quatre maisons, mais leur violence ne s’est pas arrêtée aux dégâts matériels : ils ont attaqué toutes et tous les Palestiniens qui osaient sortir et tenter de se défendre, eux et leurs familles, abattant Rashid Sidda, un technicien informatique de 23 ans, et en blessant cinq autres. Selon Ibrahim Sidda, il a fallu environ une heure aux soldats israéliens pour arriver et mettre fin au pogrom ; un autre témoignage publié dans Haaretz affirme que des soldats étaient présents dans la ville pendant l’attaque et qu’ils n’ont rien fait pour l’arrêter.
Le lendemain matin, les habitant·es marchaient entre les carcasses calcinées de leurs voitures et les entrées noircies de leurs maisons, dans une scène qui est devenue étrangement familière dans toute la Cisjordanie ces derniers mois. Ces attaques se sont multipliées dans le cadre de la guerre à Gaza, les colons ayant tué six Palestinien·nes au cours de la semaine qui a suivi le 7 octobre. En avril, les colons se sont déchaînés dans plus d’une douzaine de villes et villages palestiniens en un week-end, tuant au moins trois personnes et brûlant des centaines de maisons, de voitures et de commerces.
L’intérieur d’une maison brûlée par des colons dans la ville palestinienne de Jit, le 16 août 2024. (Oren Ziv)
Depuis l’élection du gouvernement israélien d’extrême droite à la fin de l’année 2022, les pogroms des colons avaient déjà connu une nette augmentation, de Huwara à Al-Lubban ash-Sharqiya en passant par Turmus Ayya. Dans toute la Cisjordanie, les Palestinien·nes sont quotidiennement harcelé·es par les colons israéliens, souvent avec le soutien de l’armée, et au moins 18 communautés ont été déplacées de force depuis le début de la guerre.
Cette fois-ci, ce qui a été différent, c’est la condamnation immédiate de l’attaque par les hommes politiques israéliens. Manifestement effrayés par la récente vague de sanctions américaines et internationales visant les colons violents et leurs organisations – et par la menace imminente que ces sanctions pourraient bientôt s’appliquer à des personnalités du gouvernement et à des organismes financés par l’État -, les dirigeants israéliens ont rapidement dénoncé ce nouveau pogrom.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, le ministre des finances Bezalel Smotrich et le député Zvi Sukkot – lui-même ancien membre de la « jeunesse des collines » récemment sanctionnée – ont été parmi les premiers à exprimer leurs condamnations. Yossi Dagan, chef du conseil régional de Shomron, a déclaré : « Nous sommes déjà ici contre le terrorisme, confrontés à des difficultés politiques chez nous et à l’étranger, et nous n’avons pas besoin de vos actes de violence ».
Malgré ce flot de condamnations officielles, les autorités ne semblent pas pressées de traduire les auteurs en justice ; une seule personne a été arrêtée au lendemain de l’attaque, puis relâchée. L’impunité des colons est depuis longtemps la norme : selon les données du groupe israélien de défense des droits des êtres humains Yesh Din, 97% des dossiers de police ouverts dans des affaires de violences commises par des colons depuis 2005 ont été clos sans qu’aucune condamnation n’ait été prononcée.
Des personnes en deuil assistent aux funérailles de Rashid Sidda, tué par des colons israéliens dans la ville palestinienne de Jit, le 16 août 2024. (Oren Ziv)
Dans sa déclaration, M. Dagan a également affirmé que l’attaque avait été perpétrée par « des jeunes qui viennent de l’extérieur [de la Cisjordanie] et créent la violence ». Mais les témoignages des résident·es palestinien·nes de Jit sont clairs : les assaillants venaient de l’avant-poste illégal voisin de Havat Gilad.
« C’est la première fois qu’il y a une attaque de cette ampleur », a déclaré Muhannad Sidda, qui a raconté avoir vu 20 à 30 voitures arriver par la route principale de la ville. « Nous sommes encerclé·es par les colons. »
Ils sont venus pour incendier, et il n’y avait personne pour les aider.
« Ils avaient un plan, ils travaillaient comme s’ils étaient dans l’armée », se souvient Samer Arman, un habitant de Jit, à propos des assaillants. « Ils sont arrivés à pied et ont agi rapidement pour que nous ne puissions pas nous défendre », ajoutant que « certains d’entre eux avaient des armes longues ». Rashid Sidda, a-t-il poursuivi, « a été touché par une seule balle, mais ils ont tiré sur les jeunes avec des armes automatiques ».
M. Arman a confirmé que le pogrom n’avait été précédé d’aucun autre incident, ce que les responsables israéliens ont également reconnu. « Il n’y a aucun problème ici, il n’y a rien eu », a-t-il déclaré. « [Les colons] sont venus par le passé, mais les jeunes [de la ville] sont sortis [pour les affronter] et ils sont partis ». Cette fois-ci, cependant, « ils sont venus pour brûler, et il n’y avait personne pour aider ».
Une banderole annonce la mort de Rashid Sidda dans la ville palestinienne de Jit, le 16 août 2024. (Oren Ziv)
« Comment faire face à des colons armés ? Que pouvons-nous faire ? Même si tout le village sortait et se tenait devant eux, cela ne servirait à rien. Ils veulent effrayer les gens pour qu’ils quittent le village, c’est leur stratégie. »
Muawiya Sidda vit dans une maison à la périphérie de la ville, la plus proche de Havat Gilad. Ses enfants jouaient dans la cour lorsque le pogrom a commencé. « Lorsque nous les avons vus arriver masqués et armés, j’ai pris les enfants, je les ai mis dans la voiture et nous sommes partis rapidement », raconte-t-il, debout dans les restes calcinés de son salon. « Si je ne les avais pas pris, ils les auraient tous tués ».
« Ils étaient des dizaines – certains avec des armes, d’autres avec des gaz [lacrymogènes] et des matériaux inflammables », a-t-il poursuivi. Comme il l’a déclaré à +972, les colons ont d’abord brûlé la maison de son voisin ainsi qu’une voiture garée à l’extérieur, puis ils se sont attaqués à sa maison, brisant les fenêtres, versant de l’essence à l’intérieur et y mettant le feu.
« Ils font ce qu’ils veulent », a-t-il déclaré. « L’armée s’est tenue à l’entrée du village pendant tout ce temps, empêchant l’arrivée des pompiers et d’une ambulance. [Les services d’urgence ne sont arrivés qu’après que nous ayons éteint le feu nous-mêmes. L’armée a tiré en l’air et les colons sont partis ».
Un véhicule incendié par des colons israéliens dans la ville palestinienne de Jit, le 16 août 2024. (Oren Ziv)
Muhannad Sidda, l’oncle de la victime Rashid, a également décrit une attaque bien organisée. « Nous étions chez nous lorsque des colons sont arrivés de la direction de Havat Gilad. Les habitants appelaient à l’aide, alors nous sommes sortis. Ils étaient environ une centaine [de colons], prêts avec de l’essence et des armes, d’autres avec des gourdins. Ils avaient tout ce qu’il fallait. Lorsque les jeunes [de Jit] se sont approchés, [les colons] leur ont tiré dessus à bout portant, en tuant un et en blessant un autre. Ils n’ont pas eu peur ».
Les habitant·es de Jit n’ont pas été touché·es par les condamnations des dirigeants de la droite israélienne, et elles et ils doutent que les assaillants soient traduits en justice. « Netanyahou ne fait que parler, il ne fera rien », a déclaré Leila Rashid, assise aux côtés de la mère de la victime. « Regardez ce qu’ils font aux Palestinien·nes de Gaza, et personne dans le monde ne fait rien. [Les autorités israéliennes] veulent nous faire sortir d’ici. Elles ne veulent arrêter personne ».
« Nous avons besoin d’actions, pas de mots », a déclaré Ibrahim Sidda, 55 ans, dont la maison a également été attaquée pendant le pogrom. « L’armée dit qu’elle est contre cette violence, alors faites quelque chose. Ici, dans la zone C, nous sommes sous la juridiction d’Israël et sous sa responsabilité en matière de sécurité. Qu’ils viennent nous protéger. Arrêtez les colons. Nous ne sommes pas venus à eux, ce sont eux qui sont venus ici ».
Pour Iman Sidda, la mère de Rashid, « ce sont des menteurs, ils ne feront rien », a-t-elle déclaré en réponse aux condamnations des politiciens israéliens. « Celui qui a tiré sur lui s’est enfui. Les colons sont protégés par l’armée en permanence. Il n’était pas seulement mon fils, mais aussi un ami – et maintenant il n’est plus là ».
Oren Ziv