Henri Leclerc est mort. Le célèbre pénaliste, décrit unanimement comme une « légende » du droit, est décédé à 90 ans d’un AVC et laisse avec lui d’innombrables souvenirs.
Ces célèbres clients d’abord. Charlie Bauer et François Besse – deux lieutenants de Mesrine –, Florence Rey, Richard Roman, Hélène Castel, Jacques Viguier, Véronique Courjault, Dominique de Villepin ou Dominique Strauss-Kahn...
Ces nombreux combats surtout, qu’il a défendus en tant qu’avocat durant soixante-cinq ans de carrière et ses clients souvent moins connus. Des militants du FLN et du MNA (Mouvement national algérien), des étudiants de Mai 68, des mineurs du Nord, des pêcheurs bretons ou des paysans en lutte qu’il a tous défendus. Militant politique d’abord, il a ensuite traversé l’univers associatif et dirigé la Ligue des droits de l’homme (LDH) avant d’en devenir le président d’honneur. C’était un « avocat-militant » disent certain, « un avocat et un militant », assurément.
Henri Leclerc en 2014. © Joël Saget / AFP
« La LDH saura dans les jours qui viennent rendre l’hommage que méritent ses combats, la pugnacité avec laquelle il les a menés, l’apport intellectuel formidable qui fut le sien, au sein de la direction nationale », écrit l’association dans un communiqué.
Si plusieurs avocats se disent désormais « orphelins » depuis sa disparition, à l’instar de Marie Dosé sur France Inter ce dimanche, Henri Leclerc laisse tout de même un puissant héritage à toute une nouvelle génération. Pour le décrire, les mêmes mots reviennent à chaque fois. « Un ténor », « un plaideur d’exception », « un homme libre et engagé », « un défenseur acharné des droits et des libertés »…
Un engagement
Le 7 janvier 2015, Lucie Simon, alors étudiante, prête le « petit serment », cette tradition symbolisant l’entrée des élèves à l’école du barreau. Henri Leclerc est le parrain de sa promotion et les attentats de Charlie Hebdo viennent tout juste d’avoir lieu. L’avocat vient d’apprendre la nouvelle et sait qu’il perd des amis. Il veut tout de même tenir son discours. « La voix tremblante, au bord des larmes, il a pris la parole », se souvient Me Simon. « Puis il a transformé ce drame absolu en une forme de mission qu’il nous transmettait en évoquant la défense de la liberté d’expression », raconte-t-elle. « Son discours m’a marquée à vie et j’ai compris ce jour-là, la gravité de notre profession. »
Plus tard en septembre 2017, plusieurs militants de gauche sont jugés à Paris, accusés d’avoir incendié une voiture de police quai de Valmy et d’avoir agressé deux agents en marge d’une manifestation en 2016. Plusieurs avocats sont présents pour les assister. Henri Leclerc, Arié Alimi et Raphaël Kempf notamment.
« J’avais à peine trois ans de barreau et je me suis retrouvé à côté de lui », se remémore ce dernier qui raconte se servir régulièrement de l’héritage de Leclerc, « en relisant ses mémoires notamment » pour parfaire ses plaidoiries. « Ce procès à ses côtés était une leçon et une émotion. Le voir plaider, tenir un discours fort sur la question des droits de la défense et la publicité de l’audience était aussi une véritable chance pour moi. »
Lors de cette même audience extrêmement tendue, Arié Alimi se souvient avoir été « très stressé ». « Henri Leclerc, voyant que je l’étais, s’est rapproché de moi et m’a lancé pour me calmer : “T’as qu’à fumer un joint et ça passera” », confesse l’avocat. « Nous avons fait, nous, ce que nous avions à faire et même plus. Il sera quand même condamné », lui confie aussi Henri Leclerc à l’issue du procès. Dans cette affaire dont la procédure était vivement critiquée, leur client est effectivement condamné. « Mais je retiens toujours cette phrase lorsque j’ai besoin de relativiser », lâche Me Alimi.
« Il avait aussi un véritable plaisir à transmettre », décrit Baptiste Hervieux. L’avocat de 32 ans se souvient de ce déjeuner de décembre 2022 juste avant que le pénaliste ne participe à la rentrée solennelle des étudiants du barreau de Bobigny. « Il racontait ses souvenirs lorsqu’il plaidait des dossiers alors que la peine de mort était encore en vigueur. C’était rare de nos jours d’échanger avec un tel témoin de l’Histoire et de comprendre les enjeux qui existaient avec la peine capitale, poursuit-il. Il ne se vantait pas, ne romançait pas, mais savait communiquer l’effroi que l’on pouvait ressentir lorsque la vie d’un client était en jeu. »
Pour se figurer le ténor du barreau, on imagine plus souvent un pénaliste isolé, individualiste, froid et rude. « Ce n’était pas lui », balaye Me Hervieux. « Il était dans l’échange, écoutait et était même curieux de savoir comment on pratiquait le droit. » « Il nous a aussi montré qu’un avocat ne peut pas et ne doit pas se contenter de faire son métier dans une salle d’audience », complète Raphaël Kempf.
Henri Leclerc est en effet connu pour avoir fondé le cabinet d’Ornano qui, installé dans le populaire 18e arrondissement de Paris, visait à rendre accessible le droit et à permettre à tous les justiciables de recevoir des conseils juridiques pour un prix raisonnable. Il courait aussi les commissariats pour défendre les manifestants de 68. Avec la « Legal team » d’aujourd’hui, ces avocats mis à disposition des manifestants lors de mobilisations, certains de la nouvelle génération suivent ainsi ses pas et ses engagements pour garantir à tous et tout le temps le droit de manifester.
« Le fait qu’il ait toujours assumé être un avocat et un militant me plaît, témoigne Lucie Simon. C’est mal perçu aujourd’hui, mais lui le revendiquait et savait créer des ponts, se faire écouter et respecter ». « C’est lui, l’un des plus grands avocats de notre siècle, qui a le mieux fait rimer pénaliste et humaniste », ajoute Baptiste Hervieux qui insiste aussi sur son « sens du collectif ». Jusqu’à la fin de sa carrière en effet, Henri Leclerc aura écouté, conseillé et parler aux militants. « Au sein de la LDH, il parlait à tout le monde et venait inlassablement une fois par mois au bureau national alors qu’il perdait peu à peu l’ouïe et la vue », témoigne Arié Alimi. « Il nous permettait de comprendre ce qui se déroulait dans le temps présent tout en proposant des stratégies. »
Une respiration
Dans un monde politique et médiatique souvent suffocant, Henri Leclerc était aussi cette rare respiration cathodique. Régulièrement, l’avocat venait insuffler de la hauteur et de la rigueur sur les plateaux télé où l’opinion est légion. Et balayait un à un les adversaires de l’égalité.
Marion Maréchal lorsqu’elle venait dénoncer un supposé racisme anti-blanc. « Madame Maréchal dit ce qu’elle veut. Des bêtises mais c’est ce qu’elle veut [...] Le racisme anti-blanc, ça ne veut rien dire. Le racisme en général s’adresse à des personnes qui sont en état d’infériorité dans une société. Les blancs ne sont pas que je sache en état d’infériorité dans notre société… », disait-il sur BFMTV.
Le rédacteur en chef de Valeurs actuelles de l’époque, Raphaël Stainville, lorsque celui-ci écrivait en 2022 vouloir en finir avec l’État de droit. « Ce Monsieur est libre de son expression mais nous sommes libres de dire que c’est un crétin. C’est un crétin et c’est quelqu’un qui met en cause les fondements de notre société, ce qui nous permet de vivre ensemble en paix », rappelait-il.
Henri Leclerc invité sur France 5 étrille l’animateur Cyril Hanouna. © C à Vous.
Cyril Hanouna enfin, que l’avocat qualifiait poliment de « journaliste », pour mieux éclairer toute la dangerosité de l’animateur qui, après le meurtre de Lola, exigeait que la suspecte interpellée soit immédiatement condamnée à la perpétuité.
« Je suis libre de dire que cet homme salit la profession de journaliste. Ce qu’il dit est contraire aux fondements même de notre société et il souffle sur les braises. Il est en train d’essayer d’activer ce qui est notre réaction première [...] individuellement nous avons des réactions de colère mais en même temps il faut bien entendu que nous espérions qu’il soit jugé », lâchait-il sur France 5. Pour mieux dénoncer « cette idée hallucinante qu’on peut juger quelqu’un sans enquête, sans un vrai débat contradictoire, sans savoir si la personne est responsable pénalement ou ne l’est pas et surtout sans qu’il puisse avoir à ses côtés un avocat ».
Une sagesse
Sur ces mêmes plateaux, Henri Leclerc tranchait en rappelant des évidences oubliées des éditorialistes. « Bien sûr, la police tue », confirmait-il. La question étant de savoir si les agents qui tuent le font « en état de légitime défense ». Dans une société où la plupart des syndicats de police exemptent systématiquement les policiers mis en cause avant toute enquête, tout procès et tout jugement, lui, l’avocat respecté, martelait cette banalité : « Il faut attendre pour le savoir exactement. »
Après la mort du jeune Nahel et la révolte qui a suivi, le pire a été dit pour stigmatiser une jeunesse défavorisée et discriminée. Une cagnotte a même été lancée pour aider le policier accusé et une très large partie de la profession, directeur de la police nationale et ministre de l’intérieur compris, a défendu d’autres agents mis en cause dans le passage à tabac du jeune Hedi.
Nabil Boudi, l’avocat de la famille de Nahel, regarde alors impuissant ce débat politico-médiatique. « J’ai ensuite vu Henri Leclerc interrogé et cela m’a soulagé », se rappelle-t-il. « Il y a un sentiment de révolte qui naît inéluctablement. On ne peut pas l’éviter tant cette mort paraît brusquement sur les écrans et paraît injuste », expliquait le ténor. « Ce sentiment de corps, peut être injuste, mais enfin il ne l’est pas là. Il y a un fait (la mort de Nahel) que l’on voit ». Et de remarquer : « Ce sentiment de corps, regardez comme la police l’a aussi… »
« Avec son verbe, calmement et sagement, il parvenait à rappeler des évidences sociétales ou juridiques », salue Me Boudi. « Je retiens et j’admire la manière qu’il a eue de naviguer à contre-courant. Moi l’avocat franco-algérien, je n’oublie pas non plus ses combats lors de la guerre d’Algérie et sa défense de militants du FLN. Sa façon de livrer un contre discours , toujours juste, m’a toujours inspiré. »
Après le 7 octobre, Henri Leclerc était encore-là pour s’opposer à la petite musique ambiante visant à criminaliser les étudiants mobilisés contre les massacres à Gaza. « Nous sommes en face de quoi ? D’un mouvement du cœur et ce qui se passe actuellement à Gaza est quelque chose qui bouleverse », soulignait-il encore, rappelant au passage la mobilisation étudiante lors de la guerre du Vietnam. « Personne ne conteste le fait que le 7 octobre est une horreur absolue, un acte barbare. Mais en même temps, la réponse qui est donnée est quelque chose d’effroyable. [...] Toujours la population étudiante a manifesté des élans du cœur et toujours pour ceux qui sont écrasés, rarement pour les autoritaires. »
Et Nabil Boudi de résumer : « C’était un homme immense par le talent et l’engagement. »
David Perrotin