Emmanuel Macron s’est enfin décidé. Après des jours d’attente et de discussions d’alcôve, le président de la République a nommé Michel Barnier, 73 ans, à Matignon. Issu du parti Les Républicains (LR), ancien ministre de Jacques Chirac puis de Nicolas Sarkozy, l’ex-commissaire européen a été choisi en raison du peu de risques qu’il représentait. « Barnier, ça peut passer à l’Assemblée parce que tout le monde s’en fout, résume l’un de ses anciens collègues de gouvernement. Et sur le fond des politiques, il ne remettra pas grand-chose en question. »
Dans son communiqué adressé jeudi 5 septembre, en milieu de journée, l’Élysée précise que « cette nomination intervient après un cycle inédit de consultations au cours duquel, conformément à son devoir constitutionnel, le président s’est assuré que le premier ministre et le gouvernement à venir réuniraient les conditions pour être les plus stables possibles et se donner les chances de rassembler le plus largement ». Une justification qui en dit aussi long sur l’incongruité de ladite nomination – LR a engrangé seulement 5,41 % des suffrages exprimés au second tour des législatives anticipées – que sur l’absurdité de la méthode suivie pour y parvenir.
Emmanuel Macron et Michel Barnier, alors chef de la task force de l’Union européenne pour les relations avec le Royaume-Uni, au palais de l’Élysée, le 31 janvier 2020. © Photo Stéphane Lemouton / Pool / Sipa
Avec Michel Barnier, le chef de l’État croit avoir trouvé la solution à l’équation impossible dans laquelle il s’était lui-même piégé en refusant de prendre en compte le résultat du scrutin et de nommer la personne désignée par la force politique arrivée en tête le 7 juillet. Après quelques « consultations » destinées à balayer définitivement la proposition du Nouveau Front populaire (NFP), il avait donc repris ses échanges avec une poignée de personnalités « se distinguant par l’expérience du service de l’État et de la République » – essentiellement des hommes, cela va sans dire.
Ces derniers jours, l’Élysée avait ainsi vu défiler Nicolas Sarkozy, François Hollande, Gérard Larcher, Bernard Cazeneuve, Xavier Bertrand et quelques autres, tous venus faire part de leur vision des choses à un locataire visiblement perdu. « Le problème, c’est qu’il est rentré dans cette histoire sans avoir aucune idée de ce qu’il voulait faire. Du coup, il flotte totalement », indiquait récemment un ministre démissionnaire. « Il s’est perdu dans le labyrinthe des histoires qu’il se raconte, abondait une figure du camp présidentiel. Il est plein d’assurance, mais au fond il est complètement paumé. »
L’hypothèse d’une présidentielle anticipée
Ces atermoiements interminables ont surtout confirmé qu’Emmanuel Macron avait dissous l’Assemblée nationale sans penser à ce qu’il ferait en cas de défaite. La seule hypothèse qui avait été sérieusement envisagée était celle d’une victoire de l’extrême droite. Une fois Jordan Bardella écarté, il fallait donc trouver un premier ministre marquant une forme de changement sans rien changer sur le fond. « Il m’a dit que ce ne serait pas quelqu’un de son camp ni quelqu’un qui déconstruirait ses politiques économiques », confiait l’une des personnalités consultées à la sortie de son entrevue.
Totem parmi les totems : la réforme des retraites, dont le NFP réclame l’abrogation. Ce texte, qui a suscité une vive opposition syndicale et engendré des manifestations massives au printemps 2023, avant d’être adopté par 49-3, s’est donc retrouvé au cœur des négociations pour Matignon. Un temps pressenti pour prendre la tête du gouvernement – parmi plusieurs autres possibilités, toujours des hommes qu’on se rassure –, Bernard Cazeneuve, qui avait à l’époque jugé cette réforme « très injuste », aurait d’ailleurs perdu son statut de favori pour avoir défendu l’idée de revenir dessus.
Qu’importe si la gauche est arrivée en tête aux législatives, le président de la République lui aura donc préféré un homme de droite, sans grande ambition ni intérêt. Mais qui puisse lui offrir un sursis. Car c’est bien là le véritable sujet qui occupe son esprit et que chacun·e, parmi ses adversaires et au-delà, a bien compris : le problème ne se trouve pas à Matignon mais à l’Élysée. Raison pour laquelle nombre de responsables politiques posent désormais ouvertement la question d’une présidentielle anticipée. À commencer par l’ancien premier ministre Édouard Philippe, qui a confirmé « être prêt » à se lancer sans attendre 2027.
Pour éviter un tel scénario, Emmanuel Macron n’a pas hésité à retourner la République. Au mépris des leçons des législatives et des principes qui y ont été posés, il a choisi un chef de gouvernement lui permettant d’installer une cohabitation sans alternance, issu du seul parti qui avait refusé de participer au front républicain. Comme si ce dernier était simplement un gadget à l’obsolescence programmée. Comme si le camp présidentiel – et a fortiori ses politiques – n’avait pas été sanctionné dans les urnes. Comme si la « trêve politique » avait tout effacé.
Ces derniers jours, dans les couloirs ministériels, la lassitude avait rapidement fait place à la colère. De plus en plus rares étaient celles et ceux à vouloir parler de la situation actuelle, ou ne serait-ce qu’en blablater. « Franchement, il n’y a rien à dire. On est chez les fous », confiait en début de semaine un membre du gouvernement démissionnaire. Les mots pour qualifier le chef de l’État ont rarement été aussi durs. L’attente a surtout agi comme un révélateur de la faiblesse de son pouvoir. Et la façon dont il s’y accroche a créé un malaise pâteux.
Car non content d’avoir balayé la proposition du NFP en dépit de toute logique démocratique, le président de la République a aussi choisi de s’en remettre au Rassemblement national (RN) pour désigner son futur premier ministre. Le message du 7 juillet était pourtant clair : ce jour-là, une majorité de Français·es se sont mobilisé·es pour empêcher l’extrême droite d’accéder au pouvoir. Mais deux mois plus tard, c’est pourtant Marine Le Pen qui a posé ses « conditions » pour ne pas censurer le futur gouvernement.
Incapable d’imaginer une autre chorégraphie que ce pas de deux continuel avec le RN, Emmanuel Macron a fini par se laisser guider par celui-ci. Le parti de Jordan Bardella et ses alliés l’ont d’ailleurs bien compris, d’où leur plaisir manifeste à enrayer la mécanique, dans l’espoir de pousser ce qu’ils considèrent, eux aussi, être « la seule solution », pour reprendre les mots d’Éric Ciotti : le départ du chef de l’État.
Ellen Salvi