Comme le souligne Daria Saburova : « Pour s’assurer le contrôle de son ancienne semi-colonie, la Russie avait […] davantage intérêt à une réintégration par l’Ukraine des territoires séparatistes sous condition de la fédéralisation du pays — aucune décision stratégique ne pouvant alors être prise sans accord de tous les membres de la fédération — qu’à reconnaître leur indépendance ou les rattacher définitivement à la Russie, ce que les leaders séparatistes eux-mêmes souhaitaient pourtant ».
S’inscrivant dans ce contexte, les accords de Minsk de 2015 (impliquant Merkel, Hollande, le président ukrainien Porochenko et Poutine) « comportaient plusieurs points avec un volet sécurité (cessez-le-feu, retrait des armes lourdes, échange des prisonniers, restauration de la frontière ukrainienne) et un volet politique (amnistie des personnes impliquées dans le mouvement séparatiste, réforme constitutionnelle de l’Ukraine fixant un principe de décentralisation du pouvoir, reconnaissance d’un statut spécial aux régions de Lougansk et de Donetsk, organisation des élections locales) ».
De l’impasse des accords de Minsk à l’invasion russe
Ils ont échoué, parce que le pouvoir russe voulait imposer une fédéralisation constitutionnelle à sa botte, sans retrait préalable des troupes russes. Demander un « retour » à ces Accords c’est ignorer non seulement les causes de leur impasse, mais les changements de contexte et les effets produits par la guerre. À la veille de l’invasion de 2022, Poutine sait que l’OTAN est « en mort cérébrale » après le retrait pitoyable d’Afghanistan et au vu des dissensions internes notamment entre les États-Unis et plusieurs États membres de l’UE, dont l’Allemagne, intéressés à l’importation de gaz russe. De surcroît, le gouvernement Zelensky a perdu de sa popularité massive, incapable d’appliquer ses promesses électorales (contre la corruption et pour la paix dans le Donbass), et Biden lui a clairement dit qu’il ne veut pas d’une guerre avec la Russie.
Annexions stratégiques
Poutine lance l’Opération militaire spéciale avec l’espoir de la chute rapide du pouvoir de Kyiv et un « effet Crimée » : un gain de popularité en Russie et vers les populations russophones d’Ukraine par de nouvelles annexions qu’il suppose aussi faciles qu’en Crimée. Il se trompe. Le « repli » territorial conserve aussi une visée stratégique : dès 2014, nous dit Daria Saburova « les conquêtes territoriales dans l’Est et le Sud de l’Ukraine » ont « pour enjeu la création d’un couloir terrestre de la Crimée vers la Transnistrie ». Désormais, l’expérience de la « russification forcée » des zones occupées est faite [1]. Enfin, comme le dit Ilya Budraitskis, la guerre est aussi « une guerre culturelle contre la population » (en Russie) elle-même [2].
Le soutien de la gauche ukrainienne à l’invention populaire de « communs » solidaires face aux attaques sociales pour mieux tenir aussi contre la guerre est notre fil conducteur et source de « dignité » et d’espoir [3].
Catherine Samary
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