Depuis les premières révélations de Mediapart sur son rôle dans la campagne présidentielle de 2017, la communicante a tout essayé : attaques personnelles à la télévision, dénigrement sur les réseaux sociaux, tentatives d’intimidation, publication des questions que nous lui posions sur Internet, faux rendez-vous annulés à la dernière minute, plainte pour violation du secret de l’enquête dans l’objectif de découvrir nos sources… Sans que cela ne change rien à notre attitude.
Avec constance, à chaque article, nous avons continué de la contacter pour la faire réagir aux informations que nous découvrions. Mais Sophia Chikirou n’argumente pas, elle ne répond pas sur le fond, ne dit pas quelles informations elle conteste, refuse toujours toutes les propositions de rendez-vous. Et jamais elle ne nous a poursuivi pour diffamation. Elle ne veut visiblement pas d’un débat contradictoire.
En mars 2018, Mediapart explique qu’elle a bénéficié un an plus tôt d’une improbable double fonction. En tant que directrice de la campagne de Mélenchon, elle commandait des prestations à sa propre société, dont elle était la seule actionnaire. Cette situation a nourri les interrogations, à l’intérieur même de l’équipe de campagne, sur la manière dont elle fixait sa propre rémunération – plutôt très élevée. Et le tout sans endetter son parti : les dépenses de campagne sont remboursées par l’État. De l’argent public, donc.
Après nos premiers articles sur le sujet, Jean-Luc Mélenchon – qui nourrit alors une relation sentimentale avec Sophia Chikirou – vole à son secours. « Pourrissez-les partout où vous pouvez », ordonne-t-il, à propos des journalistes du service public et de Mediapart, qui travaillent sur le sujet.
En 2022, lorsque nous avions invité le candidat à la présidentielle à débattre, il avait exigé que nous ne diffusions aucune image de sa perquisition dans cette affaire – ce que nous avions refusé par principe. Il n’est jamais venu.
Six ans après nos premières enquêtes, et alors que Sophia Chikirou vient d’être mise en examen, la stratégie n’a pas changé. « En 2018, on avait pris un torrent de boue », rappelle Fabrice Arfi. La société des journalistes (SDJ) de Mediapart était montée au créneau en dénonçant « l’agressivité inouïe » de cette campagne de dénigrement. « Cette fois, elle tente de déclencher la même fureur, mais on sent qu’elle a moins de soutiens », analyse Antton Rouget.
Il n’empêche : sitôt la mise en examen annoncée, La France insoumise (LFI) a rédigé un communiqué de soutien, qui « surpasse ce qui se faisait à l’époque de l’UMP et de Sarkozy », sourit Fabrice Arfi, qui en a pourtant vu un rayon. Le communiqué ose en effet renvoyer à un documentaire de… Sophia Chikirou ! Au point qu’on se demande qui a bien pu le rédiger. Qui a bien pu le valider.
L’effet escompté, lui, est en revanche très clair : « Elle cherche à radicaliser ce qu’il reste de sa base sociale. Elle veut faire croire à un complot et pour qu’il y ait un complot, il faut de la conflictualité », décrypte Antton Rouget. « Elle ne répond pas à nos questions, mais elle demande à être confrontée à nous dans le cabinet du juge. C’est vraiment n’importe quoi », poursuit Fabrice Arfi.
Que faire face à une communication si provocatrice ? « Elle ment sur le fond, elle ment sur la forme, reprend Fabrice Arfi. Elle profite de l’inculture judiciaire des gens pour raconter n’importe quoi. C’est la post-vérité. C’est compliqué : répondre, c’est participer à un spectacle qu’on veut fuir, rentrer dans un mano a mano c‘est asseoir l’idée d’une animosité envers elle, alors qu’il faut rester froid et factuel. Mais ne rien dire peut donner l’impression à des gens de bonne foi qu’on est gêné. »
Antton Rouget renchérit : « Quoi qu’il se passe, elle l’intégrera comme la preuve d’un complot. Si l’enquête dure six ans, c’est bien qu’il n’y a rien dans le dossier et que c’est un complot. Quand il y a des accélérations, c’est aussi la preuve d’un complot. Si finalement il y a une mise en examen, c’est bien que le complot continue. Et ainsi de suite. Et pour que cela colle au récit, Mediapart doit aussi faire partie du complot. » Pour Fabrice Arfi, « la meilleure réponse, c’est de faire du journalisme, de continuer à informer ». Sans sourciller.
Et en tentant d’être le plus clair possible. Car une petite partie de notre lectorat s’étonne qu’un journal progressiste comme Mediapart puisse enquêter sur un parti de gauche. Et nous reproche plus ou moins ouvertement de trahir la cause. « Il y a parfois une incompréhension quant au fait que notre indépendance ne repose pas seulement sur une question financière. L’indépendance est aussi philosophique, éditoriale et vis-à-vis des politiques. Quand nous révélions l’emploi fantôme de Fabien Roussel, nous étions des agents de LFI. Et quand nous révélons les turpitudes de LFI, nous sommes les agents de Ruffin et du PS … », soupire Antton Rouget.
Nicolas Sarkozy nous présentait lui comme une officine de François Hollande. « Mais c’est toujours plus étonnant et révélateur quand ces attaques viennent de personnalités de gauche, qui prétendent défendre les grands principes démocratiques, la justice et les médias indépendants », remarque Antton Rouget.
Sans être dans l’outrance, beaucoup se réfugient dans le silence. Car au sein de LFI, les rares qui ont osé émettre des réserves sur le duo Mélenchon/Chikirou ont été éjectés du parti. Et même au sein du Nouveau Front populaire, chacun a regardé le bout de ses chaussures à l’annonce de la mise en examen de la députée.
À n’en pas douter, Sophia Chikirou ou ses soutiens verront dans cette chronique une nouvelle preuve de notre acharnement. Par avance, on peut répondre, comme toujours, par les faits. Mediapart publie une dizaine d’enquêtes par semaine, en moyenne. Mais n’a consacré que trois articles à l’affaire Chikirou au cours des deux dernières années. Quant à la « Lettre enquête », en près de trois ans d’existence et comme le montrent les archives consultables ci-dessous, c’est seulement la deuxième fois que nous abordons le sujet.
Michaël Hajdenberg, coresponsable du pôle Enquête.
enquete mediapart.fr
Lire notre révélationAffaire Chikirou : les faits face à une communication mensongère
Fabrice Arfi, Antton Rouget