Ce bras de fer entre IF Metall et Tesla implique également des syndicats en Norvège, au Danemark et en Finlande, qui bloquent les livraisons. Des fédérations syndicales de Suède, parmi lesquelles on trouve Fastighets (nettoyage), Elektrikerna (électriciens), Kommunal (municipalités), Byggnads (construction), Målarförbundet (peintres) et Seko (installation et entretien des bornes de recharge électrique), ont bloqué divers secteurs en aval de Tesla. Le groupe lui-même n’a pas d’usine de production en Suède. Le syndicat des musiciens a même bloqué la diffusion de musique dans les voitures Tesla ! Les syndicats ST (fonctionnaires) et Unionen (cadres) se sont également joints au mouvement de solidarité et ont appelé à des actions de blocage.
Mais l’objectif principal de la grève - priver Tesla de ses bénéfices - n’a pas été entièrement atteint. Avant même le début de la grève, Tesla avait annoncé qu’elle ferait appel à des briseurs de grève, ce que la multinationale a fait. L’ironie de la situation veut que le maillon faible de la grève de Tesla soit les salariés eux-mêmes, qui sont la véritable force d’un syndicat. Sur les quelque 120 personnes appelées à participer au mouvement par IF Metall, toutes n’ont pas rejoint la grève, loin s’en faut. Selon les statistiques du Bureau national de médiation, seules 44 personnes ont fait grève l’année dernière, soit un peu plus d’un tiers du personnel. De nombreux employés ne sont pas syndiqués et certains adhérents de l’IF-Metall se sont décidés à ne pas participer pour diverses raisons et ont été exclus du syndicat. En outre, les travailleurs ont subi de fortes pressions de la part de la direction ; dans certains cas, leur permis de séjour était même conditionné au fait de travailler.
Une partie du problème réside également dans le fonctionnement du syndicat. La présidente d’IF-Metall, Marie Nilsson, a déclaré dans une interview accordée au journal Dagens Nyheter en février que « nous n’aurions jamais lancé une grève si nous n’avions pas pensé qu’une majorité de membres nous rejoindrait ». Dans un syndicat qui repose sur l’activité de ses membres et sur un fonctionnement démocratique, une telle surprise n’aurait guère été possible - la direction aurait pu connaître à l’avance la position des adhérent.e.s et adapter sa stratégie en conséquence.
Actuellement, les deux protagonistes du conflit ne sont pas soumis à une pression immédiate. La caisse de grève d’IF Metall n’a pratiquement pas été entamée depuis 1980 et pourrait soutenir les grévistes manière illimitée. Tesla ne souffre pas non plus particulièrement tant que l’activité est maintenue. Cependant, l’enjeu est de taille. Même si le positionnement extrêmement hostile aux syndicats de Tesla est principalement dû au conseil d’administration présidé par Elon Musk et aux gros actionnaires, le faible taux de syndicalisation confère à Tesla un avantage concurrentiel et constitue une menace pour toutes celles et tous ceux qui travaillent dans l’entreprise. À l’inverse, une victoire d’IF Metall aurait un effet d’entraînement sur les syndicats du monde entier qui tentent également de s’implanter chez Tesla - en particulier l’IG Metall de la grande entreprise brandebourgeoise Grünheide et l’UAW américaine, qui a placé l’usine californienne de Tesla sur sa liste d’entreprises dans lesquelles il faut former une organisation syndicale.
La filiale suédoise de Tesla, TM Sweden, ne représente qu’une petite partie de l’empire de Musk et pourrait se voir enjoindre de maintenir son attitude antisyndicale, même si cela s’avère difficile et coûteux. Pour IF Metall, en revanche, la situation est plus difficile à long terme : les ouvriers qualifiés qui sont aujourd’hui en grève chez Tesla n’ont guère de difficultés à trouver d’autres emplois et doivent continuer à travailler pour maintenir leur niveau de compétence. Bien que quelques nouveaux grévistes se soient ajoutés au cours de l’année - y compris des personnes qui avaient été exclues du syndicat auparavant - il existe un risque que certains travailleurs se lassent et changent d’emploi si une issue rapide n’est pas envisageable dans un avenir proche.
Pour Tesla, une solution pourrait être d’adopter le modèle d’Amazon et d’embaucher tous les membres du personnel dans une entreprise formellement indépendante qui conclurait un accord avec le syndicat suédois. Mais jusqu’à présent, Tesla a refusé toutes ces solutions et d’autres qui ont été proposées par les médiateurs.
L’avenir est donc entre les mains du mouvement syndical suédois. Une pression plus forte est nécessaire. La manière la plus efficace d’y parvenir serait une offensive internationale contre Tesla, dans le cadre de laquelle des syndicats de différents pays s’uniraient pour imposer des accords et soutenir ceux qui veulent faire grève. Une telle alliance nécessiterait toutefois de rompre avec la vision souvent très nationale d’IF Metall et d’autres syndicats, qui placent la compétitivité de « leurs » entreprises au-dessus de la solidarité internationale.
Mais la grève pourrait également aboutir en Suède, à condition que Tesla ressente une pression sérieuse. Les activités de l’entreprise doivent être affectées suffisamment pour que les ventes en souffrent, ce qui nécessite une montée en puissance. Pour trouver de nouveaux moyens de gêner Tesla et de bloquer ses activités, il faut faire appel au savoir-faire de tous les membres du syndicat.
La défense contre les briseurs de grève est l’une des tâches centrales et les plus difficiles du syndicat. Pour cela, il faut donner envie aux grévistes de tenir bon et bloquer les briseurs de grève. Pendant la grève, les militants syndicaux ont mis en place des piquets de grève quotidiens sur les sites de Tesla. Mais si l’on en s’en rapporte au dictionnaire de l’Académie suédoise, un piquet de grève est « une équipe de garde chargée d’assurer le maintien de la grève (en empêchant les briseurs de grève d’entrer) ». Si des briseurs de grève continuent tout de même le travail et que les équipes de garde ne font rien pour les en empêcher, s’agit-il vraiment de piquets de grève ?
Il était important que des militant.e.s syndicalistes soient présent.e.s devant Tesla pour montrer que la grève continue et inciter d’autres travailleurs.euses à y participer. Mais cela n’a pas pu faire cesser l’entrée de non-grévistes. Interrogé par le journal Arbetet en août sur la possibilité pour IF Metall d’engager des poursuites contre l’entreprise si elle utilisait des briseurs de grève, le secrétaire-adjoint Simon Petersson a répondu : « Non, tout le monde reste libre de ne pas participer à la grève ». Il a ajouté qu’il « attendait de tous les employeurs qu’ils respectent le modèle suédois, qui réprouve le non-respect des usages en matière de grève ».
Mais le problème est justement que Tesla ne les respecte pas. Le syndicat ne ferait-il mieux d’arrêter d’attendre du respect et de recourir à des tactiques plus efficaces ?
Un groupe de vétérans de différents syndicats, qui a pris le nom de « Promenades contre le bris de grève », est très en colère à la fois contre Tesla et contre la mollesse de IF Metall. Ils sont intervenus indépendamment devant Tesla et ont tellement gêné l’entreprise que la police a été appelée à plusieurs reprises. Récemment, ils ont écrit une lettre ouverte dans laquelle ils déclarent que « IF Metall ne possède pas à lui seul les moyens et les capacités nécessaires pour mettre fin au conflit avec succès. C’est pourquoi une vaste mobilisation et de nouvelles mesures offensives de la part de LO (Confédération suédoise des syndicats) et de ses syndicats sont désormais nécessaires ». On ne peut que se joindre à cet appel.
En décembre dernier, la présidente de IF Metall, Marie Nilsson, a écrit une lettre aimable à Elon Musk, membre du conseil d’administration de Tesla, soulignant que « de nombreux employeurs suédois peuvent confirmer que IF Metall est un syndicat constructif et soucieux de trouver des solutions ». Comme Musk n’avait toujours pas répondu au bout de 46 jours, le quotidien Dagens Nyheter lui a demandé si elle pensait qu’une lettre amicale était la bonne approche et s’il ne fallait pas un message plus clair. Nilsson a souri et a répondu :
« C’est peut-être la prochaine étape ». Cela fait maintenant 279 jours, et Musk n’a toujours pas répondu. Il est grand temps de passer à la phase suivante.
Lars Henriksson