ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP. Marine Le Pen, quittant Matignon le 11 avril 2023. (photo d’illustration)
POLITIQUE - Tel est pris qui croyait prendre. Premier groupe de la législature à avoir la main sur l’ordre du jour de l’Assemblée nationale dans le cadre de sa niche parlementaire ce jeudi 31 octobre, le Rassemblement national a tout misé sur sa proposition de loi pour abroger la réforme des retraites. Le coup devait être triple : infliger un camouflet au camp présidentiel, flatter au-delà de son électorat en s’attaquant à une réforme honnie et mettre le Nouveau Front Populaire dans l’embarras. Mais ce mercredi 30 octobre, la présidente de l’Assemblée a définitivement enterré le plan du RN.
Pourtant, les espoirs étaient grands à l’extrême droite. Sur X, le groupe RN multipliait les interpellations pour mettre la pression sur les députés du NFP. « J-7 avant le vote de notre proposition d’abrogation de la réforme des retraites. Olivier Faure et les socialistes joueront-ils franc jeu ou se défileront-ils ? », peut-on lire par exemple dans une publication du 24 octobre relayant une prise de parole du numéro 1 du PS exprimant son souhait de voir abroger la réforme.
Le NFP ne s’en cachait pas, le dilemme était bien réel. Voter la proposition du RN, c’était ouvrir une brèche dans le cordon sanitaire. Ne pas la voter, c’était risquer l’incompréhension de leur base alors que la gauche a fait de l’abrogation de la réforme un totem de campagne. Les socialistes ont été les premiers à trancher : hors de question de soutenir un texte du RN avait fait savoir le groupe fin septembre. Mais les discussions se poursuivaient malgré tout. Selon nos informations, le sujet était encore à l’ordre du jour d’une réunion des chefs de files du NFP mi-octobre.
Le groupe GDR, où siègent les communistes, ne cachait pas que le débat existait dans ses rangs. Chez les Écologistes, Cyrielle Chatelain expliquait à Mediapart le 21 octobre que le sujet était « toujours en discussion ». Le Rassemblement national, de son côté, se frottait les mains. « La gauche doit dépasser son sectarisme », insistait son porte-parole Sébastien Chenu sur BFMTV le 23 octobre. La proposition de loi s’apprêtait alors à être examinée en commission des Affaires sociales. Et tout ne s’est pas passé comme espéré par les troupes lepénistes.
Deux pas en arrière, un (petit) en avant
En commission le 23 octobre, les députés ont rejetté largement les deux articles les plus importants du texte : le premier sur le retour de l’âge légal à 62 ans au lieu de 64 et le deuxième sur la durée de cotisation à 42 ans. Les élus de gauche se sont abstenus, à l’exception de l’écologiste Sandrine Rousseau et des socialistes Jérôme Guedj et Arnaud Simion qui ont voté contre ainsi que du communiste Yannick Monnet qui a voté pour. Mais in fine, les articles sont tombés, avec les voix des élus EPR, MoDem, Horizons et Droite Républicaine.
Ne restait alors plus qu’un seul article, celui sur le « gage », c’est-à-dire les moyens proposés par le RN pour financer sa mesure. Les députés l’ont voté sans modification et ont adopté dans la foulée une série d’amendements EPR et DR sur des demandes de rapport sur le financement des retraites et l’évaluation des précédentes réformes. Un quasi pied de nez au RN : sans les deux articles principaux, ces amendements et l’article sur le financement n’ont pas d’intérêt. La proposition de loi du RN s’est ainsi retrouvée vidée de sa substance. Et a donc été finalement adoptée en ces termes en commission.
Non sans provoquer la colère de Marine Le Pen. « Main dans la main, macronistes et députés LFI ont tenté de saborder la proposition de loi du RN. Le 31 octobre, lors de la présentation de ce texte massivement soutenu par l’opinion publique, nous prendrons à témoin les Français de l’escroquerie politique et de la duplicité de l’extrême gauche, des socialistes et des écologistes », s’insurgeait alors la cheffe des députés RN sur X. Sauf que ce scénario risque bien de ne jamais arriver.
Le précédent LIOT qui met un stop au RN
Puisque la proposition de loi dans son ensemble n’a pas été adoptée en commission, c’est cette version modifiée qui est censée être présentée dans l’hémicycle ce jeudi. La manœuvre oblige donc le RN à déposer des amendements pour rétablir sa proposition d’abrogation. Problème : le faire, c’est donner à Yaël Braun-Pivet la possibilité d’arrêter le débat avant même qu’il ne commence.
Car les amendements de rétablissement de l’abrogation doivent en effet être jugés recevables sur le plan financier par la présidente de l’Assemblée nationale. C’est le fameux « gage », l’article 3 qui a été adopté en commission et que le RN a rédigé en prévoyant une surtaxe sur le tabac. Et c’est précisément sur ce point que le plan du RN s’est fracassé.
En mai 2023, le groupe LIOT avait lui aussi déposé une proposition de loi pour abroger la réforme des retraites. Elle aussi avait été détricotée en commission et les élus LIOT avaient dû déposer des articles de rétablissement également basés sur une taxe sur le tabac. Mais le 7 juin, la présidente de l’Assemblée nationale les avait déclarés irrecevables sur le plan financier, douchant ainsi les espoirs que la proposition soit débattue et donc adoptée en séance.
Le même sort a été reservé ce mercredi 30 octobre aux amendements du RN. Selon Le Parisien et LCP, Yaël Braun-Pivet a les déclarés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution. Un camouflet pour le RN. Sa proposition de loi désormais vouée à l’échec, le Rassemblement national la retirera-t-il de son ordre du jour, comme l’avait fait LIOT à l’époque ? Interrogé par Le HuffPost sur cette possibilité avant que la décision de la présidente ne soit connue, Thomas Ménagé n’avait pas répondu à nos sollicitations. Mais auprès du Figaro, il prévenait qu’en cas d’irrecevabilité, son groupe « dénoncerait avec force ce scandale démocratique. » Une façon de reprendre un peu la main sur un récit… qui a déjà pris un sérieux coup quarante-huit heures auparavant, quand le RN a voté avec le bloc central contre l’abrogation de la réforme proposée par la gauche. Le happy ending n’est décidément pas à l’ordre du jour pour Marine Le Pen et ses troupes.
Jade Toussay