Photo : Utiel après la dana. Jaime Pérez Rivero.
La dana, qui a particulièrement frappé la province de Valence, constitue d’ores et déjà la catastrophe climatique la plus meurtrière du XXIe siècle en Espagne. Une tragédie qui a été exploitée par l’extrême droite pour inonder les réseaux sociaux de fausses informations et d’affirmations complotistes destinées à conforter son négationnisme climatique, à répandre sa haine, à attaquer le gouvernement et, au passage, à sauver le soldat Mazón, dont la responsabilité est engagée dans cette tragédie. Nous ne pouvons pas manquer de rappeler que nombre de ces diffuseurs professionnels d’infox sont dopés à l’argent public par l’intermédiaire des institutions contrôlées par le Parti Populaire.
Les experts en climatologie soulignent que les épisodes de fortes précipitations, qui peuvent être associés à des phénomènes de goutte froide ou autres, sont de plus en plus fréquents et de plus en plus intenses en raison du changement climatique. La course folle au profit, la logique productiviste et mercantile de la civilisation capitaliste/industrielle nous conduisent à une catastrophe écologique aux proportions incalculables. Chaque jour qui passe, les preuves, non seulement scientifiques mais aussi les plus empiriques, qui percutent notre quotidien, comme la tragédie de Valence, confirment l’urgence écologique. Face à cela, l’extrême droite a utilisé toute une batterie de bobards pour réaffirmer son négationnisme climatique. De la nostalgie franquiste aux odeurs de naphtaline pour les barrages et les réservoirs à l’annonce délirante d’une attaque météorologique marocaine utilisant une arme expérimentale américaine, le High Frequency Active Auroral Research Program (HAARP). N’importe quelle explication, aussi farfelue puisse-t-elle paraître, pour nier le changement climatique.
L’utilisation du mantra traditionnel des catégories sociales nostalgiques du franquisme - « la vie était meilleure sous Franco » - est devenue un procédé fréquent utilisé par l’ultra-droite, qui se rattache à la croyance réactionnaire selon laquelle toutes les époques passées étaient meilleures, tout en réhabilitant les figures autoritaires. Une manière d’exacerber le sentiment d’insécurité face au présent et la peur de l’avenir qui caractérisent un contexte marqué par la confluence de diverses crises croisées qui engendrent une authentique crise systémique marquée par l’urgence écologique. C’est ainsi que la figure de Franco émerge à la faveur des inondations de ces dernières semaines sous l’impulsion d’une extrême droite en mal de sauveur et d’une figure forte sécurisante. Ils revendiquent son grand œuvre, ses barrages, un mur contre les inondations et les crues que le climato-fanatisme a détruit. Ce sont eux (le gouvernement et les écologistes) qui sont les vrais coupables de la tragédie et non le changement climatique.
Différents groupes néo-nazis tels que le Núcleo Nacional et le Frente Obrero se sont vantés sur leurs réseaux sociaux de « patrouiller » dans les rues de Valence.
Abascal (président de Vox ndt) est allé jusqu’à désigner, sur le réseau social X, la Commission européenne et sa présidente Ursula Von der Leyen, comme portant une part de responsabilité dans la tragédie de Valence : « S’il y a des coupables... tu en es la première avec ta législation pénale qui supprime les retenues d’eau. Tu es l’ennemie du peuple espagnol ». L’extrême droite au Parlement européen s’est opposée à toute mesure, même timide, qui porterait sur la crise écologique, accusant le Pacte vert européen promu par la Commission européenne d’être une initiative inspirée par l’environnementalisme radical « néfaste pour les campagnes, l’industrie, l’emploi et la souveraineté énergétique et alimentaire de l’Espagne ».
Il est de plus en plus fréquent, sur les réseaux sociaux de l’extrême droite et dans ce qu’il est convenu d’appeler les médias, de lier, comme s’il s’agissait d’une formule mathématique, l’augmentation de l’immigration à l’augmentation de la criminalité.
La fausse information sur la démolition par le gouvernement des retenues d’eau construites sous Franco a trouvé un tel écho sur les réseaux sociaux, jusque dans certaines émissions de télévision, que le ministère de la transition écologique et du défi démographique (MITECO) a dû démentir que le gouvernement avait détruit quelque retenue d’eau que ce soit dans la région de Valence. Il a expliqué que les seules choses qui ont été supprimées sont des aménagements fluviaux obsolètes, principalement des barrages, dans le cadre de la stratégie nationale de restauration des cours d’eau, lancée en 2005, laquelle justement est essentielle pour la prévention des inondations.
La catastrophe provoquée par la Dana a plongé dans un terrible désarroi de nombreuses personnes qui ont tout perdu, une situation qui a été exploitée par l’extrême droite pour agiter le spectre de l’insécurité publique, en utilisant des cas isolés ou des infox caractérisées pour instaurer un climat de panique qui justifierait socialement lle déploiement de la violence de bandes armées. Le fondateur de Desokupa, Daniel Esteve, célèbre influenceur d’extrême droite et chantre du populisme punitif national, a posté sur ses réseaux sociaux : « C’est la putain de goutte d’eau qui fait déborder le vase. Ils squattent la maison d’un voisin du »point zéro« qui est allé aider les personnes les plus touchées. Demain, je vous apporte le petit-déjeuner, les Rats. Nous allons vous poursuivre jusqu’en enfer. » Le lendemain, cer même Esteve a réalisé différentes vidéos avec un petit groupe de ses partisans, assurant que cette nuit-là, ils nettoieraient les rues des « anchois », une manière de désigner les migrants et les gens de gauche. Dans le même ordre d’idées, différents groupuscules néonazis tels que le Núcleo Nacional et le Frente Obrero se sont vantés sur leurs réseaux sociaux de « patrouiller » dans les rues de Valence.
L’insécurité dans la vie quotidienne est l’un des points les plus fréquemment évoqués pour justifier la stigmatisation de la population migrante, de la pauvreté et des pauvres en général, par le biais d’une assimilation machiste entre la criminalité, l’insécurité, l’immigration et la pauvreté. Il est de plus en plus fréquent que les réseaux sociaux de l’extrême droite et des supposés médias d’information associent, comme s’il s’agissait d’une formule mathématique, l’augmentation de l’immigration à l’augmentation de la criminalité, amplifiant des cas isolés malgré les statistiques qui démontent ce lien. Une association qui a pour objectif ultime de promouvoir des politiques « dures » contre l’immigration et la délinquance.
À cet égard, il ne manque pas d’informations frauduleuses qui visent à promouvoir un discours de haine à l’encontre des migrants accusés d’avoir commis des pillages, des vols, des occupations de logements ou de vendre des produits de première nécessité, tels que des bouteilles d’eau, àpour faire de l’argent. Ainsi, dans une vidéo, un prétendu bénévole dénonçait le fait que, en raison de la carence de la police, « des Maures venus d’ailleurs arrivaient pourpiller les villages » touchés par les inondations. Aucune preuve n’a été apportée, mais des milliers d’interactions sur X l’ont rendue virale au point qu’elle a atteint deux millions de vues, renforçant la stigmatisation et la criminalisation de la population migrante. On profite de l’état de choc et d’indignation de la population face à la catastrophe pour propager encore plus vite la haine et le racisme.
Nous sommes en train de voir comment l’extrême droite a créé une sorte de « politique de la post-vérité », caractérisée par l’émergence de bulles d’information autonomes.
Une indignation que l’extrême droite veut alimenter par des bobards tels que la prétendue tentative du gouvernement de dissimuler le nombre réel de morts. L’épicentre de cette théorie du complot a été le parking de Bonaire qui, selon les agitateurs d’extrême droite, était rempli de morts. Iker Jiménez, Rubén Gisbert, BertRand Ndongo, Captain Bitcoin, Javier Negre et des pseudo-médias de droite comme EsDiario ont parlé de centaines de morts dans le parking inondé de Bonaire. Lorsque la police et les pompiers ont finalement pu inspecter les lieux et démentir ces informations, affirmant qu’aucun mort n’avait été retrouvé, au lieu de rectifier, l’ultra-droite a continué sa fuite en avant, recourant à des bobards complotistes pour prétendre que le gouvernement avait caché les morts qui se trouvaient sur ce site en les faisant transporter dans de supposés camions frigorifiques.
Nous observons ces jours-ci comment l’extrême droite a généré une sorte de « politique de la post-vérité » sur les réseaux sociaux, caractérisée par l’émergence de bulles d’information autonomes, imperméables aux contrôles et aux équilibres qui fonctionnaient traditionnellement comme des arbitres dans l’espace public. Un modèle communicationnel sur lequel repose une partie du succès de l’extrême droite et que la sociolinguiste Laura Camargo Fernández appelle le « trumpisme discursif ». Une véritable bobardocratie qui a pris en otage le débat public, créant un climat de désinformation et de « post-vérité ». Une « post-vérité » où les frontières entre « fait et fiction » sont remises en cause. Car ce n’est plus l’examen par la raison qui compte, mais la capacité à mobiliser les passions tristes.
Miguel Urbán Crespo
@MiguelUrban