Par rapport à l’élection de 2020, Trump a amélioré son pointage dans toutes les catégories et même sous-catégories, spécialement chez les jeunes hommes et parmi ces derniers parmi les jeunes latinos. On a assisté en fait à un renversement des tendances sectorielles :
Les tentatives des démocrates de dépeindre Trump comme un bigot, un nativiste et un dictateur en puissance - avec justesse, il faut le dire - n’ont eu que peu d’écho auprès des électeurs. M. Trump a obtenu un tiers du vote non-blanc, une part fortement stimulée par les hommes latinos, un groupe qu’il a remporté avec une marge de 10 points. En 2020, Biden les a gagnés avec 23 points d’avance. Et d’après les mesures que nous avons de la classe sociale, Trump a gagné le prolétariat. Il a obtenu 14 points auprès des personnes sans diplôme universitaire, soit plus de la moitié des électeurs ; Harris a obtenu 13 points auprès des personnes titulaires d’une licence ou d’un diplôme supérieur. Harris a obtenu 5 points auprès des ménages dont le revenu est supérieur à 100 000 dollars ; Trump a obtenu 4 points auprès de ceux dont le revenu est inférieur à 100 000 dollars. Il s’agit d’un renversement complet par rapport à 2020, lorsque Biden avait obtenu 13 points chez les moins de 100 000 dollars et Trump 12 points chez les plus de 100 000 dollars. Harris l’a emporté de 8 points parmi les ménages comptant un membre d’un syndicat, soit la moitié de la marge de Biden en 2020.
(Doug Henwood, US 2024 Elections : It Was Always About Inflation, Jacobin par ESSF, 8/11/24)
Si le racisme et sexisme ont nul doute joué un rôle sous-jacent — la base trumpienne ne voterait jamais pour une femme noire — ils ne furent pas déterminants pour gagner le centre mou. Une grande majorité des analystes l’a souligné : « Quelles étaient les questions importantes pour les électeurs ? Ce qui a le plus compté dans ce sondage Gallup et dans les sondages de sortie des urnes, c’est « l’économie », c’est-à-dire, pour la plupart des gens, l’inflation, un sujet que les démocrates ont éludé pendant trois ans. […] En raison de ces augmentations de prix, les plus élevées depuis plus de quarante ans, les revenus réels ont été affectés. Sous Trump, le salaire horaire réel moyen a augmenté de 4,8 % ; sous Biden, il a baissé de 1,3 %. Selon les estimations de Motio Research, les revenus réels des ménages ont augmenté de 1,8 % sous Biden, soit 6 points de moins que les 7,8 % de Trump. » (Doug Henwood).
Cette vérité basique n’avait rien d’exceptionnelle depuis le choc de la pandémie qui a donné lieu à maints revers ou reculs électoraux des gouvernements en place à travers le monde : « Comme dans de nombreux autres pays, les gouvernements en place qui ont présidé à la période post-pandémique ont été évincés. En effet, c’est la première fois depuis le début du suffrage universel que tous les partis en place dans les pays développés ont perdu des voix. Les démocrates sont les derniers en date - l’Allemagne sera la prochaine [et le Canada en 2025 avec l’archi-Conservateur Poililievre très en tête des sondages ?, NDLR] (Michael Roberts, US election 2024 : inflation, immigration and identity, Blog de l’auteur, 9/11/24).
L’erreur de la campagne Harris, en plus d’avoir soutenu le bilan de la présidence Biden qui n’était positif que pour les classes supérieures, d’où son bon score relatif parmi cette couche riche, fut sa campagne identitaire qui passait à côté de la préoccupation inflationniste ayant appauvri la couche prolétarienne et petite-bourgeoise :
La campagne de Mme Harris était principalement basée sur ce que l’on appelle la « politique de l’identité ». Elle a demandé le soutien des électeurs noirs contre le racisme ouvert de Trump. Elle a sollicité le soutien des électeurs hispaniques contre les attaques de Trump contre les immigrés ; elle a sollicité le soutien des femmes contre la réduction du droit à l’avortement par Trump. Elle a obtenu des majorités dans ces groupes, mais beaucoup moins qu’en 2020. Mme Harris a perdu le soutien des femmes, sa majorité passant de 57 % en 2020 à 54 %. Ces majorités ont été dépassées par la majorité accrue d’électeurs masculins soutenant Trump lors de cette élection. (Michael Roberts)
N’empêche, la question identitaire se tenait en embuscade derrière le monstre de l’inflation : « De nombreux Américains considèrent que l’« immigration incontrôlée » est à l’origine de la perte d’emplois et de l’augmentation de la criminalité, contre toute évidence. Néanmoins, cette crainte avait du poids, en particulier dans les petites villes et les zones rurales » (Michel Roberts). Comme l’immigration est très majoritairement de couleur, derrière la xénophobie anti-immigration se cache le traditionnel racisme bien implanté dans l’histoire des ÉU. Face à une gauche effondrée, plus aux ÉU qu’ailleurs car on n’y trouve même pas un parti de masse de centre-gauche comme partout en Europe, au Canada et au Québec, le camp Trump eut beau jeu à stigmatiser l’immigration pour tous les maux sociaux sans qu’il n’y ait une gauche pouvant proposer une alternative.
À cet égard, on voit bien qu’au Québec sont de fidèles émules de Trump tant le chef de la CAQ au gouvernement que son alter ego du PQ, en tête des sondages, dévoyant l’indépendantisme. Il faut cependant avouer que ces réellement existants partis de centre-gauche pouvant prétendre au gouvernement ont attrapé la maladie centriste des Démocrates étatsuniens. (Peut-être faut-il faire exception de la fragile coalition NFP française.) En résulte qu’ils sont une composante du problème et non de la solution. En attendant que perce une alternative de société solidaire de décroissance matérielle, le trumpisme aura beau jeu de déferler sur le monde, où il compte des frères ennemis clefs à la tête des deux autres grandes puissances, en particulier sur ses voisins nord-américains fortement imbriqués économiquement avec lui. En 2026, le peuple américain pourrait peut-être vouloir se raviser électoralement. Mais le pourra-t-il ? Après tout, Trump « n’a obtenu que 28 % de soutien de la part des Américains en âge de voter » (Michael Roberts).
Marc Bonhomme, 11 novembre 2024
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