Avignon (Vaucluse).– « Aux femmes, il n’y a pas de fatalité à subir. Aux hommes, pas de fatalité à agir. » Les derniers mots, très forts, de l’avocate générale, sont venus conclure mercredi 27 novembre deux jours et demi de réquisitions menées au pas de charge par le ministère public.
« Par votre verdict, vous nous guiderez dans l’éducation de nos fils, et c’est de l’éducation que s’impulsera le changement », a ajouté Laure Chabaud à l’adresse de la cour criminelle du Vaucluse, qui rendra son verdict fin décembre à l’issue du procès de 51 hommes jugés pour des viols aggravés sur Gisèle Pelicot, droguée par son mari et livrée à des hommes pendant près d’une décennie.
Gisèle Pelicot quitte le palais de justice d’Avignon, suivie de ses avocats Antoine Camus et Stéphane Babonneau le 26 novembre 2024. © Photo Christophe Simon
Des peines de dix à douze ans de réclusion criminelle ont été requises pour la moitié des 51 accusés. Entre treize et quatorze ans sont demandés pour douze autres et de quinze à vingt ans de réclusion pour les douze derniers. La peine la plus basse, quatre ans de réclusion, a été requise à l’encontre de Joseph C., le seul jugé pour agression sexuelle aggravée (et non viol aggravé). La plus lourde, vingt ans, échoit à Dominique Pelicot, qualifié de « clef de voûte » du dossier. C’est la peine maximale pour viol aggravé.
Les accusés s’étant rendus plusieurs fois au domicile du couple, ceux également poursuivis pour détention d’images pédopornographiques et/ou ayant un casier judiciaire déjà bien garni – en particulier pour des faits de violence – ont vu les peines les plus sévères demandées à leur encontre, de quatorze à dix-huit ans de réclusion.
Les avocats généraux, Laure Chabaud et Jean-François Mayet, qui se sont relayés de lundi à mercredi matin au pupitre, ont également eu la main plus lourde envers ceux qui ne reconnaissent pas pleinement les faits, malgré des vidéos accablantes. Inversement, ils ont pu accorder une sorte de « prime aux aveux », baissant légèrement la peine requise pour les accusés ayant cheminé vers leur prise de responsabilité, ou totalement reconnu leurs actes.
À raison de huit à dix minutes par accusé – une heure pour Dominique Pelicot – et sans toujours véritablement argumenter, les avocats généraux ont distribué les appels à condamner, la sévérité des peines grimpant au fils des heures et des jours.
Une « communion dérangeante »
Dix-huit années de réclusion ont ainsi été requises mercredi matin à l’encontre de Romain V., 63 ans, qui s’est rendu à six reprises au domicile du couple. Séropositif, mais avec une charge virale indétectable et donc non transmissible, il n’avait pas averti de sa maladie ni utilisé de préservatif. Sa « personnalité très particulière » et son incapacité « à donner des explications crédibles » lui valent une demande de peine plus lourde.
Dix-sept années de réclusion ont été demandées pour trois autres hommes. Jean-Pierre M., accusé d’avoir imité le mode opératoire de soumission chimique avec sa propre femme pendant quatre ans, en présence de Dominique Pelicot. Puis Mohamed R. « invité » dans la maison de vacances du couple sur l’île de Ré et déjà condamné à cinq ans de prison en 1994 pour des faits de viol sur sa fille. Et enfin, Dominique D. qui est allé à six reprises à Mazan. Décrit par Dominique Pelicot comme « le plus complice de tous », cet ancien chauffeur routier de 45 ans n’a cessé de livrer des versions divergentes sans jamais pleinement admettre les faits.
Les deux autres accusés qui se sont rendus six fois chez le couple, Charly A. et Jérôme V., ont vu la peine demandée à leur encontre fixée à seize ans. Le dernier a reconnu « de façon réitérée les faits », souligne à son sujet Jean-François Mayet, à la différence de Charly A. qui n’a reconnu « que la matérialité des faits de viol » mais pas l’intention, à l’instar de bon nombre d’accusés.
« Il est apparu dans cette salle une sorte de communion dérangeante et une décontraction apparente », a commenté à ce sujet l’avocate générale. « La formule “Je reconnais les faits mais pas l’intention” a été prononcée dans cette salle comme une formule magique pour atténuer la responsabilité. Mais sachez, messieurs, que les formules magiques ne fonctionnent pas dans une enceinte judiciaire ! », a tonné Laure Chabaud.
Ambivalence et dénégations sanctionnées
Durant onze semaines de débats et d’interrogatoires, beaucoup n’ont cessé de se justifier, de minimiser leur responsabilité voire de se victimiser, restant plongés dans leur déni malgré des vidéos des faits accablantes. Mais ces stratégies n’ont clairement pas payé aux yeux des avocats généraux.
Le ministère public a requis dix ans de réclusion à l’encontre de vingt-six accusés puis a recommandé des peines de douze années pour treize autres, pointant quasi systématiquement leur « mise en retrait de responsabilité ». Comme Boris M. « qui ne parvient pas à dire de quoi Mme Pelicot a été victime », Thierry P. « réfugié derrière ses propres faiblesses qui ne l’exonèrent pas de ses responsabilités » ou encore Omar D., « compte tenu de l’ambivalence de son positionnement : un pas en avant pour deux pas en arrière ».
Onze années de réclusion ont par ailleurs été requises à l’encontre de deux hommes : Andy R., qui reconnaît les faits mais a des antécédents judiciaires de violences sur sa compagne, et Quentin H., qui « reconnaît les faits et ne discute pas de l’intention mais aurait dû être exemplaire », de par ses anciennes fonctions de surveillant pénitentiaire.
Des peines inférieures à quatorze ans de réclusion ont par ailleurs été requises à l’encontre de deux accusés, pourtant venus à deux reprises à Mazan. Il s’agit de Redouane A., pour lequel l’avocat général souligne l’existence d’un « débat sur des problématiques psychiatriques ayant pu altérer son discernement » et demande donc douze ans de réclusion. Et Abdelali D., afin de tenir compte « de sa reconnaissance pleine et entière des faits ». Cet homme de 48 ans est l’un des rares à admettre qu’il savait que Gisèle Pelicot était droguée par son mari. Des aveux complets qui lui valent une réquisition de treize années de réclusion.
Vous délivrerez un message d’espoir à toutes les victimes de violences sexuelles et vous rendrez une part de l’humanité volée à Gisèle Pelicot.
Enfin, une demande de requalification des faits en « tentative de viol aggravé » a été réclamée par l’avocat général, concernant Saifeddine G., qui a toujours affirmé n’avoir pas pénétré Gisele Pelicot. Le visionnage de la vidéo des faits n’avait, à l’audience, pas permis de lever le doute.
« Par votre verdict, vous signifierez que les viols ordinaires n’existent pas. Par votre verdict, vous signifierez que les viols accidentels et involontaires n’existent pas », a clamé l’avocate générale à la cour, dans ses vibrantes et puissantes conclusions, qui ont ému des femmes présentes dans le public. « Il y aura un avant et un après. Vous délivrerez un message d’espoir à toutes les victimes de violences sexuelles et vous rendrez une part de l’humanité volée à Gisèle Pelicot », a-t-elle poursuivi. Selon Laure Chabaud, ce procès « est une pierre à l’édifice que d’autres après nous vont continuer à construire » même si « le changement profond du système de pensée ne se fera pas en un jour ».
Lors de ses observations générales lundi, à l’entame des réquisitions, l’avocate générale avait tenu à déconstruire, point par point, toutes les stratégies adoptées par les accusés. « Tout ce qui a pour but d’atténuer la responsabilité de ceux qui n’assument pas leurs actes au regard de la cour, leurs familles, la société. » Ajoutant : « Leur responsabilité est pleine est entière […]. Tous ont choisi de rester, de faire abstraction de la victime et de poursuivre leur but de satisfaction personnelle. »
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Lundi 25 novembre, au premier jour des réquisitions, des militantes féministes sont venues manifester devant le tribunal. © Cécile Hautefeuille
Laure Chabaud a évacué d’un revers la ligne de ceux qui affirment avoir été « piégés » par Dominique Pelicot, voyant là une « une position – une posture presque – pour endosser le costume mal ajusté de l’accusé victime ».Et a balayé aussi sec les arguments tournant autour du « consentement implicite » ou accordé par le seul mari. « On ne peut plus, en 2024, considérer que parce qu’elle n’a rien dit, elle était d’accord […]. Quant à la théorie du consentement par procuration, ce sont des pensées d’un autre temps. L’époux aurait donc encore la libre disposition du corps de sa femme ? Ceci n’est pas entendable. »
Enfin, à ceux qui disent penser avoir été eux-mêmes drogués par Dominique Pelicot dans la visée de « réduire [la] sentence » de la cour, l’avocate générale répond : « Il faudrait nous expliquer quelle substance a la capacité de faire commettre des actes à quelqu’un contre son gré tout en étant en état d’érection ! » Et en termine par ces mots : « Si la rencontre entre ces coaccusés a été possible, ce n’est pas un hasard. Il a fallu que la proposition de l’un résonne avec le fantasme de l’autre. »
Devant le tribunal d’Avignon, une grande banderole réclamant « 20 ans pour tous » flotte depuis près d’une semaine sur les remparts. Des affiches du même acabit sont collées sur des murs, suscitant l’ire de certains avocats de la défense. Si ces messages n’ont pas été complètement entendus, les avocats généraux n’ont pas tremblé dans leurs réquisitions. Et ils ont délivré un message à toute la société.
Les plaidoiries de la défense vont maintenant débuter. C’est Béatrice Zavarro, avocate de Dominique Pelicot, qui ouvrira le bal des cinquante et une argumentations, mercredi 27 novembre en début d’après midi.
Cécile Hautefeuille