En prison pour des vidéos TikTok et une intrusion. À la tête d’un mouvement social contre la vie chère en Martinique depuis le 1er septembre, Rodrigue Petitot a été incarcéré jeudi. Le tribunal judiciaire de Fort-de-France a ordonné son placement en détention provisoire, en attente de son procès prévu le 21 janvier 2025, pour avoir pénétré sans autorisation dans la résidence du préfet de la Martinique.
Cet homme, dit « le R », est le président du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC). Il n’a cessé de bousculer les acteurs socio-économiques et politiques pour revendiquer l’alignement des prix des produits de première nécessité avec l’Hexagone, a déjà été condamné à dix mois de prison ferme, pour intimidation d’élus.
Une condamnation intervenue après la diffusion de vidéos sur le réseau social TikTok. Il restera donc à la prison de Ducos, dans le centre de l’île, où il attendait depuis le début de la semaine la pose d’un bracelet électronique. En « live » sur le réseau social, Rodrigue Petitot avait appelé, en créole, à « attaquer » les mairies. « Il a dit : on vous attaquera, vous ne conserverez pas vos postes, resitue Me Max Bellemare, l’un de ses avocats. Les juges l’ont pris au premier degré et ont estimé qu’il s’agissait d’intimidation. »
Rodrigue Petitot lors d’une manifestation contre la vie chère dans les outre-mer à Paris, le 10 novembre 2024. © Photo Bastien Ohier / Hans Lucas via AFP
« Ces multiples procédures ne forment qu’un prétexte pour incarcérer M. Petitot,attaque un autre de ses avocats, Me Eddy Arneton. La liberté d’expression est protégée en France, ce qui se passe en Martinique est très grave ! On a le sentiment de basculer dans un autre régime et qu’on s’éloigne de la démocratie. M. Petitot aujourd’hui, mais demain cela peut être les journalistes, n’importe qui en fait. On peut dire que M. Petitot est un prisonnier politique. »
Dans les rues de Fort-de-France, les déboires successifs de Rodrigue Petitot avec la justice ont provoqué un regain de tension. Des incendies nocturnes de grandes enseignes ont à nouveau eu lieu, ainsi que des affrontements sporadiques avec la police.
« Lorsque la CGT, FO et les autres organisations syndicales appellent à manifester à Paris, on ne dit pas qu’ils appellent à la violence, reprend Me Bellemare. On peut aussi se poser la question de savoir si ces procédures ne sont pas une réponse à la demande de “judiciarisation” du dossier formulée par le ministre de l’intérieur démissionnaire [Bruno Retailleau]. » Les avocats de Rodrigue Petitot comptent déposer dès lundi une demande de mise en liberté.
Le protocole vie chère suspendu>
L’incarcération du « R » et son maintien en détention jusqu’à l’audience du 21 janvier forment l’ultime épisode d’un bras de fer engagé par le RPPRAC avec tout ce que l’île compte d’autorités constituées. Après plusieurs semaines de manifestations et de blocages de supermarchés, un cycle de négociations s’était toutefois engagé à la préfecture de Fort-de-France au mois de novembre.
Finalement, dénonçant un accord vide de sens et ne concernant qu’un nombre réduit de produits, le RPPRAC n’avait pas signé le « protocole d’objectifs et de moyens » de lutte contre la vie chère issu des discussions.
Paraphé par la préfecture, les représentants de la grande distribution et les parlementaires, le protocole devait entrer en application au tout début de l’année prochaine. À cause de la censure du gouvernement et de la nécessité de mettre en place une nouvelle loi de finances, il y aura forcément « un décalage » dans la mise en œuvre de ce protocole et notamment l’application d’un taux zéro de TVA sur une liste de produits, reconnaissait la préfecture de Martinique, dans un communiqué publié jeudi 5 décembre.
Bien que Rodrigue Petitot soit désormais empêché de publier sur TikTok et tous les autres réseaux, le climat social risque de ne pas connaître d’embellie prochaine en Martinique. La situation de crise est multiforme aux Antilles françaises.
Affirmant que l’ordre public est une responsabilité de l’État et qu’il faillit à sa mission, les principales compagnies d’assurances ont annoncé ces derniers jours se désengager de la Martinique. La compagnie d’assurances Generali (GFA Caraïbes) et deux autres majors, Groupama et Allianz, ont annoncé, sur le site de la revue professionnelle L’Argus de l’assurance, limiter leur offre commerciale en Martinique. Plus aucune compagnie d’assurance n’accepte désormais de couvrir les risques « émeutes » pour les entreprises.
L’avocat Max Bellemare continue de répéter que la démarche du RPPRAC n’a rien à voir avec la violence. « Chaque fois qu’il en a l’occasion, M. Petitot fait répéter à la foule : notre mouvement est pacifique ! La Martinique est gangrénée par le trafic de drogue et les armes à feu et on nous affirme qu’on n’a pas les moyens de livrer la guerre. Mais lorsqu’il y a des revendications d’ordre social complètement légitimes contre la vie chère, deux contingents de CRS ont débarqué. Cela ne s’était pas vu depuis 1959. »
Julien Sartre