L’inauguration le 8 décembre prochain de Notre-Dame de Paris restaurée se rapproche. Les médias se préparent à couvrir l’événement respectueusement et, si possible, avec originalité ; exercice difficile tant cet accomplissement extraordinaire a déjà fait l’objet de récits, d’analyses et de débats nourris par les publications de groupes de recherche dans de nombreux domaines scientifiques, des sciences de la pierre et du bois à l’ethnologie.
C’est sur ce domaine des sciences humaines que nous voulons ici attirer l’attention, domaine exploré par le Groupe de Travail EMOBI (EMOtions-MOBIlisations) du CNRS et du ministère de la Culture. Son champ d’investigation est au mieux défini par ses coordinatrices et peut tenir en un seul énoncé :
Comment un patrimoine, doté de fonctions et de significations locales, peut-il faire sens universellement ? Comment à l’inverse se réapproprie-t-on localement un patrimoine décrété commun à l’échelle de l’humanité ?
Ce champ d’investigation est à l’évidence celui qu’ouvrit en 1991 l’inscription de Notre-Dame au patrimoine mondial de l’Unesco dont la pertinence fut démontrée par l’intense émotion planétaire que suscita l’incendie du 15 avril 2019. Investigation difficile car une émotion n’est guère quantifiable si bien que seuls des exemples sont à même d’exprimer la diversité et la profondeur de cette appropriation symbolique mondiale d’un patrimoine national. Cela implique qu’il y a choix des témoignages et donc place pour un inévitable arbitraire ; c’est en particulier le cas pour le témoignage écarté suivant qui serait pourtant un saisissant cas d’école :
10 jours seulement après l’incendie, l’organe de presse officiel de l’Armée Populaire du Vietnam publie un long et surprenant article sur l’architecture médiévale de Notre-Dame et son histoire [1] et conclut que l’événement du 19 janvier 1969 du déploiement de la bannière du Front National de Libération du Sud-Vietnam à la croix sommitale de la flèche Viollet-Le-Duc le jour même de l’ouverture des négociations de Paris sur la guerre du Vietnam devrait être considéré comme l’un des événements majeurs de l’histoire pluriséculaire de la cathédrale !
Pour rappel, cet événement [2] du 19 janvier 69 fit un mémorable « buzz » international jusqu’au New York Times. Il est justement représentatif de l’une des « multiples appropriations » possibles d’un patrimoine commun. On peut comprendre l’embarras d’une Institution étatique française face à cette prétention d’une ancienne colonie, durement exploitée et réprimée [3], dans l’Histoire pluriséculaire de l’édifice le plus vénéré de France et l’un des plus révérés au monde. Pourtant, la France a tout à s’enorgueillir d’avoir non seulement accueilli les parties belligérantes à Paris en 1969 mais aussi d’avoir créé les conditions d’une négociation par ses remarquables capacités diplomatiques et par l’action résolue de personnages de premier plan tels Jean Sainteny et Raymond Aubrac [4], anciens résistants antinazis.
Cette singularité historico-politique dans le concert de condoléances internationales pourrait - voire devrait ? - trouver place comme élément circonstanciel notable dans les conclusions du ministère de la Culture lors de l’inauguration de Notre-Dame restaurée. Cela sera-t-il le cas ? difficile de le savoir et pourrait être le sujet d’une brève enquête journalistique. Nous avons d’ailleurs rencontré l’auteure de cet article [5] à Saïgon mi-novembre, ce qui a abouti à une série d’articles dans le même journal et en avons appris plus sur les tenants et aboutissants de cette singularité5. Nous tenons à disposition toutes informations en tant que co-acteurs de l’événement de janvier 69 et co-auteurs de l’ouvrage qui en fait le récit contextualisé.4
Nous joignons quelques pages illustrées sur la question ethnologique posée, l’acte lui-même et sa résonance internationale.
p.a. O. Parriaux co-acteur-auteur avec B. Bachelard et N. Graff
Professeur émérite Université de Lyon @ St-Etienne
CH – 1005 Lausanne
2 décembre 2024
