C’était le dernier hôpital qui traitait des malades et blessé·es dans le nord de la bande de Gaza. Un « raid sur l’hôpital » Kamal-Adwan de Beit Lahia, lancé par les forces armées israéliennes, l’a « mis hors service » vendredi, a dénoncé l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans un communiqué. L’attaque aurait été perpétrée dans la matinée, causant la destruction de « plusieurs unités cruciales » de l’établissement de santé.
Dans un communiqué, le ministère de la santé du gouvernement à Gaza a indiqué que « les forces d’occupation [israéliennes] ont emmené des dizaines de membres du personnel médical de l’hôpital Kamal-Adwan, dont le [directeur] Dr Hussam Abou Safiya, vers un centre de détention pour les interroger ».
Dans la soirée, le ministère des affaires étrangères israélien, citant un communiqué officiel de Tsahal (les forces armées israéliennes) a par la suite confirmé que le directeur de l’hôpital avait été arrêté, justifiant qu’il serait soupçonné d’être « un terroriste du Hamas ». L’armée israélienne a également indiqué que son opération sur place était désormais « terminée »,affirmantque l’hôpital aurait été utilisé comme base par des soldats du Hamas comme « centre de commandement », sans en apporter de preuve.
Les troupes israéliennes auraient mis le feu dans différentes zones de l’hôpital, notamment le bloc opératoire, toujours selon le ministre de la santé local, cité par Associated Press.
Les destructions après les frappes israéliennes visant la cour de l’hôpital Kamal-Adwan à Beit Lahia, le 25 décembre 2024. © Khalil Ramzi Alkahlut / Anadolu via AFP
L’OMS fait état de « soixante agents de santé et vingt-cinq patients dans un état critique », rappelant que « le démantèlement systématique du système de santé à Gaza est une peine de mort pour les dizaines de milliers de Palestiniens qui ont besoin de soins ».L’armée israélienne aurait ordonné l’évacuation de ces derniers patients vers un autre hôpital hors service, inapte à recevoir des personnes blessées, sans eau ni électricité. Les conditions de survie sont d’autant plus difficiles que de rudes intempéries s’abattent sur la bande de Gaza, des bourrasques glaciales faisant s’envoler les abris de fortune.
Le Réseau des ONG palestiniennes (PNGO) dénonce, dans un communiqué samedi, au moins cinq morts : « Le PNGO condamne fermement l’escalade des crimes de l’occupation israélienne contre le système de santé dans le nord de la bande de Gaza. Le secteur de la santé du PNGO fait référence à l’assaut de l’hôpital Kamal-Adwan par l’occupation israélienne, à l’évacuation forcée des malades et des blessés et au ciblage du personnel médical, qui a entraîné la mort de cinq d’entre eux et la destruction des installations hospitalières. »
Les témoignages des familles et du personnel de l’hôpital
Des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, dont l’heure d’enregistrement est difficile à authentifier précisément, montrent un drone quadricoptère larguer une bombe aux alentours de l’hôpital Kamal-Adwan en plein jour. Shurooq Saleh Khader al-Rantisi, une laborantine qui travaillait au centre hospitalier, raconte dans une autre vidéo diffusée par le journaliste palestinien Osama Abu Rabee que l’armée israélienne a demandé au personnel « d’évacuer le bâtiment » et a commencé à « brûler des documents » sur place.
Ils nous ont marqués avec des numéros sur notre poitrine et derrière le cou puis nous ont embarqués, nus, dans des camions.
Sur d’autres images diffusées par l’armée israélienne, on voit une vingtaine d’hommes, certains sans pantalon, marcher en ligne, aux alentours de l’hôpital. Selon la journaliste Wizard Bisan, il s’agirait de docteurs qui auraient été contraints de se déshabiller et de quitter les lieux, mais il pourrait aussi s’agir de patient·es. La laborantine Shurooq Saleh Khader al-Rantisi rapporte aussi que l’armée aurait déshabillé le personnel hospitalier sur place avant d’en emmener une grande partie à l’extérieur.
« Avant-hier déjà, l’armée est arrivée dans la nuit, a tiré des missiles sur l’hôpital et ses alentours, rapporte un homme qui dit avoir été évacué de force de l’hôpital Kamal-Adwan avec sa femme et ses enfants. Hier [vendredi], l’armée est arrivée avec un mégaphone et a demandé au directeur de leur remettre tous les patients, blessés et malades. »
Il explique que les forces israéliennes auraient demandé à ce qu’ils et elles sortent dénudé·es du bâtiment avec les autres patient·es et leurs familles. Une fois arrivé·es à un « checkpoint » quasiment sans vêtements, ils et elles se seraient vu attribuer un numéro : « Ils nous ont marqués avec des numéros sur notre poitrine et derrière le cou puis nous ont embarqués, nus, dans des camions. » Toutes et tous seraient restés parqués là une grande partie de la nuit.
Le directeur de l’hôpital Hussam Abou Safiya aurait été arrêté
La situation actuelle du directeur de l’hôpital, Hussam Abou Safiya, inquiète également. Le directeur du ministère de la santé à Gaza assure que ce dernier a été « violemment battu par les forces d’occupation » avant d’être arrêté. Depuis que son arrestation a été confirmée par Israël à l’AFP, aucune information supplémentaire n’a circulé quant à son état de santé ou sa localisation.
Un compte Instagram officiel au nom du médecin, qui n’est pas alimenté uniquement par lui, avait partagé un message en fin de journée dans lequel il était écrit que « tout ce qui a été écrit sur l’arrestation du Dr Hussam Abou Safia est faux, Dieu merci il va bien, mais les moyens et réseaux de communication sont très mauvais ».Sans plus de précisions, ni de preuve de son état, il était impossible de savoir si la publication avait bien été envoyée par le concerné ou un membre de son entourage.

Hussam Abou Safiya. Captures d’écran du compte Instagram dr.hussam73.
Le docteur est devenu une figure très visible de la résistance palestinienne, de par son engagement auprès des blessé·es sur le terrain et les nombreux témoignages qu’il a livrés à la presse internationale ces derniers mois. Début novembre, il rapportait à Mediapart une situation « épouvantable » et « jamais vue », qu’il essayait de capturer dans de rares vidéos. « Israël veut nous tuer un à un pour que nous cessions de faire tourner l’hôpital, qu’il n’y ait plus aucune possibilité de prise en charge médicale dans le Nord, plus aucune âme qui vive ici. Afin d’annexer le territoire »,avait-il témoigné.
Malgré des tentatives de prise de contact par Mediapart ce samedi, le téléphone du directeur ne semble pas recevoir nos messages.
Depuis le 22 décembre, il exhortait la communauté internationale à agir « avant qu’il ne soit trop tard » : « Les bombardements n’ont pas cessé de la nuit, des maisons et des bâtiments ont été détruits à proximité. Depuis ce matin, l’hôpital est visé par des bombes lâchées par des drones, qui continuent de menacer nos réserves en carburant et en oxygène », pouvait-on lire dans un communiqué.
« L’armée israélienne nous a ordonné d’évacuer l’hôpital », avait-il aussi prévenu dans une vidéo diffusée le 8 octobre. « Elle nous a dit que l’hôpital Kamal-Adwan allait devenir le prochain hôpital Al-Shifa si on n’évacuait pas. » Al-Shifa était le plus grand hôpital de la bande de Gaza, qui a été entièrement détruit par Israël après une attaque en novembre 2023, puis un nouvel assaut en mars 2024.
« Il n’y a qu’un seul hôpital qui fonctionne dans le nord de la bande de Gaza et c’est Kamal-Adwan. Il n’y a ni eau ni médicaments », rappelait le 5 novembre la journaliste palestinienne Hind Khoudary. Sur son compte X, elle a plusieurs fois fait état de « raids » des forces israéliennes qui ont « commencé à fouiller les différents secteurs » du centre hospitalier dès le 25 octobre.
Israël vide le nord de Gaza de sa population
La ville de Beit Lahia est située au nord de Gaza, à quelques kilomètres de la frontière avec Israël. Le territoire a été ciblé par de nombreuses frappes israéliennes ces derniers mois, qui s’intensifient depuis le mois d’octobre, dans le but de vider le nord de la bande de Gaza de sa population. Le 6 octobre, Tsahal a ordonné aux habitant·es d’« évacuer » la zone pour se rendre dans le Sud, pourtant tout aussi peu sécurisé.
Le 26 octobre, un pâté de maisons d’une zone résidentielle a ainsi été rasé, causant la mort d’au moins vingt-deux personnes, selon le ministère de la santé local. Le 29 octobre, une frappe israélienne « a touché un immeuble résidentiel et tué environ cent personnes », une attaque que la France a officiellement condamnée par voie de communiqué. Dans la nuit du 4 au 5 novembre, un immeuble appartenant à la famille al-Masry situé tout au nord de l’enclave a aussi été bombardé, tuant au moins vingt-cinq personnes, rapportait l’agence de presse palestinienne Wafa.
La guerre que mène Israël à Gaza depuis les attaques meurtrières perpétrées par le Hamas le 7 octobre 2023 a causé la mort d’au moins 45 000 Palestinien·nes.
Début décembre, la plus importante ONG de défense des droits humains Amnesty International a rendu un rapport, affirmant que les autorités israéliennes commettent un crime de génocide contre la population palestinienne de Gaza. « Nos conclusions accablantes doivent sonner comme un signal d’alarme pour la communauté internationale : il s’agit d’un génocide, qui doit cesser immédiatement », a expliqué sa secrétaire générale, Agnès Callamard, après neuf mois d’enquête.
Deux semaines plus tard, c’est une organisation, Human Rights Watch, qui a indiqué que « les autorités israéliennes sont responsables du crime contre l’humanité d’extermination, et d’actes de génocide ».
« Les autorités israéliennes ont délibérément créé des conditions de vie visant à causer la destruction d’une partie de la population de Gaza, en privant intentionnellement les civils palestiniens de l’enclave d’un accès adéquat à l’eau, ce qui a probablement causé des milliers de morts », peut-on lire dans le rapport, rédigé à partir d’entretiens avec plus d’une centaine de Palestinien·nes, professionnels de santé et employé·es d’agences des Nations unies et d’organisations internationales.
Enfin, Médecins sans frontières (MSF) a dénoncé la « campagne de destruction totale menée par Israël » à Gaza, et expliqué que ce que ses équipes médicales observent sur place « correspond[ait] aux descriptions d’un nombre croissant d’experts juridiques et d’organisations qui concluent qu’un génocide est en cours ».
Ces déclarations s’appuient sur un rapport intitulé « Gaza : la vie dans un piège mortel », qui revient sur un an d’opérations militaires israéliennes dans l’enclave et sur leurs conséquences, en particulier les attaques contre des civils, la destruction du système de santé gazaoui et l’obstruction de l’aide humanitaire.
Marie Turcan