Après un discours de politique générale insipide, les partis du Nouveau Front populaire (NFP) sont presque à nouveau unis sur l’idée de censurer le gouvernement dès jeudi 16 janvier, à l’exception du Parti socialiste (PS) qui espère encore obtenir des concessions.
Marine Tondelier, la secrétaire nationale des Écologistes, donne sa lecture de ces atermoiements, analyse le dédain de François Bayrou vis-à-vis de la gauche et explique la stratégie qui a conduit les écologistes à tenter la négociation malgré leurs réserves. Elle appelle désormais les membres du NFP à se retrouver et à cesser de se lancer des invectives.
Marine Tondelier à Paris, le 8 janvier 2025. © Photo Bertrand Guay / AFP
Mediapart : Les écologistes ont décidé de censurer le gouvernement, le PS hésite. Comprenez-vous ces hésitations ?
Marine Tondelier : Certains à gauche ont une tendance inquiétante à réserver leurs mots les plus durs pour leurs partenaires politiques. Cela m’a toujours paru problématique. On peut penser ce que l’on veut des hésitations du PS – personnellement je n’ai pas tout compris à leur stratégie de ces derniers jours – mais c’est au premier ministre que j’ai envie de réserver mes principales critiques. Je n’ai pas eu l’impression, en écoutant son discours, qu’il avait l’intention que la gauche ne vote pas la censure.
Les hésitations du PS ne sont-elles pas d’autant plus incompréhensibles ?
Je n’ai pas compris l’exaltation de certains d’entre eux ce matin. On aurait cru que c’était le grand soir, comme si nous n’avions pas participé aux mêmes réunions souvent assez inquiétantes. Dans les différents échanges que l’on a pu avoir avec le gouvernement, nous avons tenté d’être une force d’interposition sociale entre Macron et les Français.
Si nous avions obtenu l’abandon du déremboursement de certains médicaments, la suppression des trois jours de carence, ça aurait toujours été ça de pris même si cela aurait été insuffisant. Or beaucoup de choses qui sont censées être validées avec les ministres en charge du budget et de l’économie n’ont absolument pas été mentionnées dans le discours de politique générale. C’est assez incompréhensible.
Concrètement, nous, écologistes, avons eu un premier rendez-vous avec François Bayrou après sa nomination, qui ne s’est pas très bien passé, puis nous ne l’avons plus jamais revu. C’est avec Éric Lombard [le ministre de l’économie et des finances – ndlr] que nous échangions principalement. Mais le premier ministre devait être présent à notre dernier rendez-vous lundi soir, censé être commun aux écologistes, aux socialistes et aux communistes.
Ce rendez-vous a finalement été organisé sans nous au motif que nous étions « trop loin de ne pas voter la censure », ce que nous confirmons : nous n’avions alors aucune raison concrète de faire autrement ! Les socialistes y sont allés seuls. Je ne sais donc pas quelle était la nature des discussions qu’ils ont eues.
Que vous inspire le discours de politique générale de François Bayrou ?
S’il souhaitait vraiment qu’on ne vote pas la censure il s’y serait clairement pris autrement. C’était déjà dur de parler d’écologie dans les réunions de négociations. Quand nous lui avons posé des questions à ce sujet, peu après sa nomination, dans son bureau de Matignon, François Bayrou nous a répondu sur ce qu’il faisait comme maire de Pau. Mais c’est bien du premier ministre que nous attendions des réponses !
Plus tard, lors d’une réunion censée « entrer dans le concret de nos demandes », la ministre en charge du budget [Amélie de Montchalin – ndlr] nous a dit qu’elle n’avait « pas encore eu le temps de regarder » ce sujet-là. Il ne fallait pas être sorti de Saint-Cyr pour s’attendre à ce que les écologistes aient des demandesprécises sur l’environnement ! Le ton était alors monté car nous l’avons vécu comme de l’amateurisme ou comme du manque de respect, aucun des deux n’étant acceptable vu les enjeux !
Il a fallu attendre plus d’une heure de discours pour qu’il commence à parler d’écologie.
Nous avons ensuite rédigé une note sur nos demandes prioritaires sur ces sujets écologiques, qui ne sont pas les seuls qu’on défendait mais dont nous savions que personne ne le ferait à notre place. On a demandé 7 milliards qui étaient essentiellement des crédits rabotés dans le budget Barnier.
Mais quand on leur parlait en milliards, ils nous répondaient en millions. Certains pourraient se demander pourquoi nous avons continué à discuter, nous leur répondons qu’il fallait tout faire pour avancer, ce pourquoi nous avons pris nos responsabilités. Ils auraient dû en faire autant, mais non. Et ils n’ont pour cela aucune excuse, aucun alibi.
Le discours de François Bayrou est à l’image de ces discussions. Il a fallu attendre plus d’une heure de discours pour qu’il commence à parler d’écologie. Et je crois qu’en tout, il a eu très exactement 158 mots à ce sujet – Cyrielle Chatelain [la présidente du groupe écologiste à l’Assemblée nationale – ndlr] a compté ! Il a parlé cinq fois de l’intelligence artificielle, mais il n’a prononcé le mot « environnemental » qu’une seule fois, pour détailler le sigle du CESE – Conseil économique, social et environnemental. On remercie le CESE sans qui le mot « environnemental » n’aurait pas été prononcé dans son discours…
Le contenu de son discours en la matière, sur la question agricole par exemple, vous a-t-il convaincu ?
Son annonce de conférences sur l’eau, c’était du recyclage d’annonces déjà faites par Michel Barnier. Alors ok le recyclage, ça c’est écologiste… Mais plus sérieusement, nous sommes en réalité inquiets sur l’orientation générale, tout comme sur sa traduction budgétaire. Toutes les aides qui permettent de consolider la transition écologique s’étiolent, et cela fait très concrètement obstacle à la transition.
Pourtant, même l’économiste Jean Pisani-Ferry, qui est l’auteur du programme économique d’Emmanuel Macron pour la présidentielle de 2017, dit aujourd’hui que la transition écologique nécessite de l’argent public et que ce sont des investissements rentables, parce que chaque euro qui n’est pas mis dans la transition aujourd’hui coûtera très cher demain.
Comment expliquez-vous le vide du discours de François Bayrou sur les demandes de la gauche et des écologistes ? Était-il de mauvaise foi depuis le début ? Avez-vous péché par naïveté ?
Nous n’avons jamais été naïfs. J’ai toujours été très claire sur le fait que j’assumais parfaitement, dans un contexte inédit pour la France, où il n’y a toujours pas de budget pour 2025 alors que l’année a commencé et où les crises écologiques s’enchaînent, de discuter avec le gouvernement. Pour moi, toute chose qu’on arrive à cranter, même si ce n’est pas suffisant, est bon à prendre. Et ça ne veut pas dire qu’en échange, on ne censure pas si nous ne sommes pas convaincus. Je pense que tout le monde l’a bien compris.
J’appelle à la désescalade. Il y a plus de choses qui nous rassemblent que de choses qui nous séparent, surtout quand on regarde à notre droite et à notre extrême droite.
Le jour où il sera impossible de parler au premier ministre, ce sera vraiment grave. Nous sommes des responsables politiques, notre travail est de faire avancer nos sujets. Quand des ministres vous proposent de discuter de vos sujets, il faut le faire. Éric Lombard avait l’air plutôt sincère, et de comprendre ce qu’on lui racontait, parfois même d’y adhérer. Ce qui nous change. Mais nous avons toujours dit que c’était sur les marges de manœuvre qu’il parvenait à dégager qu’il serait évalué.
L’équation nous paraissait assez insoluble dès le départ, et nous leur avions dit. En effet, le parti de François Bayrou [le MoDem – ndlr] n’est pas exactement arrivé en tête des élections législatives, et le président de la République lui a demandé de repartir du socle commun, c’est-à-dire de la coalition entre les macronistes et la droite, ce qu’il a accepté !
La droite a pesé de tout son poids dans le sens inverse de nos demandes. Et la droite a l’avantage de peser de l’intérieur, car elle gouverne. C’est d’ailleurs une incongruité, puisque le parti Les Républicains a moins de 40 députés, alors que socialistes, communistes et écologistes en ont 120. S’ils pensent qu’ils peuvent se priver de ces 120 voix, c’est leur droit.
Après cet épisode, faut-il encore discuter avec ce gouvernement ? Le PS dit vouloir y retourner, attendre une clarification d’ici jeudi, est-ce crédible ?
Franchement, je pense que les socialistes n’ont toujours pas compris ni digéré le discours du premier ministre. Côté écologiste, nos déclarations de ces derniers jours prouvent que nous n’étions pas dupes. Les socialistes sont encore sidérés par le décalage entre ce qu’ils pensaient pouvoir attendre du gouvernement et ce qui a été dit aujourd’hui par François Bayrou.
Le NFP peut-il sortir soudé de cette séquence, malgré les mots durs des Insoumis vis-à-vis des partis de gauche qui sont allés négocier ? La censure peut-elle vous réunir ?
J’appelle à la désescalade. Nous avons provoqué un espoir immense avec le NFP et nous sommes assez désespérés de voir qu’à chaque soubresaut de la vie politique, certains ont la tentation du psychodrame et des invectives publiques. Ce n’est pas à la hauteur. On peut ne pas être d’accord sans s’en parler de cette manière et sans se dénigrer.
Il y a plus de choses qui nous rassemblent que de choses qui nous séparent, surtout quand on regarde à notre droite et à notre extrême droite. Je trouve dangereux d’exacerber ces tensions tout le temps, c’est lassant et dangereux. Pendant ce temps-là, je me dis que les autres sortent le pop-corn et qu’ils peuvent dérouler tranquillement leur bataille culturelle. On n’est pas bons collectivement quand on fait ça.
Quand LFI fait le choix de ne pas venir discuter avec nous, ce qui pourtant donnerait plus de poids dans la discussion, je me dis qu’ils sont insoumis, je comprends leur point de vue, je le trouve logique. Tout comme j’accepte que le Parti socialiste croit un peu plus que nous au compromis avec le gouvernement. La force du NFP, c’est qu’il y a en son sein La France Insoumise – qui est insoumise – et les socialistes – qui sont socialistes. Notre richesse c’est d’être ensemble. Mais cela demande compréhension mutuelle et respect. C’est la ligne des écologistes.
Néanmoins, la rationalité de gauche ne voudrait-elle pas qu’à la fin, tout le NFP vote la motion de censure ?
Après ce que nous avons entendu aujourd’hui, et quoi que les socialistes attendent des discussions budgétaires, il n’y a objectivement aucune raison de ne pas voter la censure. On a eu le mérite de prendre nos responsabilités, de tenter la négociation, de faire des propositions. François Bayrou a préféré faire plaisir à la droite et à l’extrême droite. Il en portera l’entière responsabilité.
Mathieu Dejean