La France est en crise politique. Les sommets de l’État dévissent, les gouvernements sont instables, l’inquiétude, l’incertitude et la confusion envahissent les esprits. De grandes questions, géostratégiques, technologiques, climatiques ou anthropologiques, sont en train de bouleverser le visage du monde et notre vie quotidienne.
La politique, elle, donne l’impression de vivre sur elle-même, la tactique prenant le pas sur la réflexion citoyenne et sur les projets. Le Rassemblement national a une lecture cohérente, capable d’englober questions nouvelles et problèmes anciens. Il répond à l’inquiétude par l’obsession de la protection, l’exaltation de l’identité menacée, le fantasme de la clôture, la vitupération des « assistés ».
La gauche, elle, s’accorde sur des propositions, mais peine à formuler un projet d’émancipation partagé et lisible, un grand récit mobilisant et rassurant, sur la société désirable tout autant que sur la méthode pour avancer vers elle. De ce fait, elle retourne à ses controverses cycliques. Les uns affirment avec raison qu’il faut de la radicalité et de la rupture. Mais ils oublient que la radicalité ne se mesure pas à la violence du ton.
Quant à l’invocation de la rupture, elle n’est que verbiage avant-gardiste, si l’on délaisse les majorités, partielles ou plus globales, qui sont seules à même de les formuler, de les imposer et de les conduire. Les autres pensent sortir la gauche de ses basses eaux électorales en jouant une fois de plus la carte du « réalisme » et de la « modération ».
Mais ils oublient que, dans les dernières décennies, le réalisme social-libéral à l’anglaise a servi à légitimer le renoncement aux valeurs de la gauche, au prix d’un tarissement croissant des grandes espérances populaires. Ce n’est donc surtout pas en revenant au hollandisme, même par petites touches tactiques sur la retraite ou sur d’autres sujets, que la gauche retrouvera de l’élan.
Elle y parviendra en comblant d’abord ses manques, en se mettant à jour sur les grands enjeux de la société et du monde. Ensemble ? Bien sûr que ce n’est pas facile, tant les désaccords et les malentendus restent pesants, faute de les avoir discutés.
Mais croyez-vous que cela allait de soi quand, après des années d’enlisement socialiste dans les guerres coloniales, le Parti communiste s’est mis à prôner l’union de la gauche autour d’un programme ? Ce n’était pas évident, et pourtant c’est ce qui a fini par advenir. Une gauche gagnante ne peut être que diverse et rassemblée, pas concurrente et éclatée…
En évitant les zigzags déroutants, en écartant les polémiques inutiles, en mettant en débat les questions cruciales sur lesquelles se jouent l’influence et l’hégémonie, en le faisant dans le peuple de gauche et pas dans les seuls états-majors, la gauche contribuerait à alimenter le moteur pertinent d’une sortie de crise : le libre arbitre du peuple souverain. À lui de trancher, le plus vite possible, sans précipitation, mais sans report trop lointain dans le temps.
Roger Martelli
Historien