Donald Trump, qui va s’installer lundi 20 janvier dans le bureau Ovale pour la seconde fois, est un cauchemar pour les défenseurs et défenseuses du climat. Il a promis de relancer massivement la production de pétrole et de gaz, ainsi que l’exploitation du gaz de schiste, en tournant le dos aux énergies renouvelables portées par l’administration Biden. Face à lui, où en est le mouvement climat aux États-Unis ? Alors que Los Angeles est toujours la proie des flammes, le débat public commence peu à peu à porter sur les causes et les responsables de telles catastrophes.
Le poids croissant pris par les géants pétrogaziers dans la vie politique américaine, qui a atteint son paroxysme dans la dernière campagne de Trump, est aussi de plus en plus questionné. Entretien avec Collin Rees, activiste au sein de l’organisation Oil Change international.
Action de l’organisation Oil Change International contre le développement des combustibles fossiles à Washington, le 12 avril 2023. © Photo Chip Somodevilla / Getty Images via AFP
Mediapart : En quoi le Donald Trump qui arrive au pouvoir est-il différent de celui d’il y a huit ans sur les questions écologiques, et en particulier sur les questions énergétiques ?
Collin Rees : D’abord, on peut noter que Trump a une certaine constance sur ces sujets. « Drill, baby, drill » (« fore, baby, fore ») était déjà son slogan il y a huit ans. Le bilan de son premier mandat a été catastrophique en matière écologique, mais si Biden a fait mieux sur de nombreux sujets, le président sortant a délivré plus de permis de forage pétrolier et gazier que Trump lors de son premier mandat, et l’industrie pétrolière s’est même mieux portée sous Joe Biden que sous Trump.
Aujourd’hui, Trump annonce beaucoup de choses pour les énergies fossiles, mais paradoxalement l’industrie pétrogazière n’a besoin de rien de plus pour le moment. Si elle ne fore pas davantage de pétrole, c’est principalement pour des raisons économiques, et non en raison de réglementations liées au climat.
Les démocrates, qui ont soutenu les énergies renouvelables, n’ont rien fait pour diminuer le recours aux énergies fossiles.
Trump prévoit d’importantes réductions d’impôts, et nous surveillerons de très près qu’il n’essaie pas d’accorder encore davantage de subventions à l’industrie fossile. Ce qu’on peut craindre, c’est une répression contre les défenseurs de l’environnement, des attaques contre les ONG, contre le multilatéralisme et les institutions internationales chargées du climat, avec la sortie annoncée de l’accord de Paris. Trump va certainement autoriser les autres dirigeants du monde à reculer eux aussi sur la sortie des énergies fossiles.
La nouvelle alliance avec Elon Musk, qui représente le secteur de la tech et l’industrie des voitures électriques, va-t-elle changer la donne ? On sait comment Trump a fait campagne sur le soutien à l’industrie automobile thermique.
C’est difficile de répondre à ce stade, notamment parce qu’il est à présent clair qu’Elon Musk est plus attaché à son succès personnel qu’il ne l’est à son entreprise. Mais surtout, aux États-Unis, Tesla est en position de force sur le marché des véhicules électriques. C’est pourquoi Elon Musk a raison quand il dit que la fin des subventions pour les véhicules électriques promise par Trump nuira à d’autres bien plus qu’à lui.
Certains analystes expliquent que Trump ne pourra pas complètement revenir en arrière sur l’Inflation Reduction Act (IRA), le grand plan de soutien aux énergies renouvelables de Biden, notamment parce que nombre d’États républicains en bénéficient.
De nombreuses parties de l’IRA resteront préservées, parce qu’elles sont importantes pour l’économie américaine et parce que les marges des républicains au Congrès sont très faibles. Les énergies propres continueront sans doute de se développer, mais cela ne signifie pas que la transition est « en marche ». Sous les démocrates, les énergies renouvelables ont été soutenues, mais rien n’a été fait pour diminuer le recours aux énergies fossiles. Or, le consensus scientifique est clair : il faut faire les deux.

Collin Rees. © Photo Democracy Now !
Pendant la campagne, les démocrates ont adopté une grande partie de la rhétorique de droite sur les combustibles fossiles. Ils ont parlé d’expansion de l’industrie pétrolière et d’augmentation de la production d’énergie, quitte à tourner le dos aux politiques entreprises. Je crains donc que leur riposte à Trump sur le sujet ne soit pas à la hauteur.
Les démocrates ont l’occasion de dire à quel point l’industrie pétrolière est toxique : avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, ce sont désormais les milliardaires des combustibles fossiles qui dirigent le pays.
Dans les derniers jours de son mandat, on a quand même vu Joe Biden tenter de poser certains verrous à l’exploration pétrolière sans limites promise par Trump. Il a par exemple rédigé le 6 janvier des décrets interdisant de nouveaux forages au large des côtes américaines.
C’est important, mais c’est surtout symbolique. C’est d’ailleurs assez typique de Biden. Il peut avancer des grands principes, mais renoncer ensuite à leur mise en œuvre concrète. Pendant cette élection, on a vu les démocrates courir après Trump sur la question du pétrole et du gaz, en échouant lamentablement. Ils doivent changer, et j’espère qu’avec l’arrivée d’une nouvelle génération de dirigeants, ils vont changer.
Les mégafeux à Los Angeles et la succession récente de catastrophes liées au dérèglement climatique aux États-Unis ont-ils des conséquences sur le débat public ?
C’est un peu tôt pour se prononcer, mais on constate déjà un symbole très fort à Los Angeles : les maisons qui brûlent sont parmi les plus chères au monde. Cela montre clairement aux Américains que le dérèglement climatique touche tout le monde et ne se produit pas seulement dans des îles lointaines, ou dans les territoires pauvres…
Un débat émerge sur les causes, et je suis curieux de voir jusqu’où cela va aller. Pour l’instant, on se questionne autour des assurances et de l’augmentation constante du coût des catastrophes avec une question : qui doit payer ? On commence à entrevoir une législation visant à faire payer les pollueurs pour les dommages qu’ils ont causés.
L’année dernière en Californie, une loi de ce type a failli être adoptée. En tout cas, l’idée d’imputer la responsabilité de la crise climatique à l’industrie fait son chemin. Compte tenu du nouveau contexte, je pense qu’une telle loi pourrait facilement être adoptée cette année.
Le poids des entreprises pétrogazières sur la vie politique américaine fait-il débat ? Le « Washington Post » avait révélé en mai dernier le chantage de Trump, qui aurait demandé 1 milliard de dollars aux géants pétrogaziers en échange d’une politique favorable pour eux.
Oui, cette dimension suscite heureusement beaucoup de débats. L’une des campagnes que je mène s’appelle « No Fossil Fuel Money Pledge » (« pas d’argent des combustibles fossiles »). Plus de 5 000 candidats et responsables politiques aux États-Unis se sont déjà engagés à rejeter cet argent.
Notre action consiste à informer sur le caractère problématique de cet argent, en particulier au niveau des États. Nous menons donc des campagnes dans des États clés afin d’inciter les gens à refuser les dons liés aux combustibles fossiles et à en faire une question démocratique majeure.
Si les géants pétrogaziers ont choisi le parti de Trump au niveau national, dans de nombreux États l’industrie des énergies fossiles soutient tous les partis, et tout le monde leur est redevable. Il faudra beaucoup d’efforts pour changer cela.
Il y a eu en 2023 de grandes manifestations à New York sur la question climatique, le poids des énergies fossiles aux États-Unis… Où en est cette mobilisation ? Quel est l’état d’esprit des activistes climat à la veille de l’arrivée de Trump aux responsabilités ?
J’étais dans ces manifestations, que j’ai contribué à organiser, et le résultat de la présidentielle a été une douche froide, même si personne ne s’est soucié du climat pendant la campagne, et si les politiques proposées par Kamala Harris sur le pétrole et le gaz sont presque aussi mauvaises que celles de Trump.
L’arrivée de Trump est un grand défi pour les défenseurs du climat. Nous sommes inquiets mais aussi déterminés et enthousiastes à l’idée de résister à ses politiques. Nous savons aussi qu’il faudra du temps pour construire un consensus autour de la fin des combustibles fossiles.
Même si nous savons que les ONG pour le climat seront ciblées, nous savons aussi que Trump va s’en prendre aux migrants ou aux personnes LGBTQI+. L’une des choses que le mouvement climat fait en ce moment est de construire des alliances pour la justice sociale, avec d’autres mouvements progressistes, pour se préparer à se défendre ensemble, face aux différentes attaques.
Lucie Delaporte