Comme lors de son premier mandat, le président états-unien, Donald Trump, s’est entouré de « faucons » favorables à une politique de fermeté face à Pékin, aux premiers rangs desquels le secrétaire d’État Marco Rubio et le conseiller à la sécurité nationale Michael Waltz.
Lors de son audition de confirmation devant les sénateurs, Marco Rubio, fils de réfugiés cubains, sanctionné en 2020 par Pékin pour ses positions sur Hong Kong et le Xinjiang, a jugé que la Chine reste « la plus grande menace » à la prospérité des États-Unis. « Si nous ne changeons pas de cap, nous vivrons dans un monde où la plupart des choses qui nous importent au quotidien, de notre sécurité à notre santé, dépendront du fait que les Chinois nous autorisent à les avoir ou non », a-t-il déclaré.
Cependant, si, pendant sa campagne, Donald Trump avait menacé Pékin d’une nouvelle guerre commerciale, sa première semaine à la Maison-Blanche montre qu’il ouvre pour le moment la voie à une négociation. Quelques signes ne trompent pas.
Le vice-président chinois, l’ancien maire de Shanghai Han Zheng – une vieille connaissance de son allié Elon Musk, qui a développé dans la capitale économique et financière chinoise une usine Tesla sous sa mandature – était présent à la cérémonie d’investiture au Capitole, à Washington. Lors de son déplacement, il a rencontré le vice-président J. D. Vance et Musk.
Donald Trump et Xi Jinping lors d’une réunion en marge du sommet du G20 à Osaka, le 29 juin 2019. © Photo Susan Walsh / AP via Sipa
Selon l’agence officielle chinoise Chine nouvelle, Han Zheng a déclaré au premier que « malgré les différences et les frictions entre la Chine et les États-Unis, les intérêts communs et l’espace de coopération entre les deux pays sont énormes, et les deux parties peuvent renforcer le dialogue et la consultation à ce sujet ».
Un sursis pour TikTok
Par ailleurs, dès son arrivée à la Maison-Blanche, Trump a signé un décret accordant un sursis à TikTok alors que la plateforme chinoise venait d’être bannie des États-Unis par une loi bipartisane au motif qu’elle serait un danger pour la sécurité nationale. Dans sa première interview télévisée avec Fox News, le 47e président a été interrogé sur sa défense de TikTok, malgré, selon les mots du journaliste Sean Hannity, sa réputation d’« application d’espionnage pour les Chinois communistes ».
« On peut dire la même chose de tout ce qui est fabriqué en Chine », a répondu Trump, citant notamment les téléphones portables. « Est-ce si important pour la Chine d’espionner les jeunes, les jeunes enfants qui regardent des vidéos folles ? », a-t-il ajouté. Après avoir voulu interdire TikTok lors de son premier mandat, Donald Trump a effectué un virement complet, jugeant que la plateforme lui avait permis de conquérir un public jeune pour l’emporter en novembre.
Donald Trump et Xi Jinping ont déjà échangé par téléphone il y a plus d’une semaine. Le dirigeant chinois a renouvelé la position chinoise, selon le compte rendu publié par Pékin : « La confrontation et le conflit ne doivent pas être notre option », a répété Xi Jinping à son homologue. Toujours selon la même source, « les deux chefs d’État sont convenus de mettre en place un canal de communication stratégique pour maintenir des échanges réguliers sur les grandes questions d’intérêt commun ».
Comme l’a également souligné Xi Jinping, il est inévitable que les deux grandes puissances mondiales aient des différences.
Établir un rapport de force
Lors de son premier mandat, Trump avait signé la fin d’un cycle ouvert par Richard Nixon en 1972, marqué par un mélange de coopération économique et de rivalité stratégique, en particulier sur Taïwan, jugeant que cette politique avait désavantagé les Américains. La pandémie de covid avait également participé à la dégradation des relations entre les deux plus grandes puissances économiques et militaires de la planète, Trump accusant Pékin d’avoir caché la vérité.
Pour le second mandat, le président états-unien semble vouloir démarrer de manière plus conciliante. On voit cependant qu’il cherche, malgré tout, à établir un rapport de force qui soit favorable à son pays, en visant dans un premier temps des zones stratégiques où la Chine a renforcé son influence économique ces dernières années, que ce soit en Amérique centrale ou en Arctique.
Des navires de marchandises dans les écluses d’Agua Clara, près du canal de Panamá à Colón (Panamá) le 28 décembre 2024. © Photo Arnulfo Franco / AFP
Cela se traduit par un discours nostalgique de la période impérialiste où les États-Unis imposaient leur règne sur le continent américain et le Pacifique, de Cuba aux Philippines, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Avec la volonté de contrer l’influence de la Chine dans ce que Washington a longtemps considéré comme son « pré carré ». Et la cible est tout d’abord le Panamá, accusé d’avoir tout simplement donné le canal aux Chinois.
Nostalgie impériale
Ainsi, Trump ne cesse de mettre en valeur un de ses prédécesseurs de l’époque à la Maison-Blanche, William McKinley, le 25e président de 1897 à 1901. McKinley avait relancé l’idée du canal de Panamá, un projet que les Français avaient initié sans succès. Après l’assassinat de McKinley, son successeur Theodore Roosevelt avait renforcé la politique expansionniste, soutenu l’indépendance de Panamá face à la Colombie pour pouvoir percer le canal et le contrôler.
David Marcilhacy, professeur des universités en études ibériques et latino-américaines à Sorbonne Université, note dans les propos de Trump des « résonances historiques tout à fait marquantes, renvoyant à l’époque la plus unilatérale et la plus agressive de l’hégémonie nord-américaine en Amérique latine, et tout particulièrement dans cette arrière-cour qu’est l’Amérique centrale ».
Cette nostalgie impériale irrigue ses déclarations récentes sur le canal et sa volonté affichée de le « reprendre ». Il a aussi expliqué à Sean Hannity que Theodore Roosevelt avait « effectué de grandes choses » grâce à « l’argent récolté pendant les années de McKinley », « comme la construction du canal de Panamá, la chose la plus chère que nous ayons construite ».
« Make America Great Again » peut ainsi apparaître, juge David Marcilhacy, comme « une réinterprétation de la doctrine Monroe ». En 1823, le président James Monroe déclarait que les Européens ne devaient pas se mêler des affaires américaines. Plus tard, en 1904, Theodore Roosevelt en fera le socle d’une politique expansionniste et coloniale.
Les positions de Trump sont bien évidemment une réécriture de l’histoire avec un certain nombre de mensonges, mais, de manière ironique, il retrouve là une stratégie que son homologue chinois Xi Jinping porte dans son pays : redonner à la Chine la place qu’elle a eue dans l’histoire avant que les nations européennes puis les États-Unis ne s’imposent dans l’ordre mondial.
Si le Panamá est un cas d’école de décolonisation bien menée, la recolonisation serait une catastrophe.
Comme le souligne Isabelle Vagnoux, professeure de civilisation américaine à Aix-Marseille Université/LERMA, dans le cas du Panamá, Trump et ses partisans voient « comme une menace le fait d’avoir une puissance pas forcément amie qui gère non seulement les ports, mais aussi d’autres infrastructures, des routes et des voies ferrées, et qui investit massivement dans le pays, au point de devenir le deuxième partenaire commercial du pays ».
Dans un article intéressant – et inquiétant – publié par le quotidien hongkongais Ming Pao, le doyen de la China Business School de l’université de Hong Kong, Ning Rong Liu, juge que les deux projets, celui de Trump et celui de Xi, se rejoignent. L’un cherche à accomplir la « grande renaissance de la nation chinoise » en annexant Taïwan. L’autre vise à « redonner sa grandeur à l’Amérique » en contrôlant le Groenland, le Canada ou le canal de Panamá.
Deux voies qui, selon lui, « semblent devoir se développer en parallèle, ce qui annonce un nouveau chapitre de la géopolitique mondiale et du développement futur – une “alliance G2” composée des États-Unis et de la Chine ». Et d’ajouter : « Ce partenariat envisagé laisse espérer des solutions communes aux problèmes mondiaux, crée un modèle de coexistence et de compétition pacifiques et ouvre la voie à une concurrence harmonieuse dans les décennies à venir. Même aujourd’hui, alors que la Chine et les États-Unis s’affrontent, qui peut exclure une telle possibilité ? »
En effet, la rhétorique et les projets de Trump ne peuvent que conforter la Chine. Pékin peut aisément à la fois dénoncer l’aventurisme impérialiste et trouver dans les paroles du président états-unien de futurs arguments pour prendre le contrôle de Taïwan – le détroit et la mer de Chine reviennent aux Chinois, tout comme le canal de Panamá revient aux États-Unis.
Comme le soulignent Javier Corrales et James Loxton, deux chercheurs américains, sur le site Americas Quarterly, « si le Panamá est un cas d’école de décolonisation bien menée, la recolonisation serait une catastrophe ». « Le canal n’est pas un bien immobilier pour le Panamá. Il est au cœur même de l’idée qu’il se fait de lui-même en tant que nation. Une invasion non provoquée déclencherait une réaction brutale et ferait des États-Unis un paria régional. »
Xi Jinping a retenu du premier mandat de Trump qu’il convient de rester prudent en raison de son imprévisibilité. En tout cas, selon le Wall Street Journal, le président états-unien a émis le souhait de rendre visite à son homologue chinois dans les cent premiers jours de son mandat. On verra alors si ce passage par Pékin est l’occasion d’un « nouveau départ » dans les relations entre les deux grandes puissances, comme l’a souhaité le numéro un chinois.
François Bougon