Solidaires a depuis dix ans vécu au rythme des aléas du mouvement social et des crises du mouvement syndical confédéré.
SUD PTT adhère au vieux « groupe des Dix » et le rajeunit !
Créée fin 1988, la fédération SUD (Solidaires, Unitaires, Démocratiques) des PTT, décide en 1990 d’adhérer au Groupe des Dix pour se doter des relations interprofessionnelles qui lui paraissent incontournables pour son développement et la cohérence de son positionnement.
Le Groupe des Dix, est alors composé de syndicats autonomes de la Fonction publique qui pour la plupart ont refusé la scission entre la CGT et FO de 1947-48. Ces syndicats, marqués par un enracinement professionnel (notamment aux Impôts, dans les Caisses d’Epargne, à la Banque de France ou parmi les journalistes) gardaient les références de la CGT unitaire, mais s’étaient le plus souvent repliés sur leurs secteurs. Conservant dans leurs bagages une méfiance pour les polémiques syndicales et la main mise du PCF sur la CGT dans les années 50, ils cultivaient un discours unitaire sur le plan revendicatif, tout en restant à l’écart des processus de radicalisation et des polémiques de l’après 68 qui traversèrent la CGT et la CFDT.
Pratiquant davantage un syndicalisme d’adhérents que de militants, ils avaient surtout le souci de coller à leur milieu, avec une réticence pour les conflits d’orientation politique, voire purement idéologiques, qui avaient provoqué la crise d’après-guerre.
Les années 90 ont profondément transformé le Groupe des 10, qui est alors passé d’un groupe de réflexion à une réelle union syndicale, active et clairement positionnée sur le champ syndical : en effet, un double mouvement s’est alors produit. D’un côté, le départ de syndicats qui allaient participer à la création de l’UNSA en 1993 (notamment la FGSOA et la FASP) et de la FGAAC, et de l’autre côté l’arrivée de SUD PTT et du CRC Santé, suite aux exclusions de la CFDT. L’existence de l’UNSA allait amener aussi à clarifier le profil du G10, l’autonomie n’étant pas en tant que telle une carte de visite et la création d’une UNSA marquée par la social démocratie poussant à préciser les grandes options syndicales du G10.
Cette radicalisation s’est produite en douceur, de même que peu à peu, le renforcement du G10 Solidaires par de nouvelles arrivées de la gauche CFDT, notamment après 1995, qui vit la naissance d’autres SUD comme SUD Rail. On a assisté également au départ progressif de syndicats autonomes ne se retrouvant plus dans cette nouvelle union, symbole de la radicalité des grèves de 1995 et de 2003, comme le SU Caisse d’Epargne ou le Syndicat des mécaniciens au sol de l’aviation civile (SNMSAC).
Un processus original
Ainsi, aujourd’hui, mis à part le SNUI ( et ses organisations sœurs des finances), le SNJ et le SNABF, l’essentiel des syndicats de Solidaires sont le produit des départs de la CFDT dans une Union syndicale qui regroupe 38 syndicats ou fédérations nationales, 80 structures départementales et autour de 90000 syndiqués.
Solidaires n’est pas une simple agglomération de syndicats sectoriels ou le mariage hasardeux de la carpe et du lapin entre des syndicats de traditions différentes. L’osmose s’est faite en entraînant des rejets, mais avec une réelle homogénéisation progressive, dans une harmonie certaine, qui a tenu beaucoup aux efforts conjoints de la direction du SNUI et de SUD PTT.
Les fonds baptismaux de Solidaires sont à chercher dans l’expansion du mouvement social des années 90.
1995, notamment, mais aussi les débats importants de la fin des années 90, face à la politique des gouvernements socialistes : débat sur l’emploi et la lutte contre les licenciements, sur la protection sociale et la réduction du temps de travail, notamment, débat sur le contenu des revendications, mais aussi sur les formes de luttes, la démocratie des Assemblées générales, les grèves reconductibles ou les coordinations.
Peu à peu s’est forgé un socle, une orientation politique, à la fois unitaire et radicale, cherchant en permanence le lien avec les mouvements sociaux, et cherchant aussi les voies d’un front syndical d’action.
Une des particularités de Solidaires a été son investissement important, surtout à l’échelle de ses forces réelles, dans les initiatives autour des Etats généraux du mouvement social au lendemain de 1995, les formations intersyndicales femmes, le CNDF et la Marche mondiale, les colloques de RESSY, cherchant des ponts avec les militants FSU, CGT et de CFDT en lutte. Au-delà de ses liens, l’émergence d’AC et d’ATTAC (dont le SNUI et SUD PTT font partie des fondateurs), les marches européennes contre le chômage ont été l’occasion d’une insertion réelle dans les dynamiques de la fin des années 90, de même que les liens avec la Confédération paysanne, tout autant de phénomènes prémices du mouvement altermondialiste.
Cette insertion a été évidemment inégale, selon les syndicats et les régions. Mais elle a été le creuset d’une évolution globale de Solidaires, de ses syndicats et un moteur pour les Solidaires locaux. Cette évolution n’a pas été étrangère au départ de syndicats d’origine du G10, mais en même temps, la place des dirigeants du SNUI dans toute cette évolution a permis qu’elle se fasse sans crise structurelle dans l’Union syndicale.
De même, la pratique du consensus pour les grandes décisions a parfois été un frein exaspérant, mais toujours la garantie d’avancer ensemble. Cela correspond aussi à un projet partagé d’aller vers une recomposition syndicale qui ne soit pas une confédération SUD (la nième confédération), mais permette réellement, sur des valeurs communes, de construire un syndicalisme unitaire.
Parallèlement, Solidaires s’est réellement investie dans de nombreuses initiatives comme les rassemblements du Larzac autour de la Confédération paysanne, la préparation de la manifestation contre les licenciements de juin 2001 (autour de Lu Danone), et dans toutes les structures interprofessionnelles qui se mirent sur pied en 2003 pour la défense des retraites.
Un sentiment d’amertume
Par contre, de par sa place minoritaire dans le mouvement syndical, Solidaires n’a vécu que plus durement les difficultés du chemin de la recomposition syndicale.
L’Espace syndical de débat initié par la FSU resté sans lendemain en 1998, essentiellement par le retrait de la CGT, et l’issue de la gauche CFDT après 2003, ont posé et pose encore un problème d’avenir pour Solidaires.
Dans ses différents congrès, a toujours été posée la nécessité de créer un front syndical unitaire et de chercher la voie d’une unité, notamment avec la FSU et la CGT autour d’axes communs. Solidaires a subi plusieurs échecs dans cette voie. L’évolution de la CGT après 1998, son insertion dans la CES et ses tentatives d’alliance avec la CFDT, laissait évidemment en plan l’espoir apparu après 1995. Cette évolution a frappé tout autant la FSU que Solidaires, mais plus fortement Solidaires qui, en tant qu’Union interprofessionnelle, s’est toujours retrouvée rejetée des intersyndicales nationales, la FSU de part son poids sectoriel et sa représentativité se trouvant insérée dans les cadres unitaires de la Fonction publique.
Cette évolution de la CGT a lourdement pesé dans les échecs d’espaces unitaires. La FSU ne voulait pas se retrouver dans un tête-à-tête avec Solidaires risquant d’accentuer sa marginalisation.
De même, la façon dont la direction de la gauche CFDT a géré son départ après 2003 n’a pas été un point d’appui pour faire évoluer la situation. Celle-ci aurait pu, de par son poids et son histoire, poser à tout le mouvement syndical, mais notamment à la CGT, à la FSU et à Solidaires, la question de la construction de ce front unitaire syndical. Dans sa démarche, CFDT en lutte a mis, a priori, à l’écart toute recherche sérieuse de dialogue avec Solidaires, étiquetée comme un rassemblement marginal inapte à peser sur les recompositions nécessaires. Les stigmates de l’éclatement de 1996, où plusieurs groupes de militants de la gauche CFDT (à la SNCF, dans le commerce, à l’ANPE, notamment) décidèrent de créer directement des SUD contre l’avis de la majorité de CFDT en lutte pesait évidemment, mais la conclusion en aura été une deuxième occasion manquée.
2003 aura été un double choc dans Solidaires : celui de l’échec du mouvement, et de l’incapacité (notamment dans les Télécoms, à la Poste et à la SNCF) pour les SUD concernés, de surmonter la politique de frein de la CGT vis à vis de la grève générale ; celui de l’échec d’une ouverture vers des syndicats de la gauche CFDT (même si une partie significative de la CFDT cheminots, le SPASMET, et SUD Caisse d’Epargne vinrent renforcer Solidaires au lendemain de 2003).
Cette situation laisse Solidaires dans l’incertitude. Quels sont les leviers réels pour rompre l’isolement et peser pour l’organisation des ripostes sociales rendues nécessaires par la situation ? A plusieurs reprises, sur les retraites, la Sécu, la question a été soulevée. Sans grandes difficultés, tous les syndicats de Solidaires se sont retrouvés sur les mêmes orientations à ces occasions, et ont investi les cadres de mobilisation créés à cette occasion. Même si l’engagement des dirigeants du SNUI n’a pas toujours correspondu à la même démarche unitaire et combative dans son secteur professionnel, même s’il y a une marge entre les engagements d’un conseil national et la réalité unitaire sur le terrain, cet état d’esprit a été largement partagé. Dès lors, Solidaires est confrontée au décalage entre ses prétentions et sa réalité, et au peu d’engouement de la part des partenaires auxquels s’adresse sa démarche unitaire.
Une union professionnelle ne peut pas vivre éternellement sur un projet sans réalisation.
Il peut y avoir d’autres réponses à une telle situation.
D’abord le développement propre de Solidaires, sans se mettre en attente de recompositions hypothétiques. Historiquement SUD PTT a su assurer son poids déterminant tant à la Poste qu’aux Télécoms. L’ex-CRC Santé devenu SUD Santé est aussi une force nationale dans l’ensemble du secteur. Il en est de même pour SUD Rail. Dans de nombreux autres secteurs, les syndicats de Solidaires ont une place sinon, majoritaire, du moins solidement implantée. Dans un contexte difficile pour le mouvement syndical, Solidaires continue une réelle progression géographique et d’implantation. Mais dans ce processus, l’Union rencontre évidemment un obstacle majeur : celui des lois de représentativité, et le refus de sa reconnaissance nationale. Entrave dans le public, par la loi Perben, et le refus d’accorder la représentativité dans la Fonction publique, malgré un poids incontestable. Dans le privé également, où la création de syndicats SUD ou Solidaires se heurte à la dénonciation, au moins patronale, quand elle n’est pas le fait des autres syndicats. Malgré ces entraves, de nombreux syndicats se créent régulièrement et les Solidaires départementaux sont des points d’appuis réels pour la création de syndicats d’entreprises. De même, notamment dans les Transports et les Télécoms, les syndicats de Solidaires essaient de mettre en pratique la mise sur pied systématique de sections ou de syndicats dans les entreprises de sous-traitance et les filiales. Ces pratiques maintiennent Solidaires sur des positions propices au développement d’un syndicalisme ancré dans la réalité du salariat actuel, même si des moyens dérisoires ne permettent pas toujours de mener à bien cette tâche.
Ce chemin du développement, de l’enracinement dans le privé, de la formation font partie des objectifs de Solidaires. Mais là aussi les écueils existent. D’abord la difficulté à affirmer en même temps un syndicalisme d’adhérents donnant sa force au syndicat et un syndicalisme militant affirmant ses valeurs et se battant sur des axes radicaux. Sur ce chemin le risque d’un syndicalisme idéologique, content de sa pureté mais cultivant l’isolement est évidemment présent et peut se trouver justifié par les glissements et le sectarisme des grandes confédérations. En corollaire peut exister aussi le risque de l’isolement sur son secteur professionnel, l’Union syndicale n’étant pas à l’échelle des espérances. Aussi, le développement est un axe important mais ne répond pas à lui seul aux défis de l’heure.
Reste la question des pas possibles vers une recomposition ou au moins un front syndical unitaire.
La bataille du non syndical de gauche
Le bilan de la campagne du référendum est illustratif à plusieurs niveaux.
Malgré son investissement fort dans le mouvement altermondialiste, dans Copernic ou ATTAC, Solidaires ne s’est pas déployée au maximum de ses possibilités dès les premiers jours. Le congrès de Solidaires de décembre 2004, tout en affirmant son rejet du Traité, n’a pas réussi à franchir le pas d’un clair investissement dans la bataille unitaire pour le non de gauche, l’amendement en ce sens proposé par SUD PTT, n’obtenant pas les deux tiers des voix obligatoires pour une adoption dans les thèses. Crainte de se retrouver à découvert, seule force syndicale dans une bataille électorale alors que la CGT freinait jusqu’à une claire prise de position sur le Traité ; crainte aussi de se retrouver sur un terrain d’alliance directe avec des organisations politiques, notamment le PCF et à la LCR. La prise de position du CCN de la CGT a permis de lever ces obstacles, mais là aussi Solidaires et ses porte-parole se retrouvèrent, avec la Confédération paysanne, les seuls dans le mouvement syndical à avoir un tel niveau d’engagement dans les meetings unitaires et les collectifs. L’appel des syndicalistes a été évidemment une bouée d’oxygène, de même que la présence de responsables de la CGT et de la FSU dans de nombreux meetings, de nombreux militants syndicaux dans les collectifs. La campagne a permis de lever les craintes et la réalisation d’une collaboration inédite entre forces syndicales et politiques. Mais là aussi deux problèmes sont apparus. Ni durant ni après la campagne, cela n’a réellement renforcé les liens avec les autres composantes syndicales présentes dans la campagne, et Solidaires s’est retrouvée seul syndicat en tant que tel lors de la réunion de décembre des collectifs. Mais surtout, les espérances de la campagne ne se sont pas concrétisées sur le terrain social, et les forces syndicales investies dans la bataille du non n’ont pas réussi à pousser l’avantage.
Tout cela n’a évidemment rien d’inéluctable, et chaque nouvelle situation peut permettre de lever ces obstacles et d’aller de l’avant. Mais les risques de repli sectoriel ou de seule auto-affirmation seront d’autant plus grand dans Solidaires si de solides passerelles ne se tissent pas au sein de la CGT et de la FSU avec les militants partageant les mêmes orientations, et si de nouvelles luttes sociales d’importance ne donnent pas un souffle salutaire à ces perspectives.