Une histoire de réussite
La transformation de l’économie chinoise en usine du monde ne compte que quelques décennies. C’est donc pendant cette période récente que la Chine est devenue une puissance économique, en maintenant le contrôle public sur le système financier et les règles pour l’investissement étranger, tout en appliquant un taux élevé d’effort d’investissement, de développement technologique planifié et d’accumulation de capital dans certaines grandes entreprises privées. Son PIB est supérieur à celui des États-Unis en parité de pouvoir d’achat et pourrait bientôt être plus important en termes absolus (bien que, la population chinoise étant cinq fois plus importante, le PIB par habitant soit beaucoup plus faible), ses excédents commerciaux sont plus importants et sa capacité à thésauriser des réserves est donc supérieure à celle de ses concurrents.
En 2013, le gouvernement chinois a lancé une initiative économique et diplomatique, la « Nouvelle Route de la Soie », par analogie avec les circuits commerciaux depuis l’époque de Marco Polo, mais cette fois sous direction chinoise. En 2023, 152 pays se sont réunis pour célébrer ce mouvement de capitaux et d’intérêts. La réunion de septembre avec les pays africains correspond à un processus parallèle qui, comme le montre le graphique, s’est développé depuis 2000 jusqu’à ce que la Chine devienne le principal partenaire commercial de l’Afrique et, de loin, la principale économie investisseuse. En annonçant les 50 milliards, le président chinois a ajouté qu’ils créeraient un million d’emplois, mais a aussi entendu les dirigeants africains contester le poids des dettes antérieures et demander que la relation inégale ne soit pas accentuée. De plus, comme le montre le graphique, entre 2016 et aujourd’hui, les prêts chinois ont été réduits d’environ moitié en termes de poids dans le PIB africain, et le montant annoncé est inférieur à celui des années de pic de cette relation. Par ailleurs, les investissements se concentrent dans quelques pays (dans l’ordre : Afrique du Sud, Angola, Nigeria, Congo, Égypte).
Il n’y a eu aucun signe d’allègement de la dette. Cette relation économique subordonne donc les pays africains. Et, si les infrastructures créées sont particulièrement orientées vers l’extraction minière (le commerce entre la Chine et l’Afrique a augmenté en 2023 pour atteindre 282 milliards de dollars), l’engagement de ces économies africaines dans le rentisme extractif est la contrepartie de la rentabilité des grandes entreprises technologiques chinoises. Ainsi, cette forme de subordination est une exploitation néocoloniale.
Empire
La transformation de la Chine en une économie capitaliste n’a pas d’équivalent avec ce que l’on connaît dans d’autres pays. Avec la chute du régime de l’URSS, sa structure politique s’est effondrée et, s’il est vrai que beaucoup des bénéficiaires du raid de la piraterie privatisatrice, les nouveaux magnats, avaient été des chefs du parti communiste et des bureaucrates régionaux ou nationaux, ce transit s’est fait dans un nouveau cadre politique, à l’époque dirigé par Eltsine. Dans le cas angolais, c’est le parti de la résistance anticoloniale qui, arrivé au pouvoir, a donné à son président et à ses généraux le pouvoir de voler les ressources et de constituer leurs fortunes personnelles. Ainsi, l’accumulation de capital s’est faite par la rupture politique.
Or, dans le cas chinois, il y a une continuité politique garantie par l’hégémonie du parti communiste. C’est précisément sa bureaucratie qui répond aux deux principales formes de création d’une classe capitaliste, l’une pour la combattre et l’autre pour la promouvoir : la corruption, qui est fustigée par les autorités car elle empêche leur contrôle sur les mécanismes de formation des fortunes ; et la propriété et la direction d’entreprises qui bénéficient des exportations et, de plus en plus, du marché intérieur. Ainsi, c’est un capitalisme tutélaire de l’État sous une forme historiquement inédite, étant donné la particularité d’être dirigé par un parti communiste. Mais c’est une économie capitaliste et 60% du PIB est généré par ces secteurs d’accumulation privée, correspondant probablement aux trois quarts de l’emploi. La relation avec l’Afrique, qui vise à obtenir des importations d’énergie fossile et surtout de minéraux fondamentaux pour les productions de matériel de communication, est une composante importante de cette carte.
En même temps, Jinping assure la fidélité des alliés et, étant de loin le principal partenaire économique de l’Afrique, dirige un réseau d’alliances qui secondarise le rôle de Washington sur ce continent. L’impérialisme chinois ne s’étend pas en créant des bases militaires ou en occupant du territoire, mais dispute avec le centre impérial la domination sur une partie du monde – et là, il a gagné.

Francisco Louçã
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