Lea (née en 1989) et Violetta (née en 1987) sont engagées dans différents mouvements, sur le terrain, en Méditerranée ou ailleurs en Europe, là où on a besoin d’elles. Pourquoi veulent-elles siéger à Berlin ? Ayse Tekin s’est entretenue avec elles.
Ayse Tekin Vous êtes des jeunes femmes qui militent activement dans divers mouvements et vous êtes maintenant candidates au Bundestag. Moi je ne serais pas tentée d’y aller, car le travail parlementaire est tellement prenant qu’on finit par avoir une autre vie. Pourquoi voulez-vous entrer au Parlement ? Qu’est-ce qui vous attire ?
Lea Reisner : J’ai eu le grand bonheur de travailler pour Kathrin Vogler l’année dernière et j’ai ainsi pu me faire une petite idée de ce qui s’y passe. Car pour moi aussi, je ne savais pas du tout si je pourrais trouver ma place dans le milieu parlementaire. Je pense que Kathrin est un très bon modèle qui montre que c’est possible. Je vais m’inspirer de sa méthode dans l’espoir que j’y parviendrai moi aussi, car je trouve que c’est vraiment très difficile quand on a une vision critique du pouvoir.
C’est bien vrai que ce milieu laisse des traces : l’ambiance, l’atmosphère, la façon des gens de se comporter les uns avec les autres, toutes ces règles de bienséance. Néanmoins, je pense qu’il est important de disposer d’une voix de gauche au Bundestag. Nous ne devons pas la perdre. C’est la raison pour laquelle j’ai accepté de me présenter. Jusqu’à aujourd’hui, nous manquions d’une voix qualifiée sur le thème de l’exil et de la migration. C’est un sujet que nous ne pouvons pas négliger.
J’avais aussi l’impression qu’après la rupture avec Wagenknecht, il fallait de nouveaux visages. Et j’ai tout simplement très envie de remettre ce parti sur pied.
Violetta à Cassel : « Je me suis moi aussi portée candidate parce que nous avons besoin d’une voix au Bundestag qui aborde les sujets qui nous tiennent à cœur, à savoir les questions sociales, la catastrophe climatique, tout ce dérapage vers la droite, pour contrer ces tendances et renforcer Die Linke en utilisant cette tribune.
Je pense que ceux qui se présentent parce qu’ils trouvent le système parlementaire génial ou qui le font pour faire carrière n’ont pas leur place là-bas. Je suis également conseillère municipale à Kassel et même là, j’ai tout de suite trouvé ça dingue de voir à quelle vitesse un travail comme celui-là développe sa propre logique, qui est déconnectée de la réalité. Mais on peut aussi se donner des méthodes pour ne pas se laisser engloutir. C’est d’autant plus vrai pour le Bundestag.
Vous avez toutes les deux vécu cela à différents niveaux. Toi, Lea, en tant qu’assistante d’une députée et toi, Violetta, au sein du conseil municipal. Y a-t-il des exemples où vous avez pu dire : « Nous sommes parvenues à changer ça ?"
Lea : Je dirais que, pour faire simple, que le salaire minimum n’existerait pas aujourd’hui si Die Linke n’avait pas existé. Il y aurait probablement encore des frais de consultation pour chaque visite chez le médecin. Je trouve cela très important. Ou nous ne saurions pas combien de néonazis se promènent armés en Allemagne. Nous ne saurions pas combien de personnes sont refoulées illégalement aux frontières. Nous ne saurions pas ce qui s’est passé en Afghanistan après la prise de pouvoir des Talibans.
Tu veux parler des interpellations parlementaires ?
Lea : Exactement. Que se passerait-il si nos députés ne posaient pas sans cesse des questions et n’insistaient pas pour que les médias en parlent ? Il y a beaucoup de domaines où je dirais que nous utilisons très bien les outils que nous donne le travail parlementaire. Souvent, c’est grâce la coopération avec des organisations de la société civile que des sujets peuvent être portés sur la place publique. D’autres exemples de ce type sont le repas de midi pour les enfants en Thuringe ou le plafonnement des loyers à Berlin. C’est ainsi que des revendications de mouvements auxquels Die Linke a participé ont fini par être mises en œuvre au niveau de certains gouvernements. C’est cette interaction qui exerce la pression sociale nécessaire pour parvenir à faire bouger les choses dans ce pays.
Ce travail n’est pas connu du grand public. Le plafonnement des loyers, oui, mais beaucoup de choses restent cantonnées à l’échelle locale. On n’en parle pas. Il faudrait peut-être améliorer la communication. Si les médias ne le font pas, c’est au parti de diffuser les informations. Violetta, est-ce que tu a fait des expériences positives ?
Violetta : Dans l’ensemble, je suis d’accord. Beaucoup d’informations ont été diffusées en réponse à des demandes. Cela a vraiment changé les choses lorsque des dossiers sur lesquels Die Linke travaillait ont été rendus publics. Les capacités d’action s’en trouvent également renforcées, notamment grâce au travail de la Fondation Rosa Luxemburg. Ce n’est pas quelque chose que l’on écrit sur les affiches électorales. Quiconque travaille en dehors du Parlement pour faire avancer les choses va la plupart du temps aussi se trouver die Linke sur son chemin.
Au niveau communal, il s’agit parfois simplement de choses comme l’augmentation du nombre de places en crèche. Au début, personne ne nous croyait quand nous disions qu’il manquait des places en crèche. Et c’est parce que nous avons porté cette question dans les commissions avec insistance sans crainte de taper sur les nerfs que cela a fini par être pris en compte. Il en va de même pour la décision de rendre Kassel climatiquement neutre d’ici 2030. Cela a été le résultat d’une coordination serrée. La question a été soumise aux groupes politiques du conseil depuis l’extérieur. Au début, ils l’ont ignorée, mais ensuite on a déposé une motion sur la base de notre objectif maximal, et les autres groupes politiques se sont vus obligés de réagir. Maintenant, nous avons obtenu une décision.
Comment se passe la campagne électorale pour vous ? Y a-t-il des moments où les gens prennent leurs affaires en main ?
Violetta : Oui, absolument. Il ne s’agit pas seulement de gagner des voix, mais de renforcer le mouvement de résistance à tous les niveaux et de nous regrouper. On a l’impression qu’un mouvement politique est peut-être en train de naître, où des gens issus de divers mouvements se rassemblent, des gens qui ne se mobilisent pas seulement pour une seule cause, mais aussi beaucoup de gens qui n’ont jamais été actifs et qui disent : « Nous ne pouvons pas toujours compter sur ce que font les autres, nous devons nous mobiliser nous-mêmes."
Par exemple, fin janvier, nous avons organisé en relativement peu de temps une réunion avec Jan van Aken [co-président du parti ndt]. La salle était pleine à craquer. Il y avait tellement de monde, même des très jeunes, avec une telle envie de s’impliquer que nous avons eu du mal à faire face. Il y a vraiment un temps fort chaque semaine.
Lea : J’ai vécu une expérience similaire. Le 2 janvier, nous avons organisé une soirée à Cologne avec Heidi Reichinnek [tête de liste, vedette sur tik tok ndt ]. C’était la seule date où elle pouvait encore se libérer. Est-ce que ça avait vraiment un sens de faire quelque chose le 2 janvier ? Tout le monde aura encore la gueule de bois, personne ne viendra... Nous avons dû refuser l’entrée à des gens, car nous n’avions plus de place dans la salle, qui était vraiment très grande. À partir de là, tout s’est enchaîné.
Ce que j’ai aimé dans cette campagne électorale, c’est que je n’ai eu à solliciter personne, les gens venaient d’eux-mêmes vers moi pour me parler. C’était différent des autres campagnes électorales que j’avais menées auparavant. Il y avait beaucoup de dynamisme et d’énergie, et je crois que notre tâche va maintenant être de transformer cette énergie en quelque chose de positif, de faire en sorte de ne pas reperdre ces gens.
Je ne sais pas si je serais devenue une membre enthousiaste de Die Linke s’i l’on m’avait demandé de m’asseoir une ou deux fois par mois dans une salle pour discuter. Je veux faire des choses. Ce que nous faisons actuellement au porte-à-porte, nous devons le poursuivre et le développer, par exemple en proposant des permanences sociales ou en offrant un soutien dans les situations d’urgence.
Une fois que l’on est au Parlement, on peut y rester jusqu’à la retraite, et certains le font. Qu’en pensez-vous, combien de temps voulez-vous siéger au Parlement ?
Violetta : Je suis pour la limitation de la durée des mandats, c’est le seul moyen d’avoir de nouveaux visages ou de les faire émerger. Je pense aussi qu’il est important que cela s’applique à tout le monde au sein du parti, sinon certaines personnes restent en place tandis que d’autres changent. Je trouve bien qu’il y ait maintenant une large discussion à ce sujet dans le parti.
Lea : Je suis tout à fait d’accord. Je pense qu’il n’est jamais bon de rester trop longtemps à des postes de pouvoir. Mais je pense aussi qu’il y a déjà des modèles. Par exemple, j’ai coordonné pendant deux ans un programme de sauvetage en mer Méditerranée, qui était plutôt chouette, mais au bout de deux ans, j’ai réalisé que j’étais fatiguée, que je n’avais plus l’énergie nécessaire pour me confronter à de nouvelles questions. J’ai été très heureuse que des femmes vraiment formidables puissent prendre ma place. Depuis, je ne m’occupe plus que de la comptabilité et je suis disponible si on a besoin de moi. Je suis toujours impliquée, mais plus à un poste aussi important.