Plusieurs prétendent que l’effet El Niño étant terminé, le réchauffement ralentira ou même reculera… ce que semble suggérer le froid hiver du sud québécois depuis le début janvier. Ce n’est pas ce qui se produit mondialement :
Ce mois de janvier [2025] a été le plus chaud jamais enregistré et le troisième mois le plus chaud au niveau mondial, avec des températures de l’air en surface atteignant 13,23 °C - 1,75 °C au-dessus des niveaux préindustriels - selon le service Copernicus sur le changement climatique de l’UE. Ce record de chaleur a déjoué les prévisions d’un ralentissement du réchauffement de la planète dû au phénomène de refroidissement La Niña. Les scientifiques ont mis en garde contre un dangereux dérèglement climatique.
James Hansen, « connu pour ses recherches dans le domaine de la climatologie, son audition sur le changement climatique devant le Congrès américain en 1988, qui contribua à faire émerger la problématique du réchauffement climatique », vient de publier une étude avec des collègues qui « conclut que l’impact des récentes réductions de la pollution maritime qui bloque le soleil, qui a fait monter les températures, et la sensibilité du climat à l’augmentation des émissions de combustibles fossiles est plus importants qu’on ne le pensait. […] Les résultats du groupe se situent dans le haut de la fourchette des estimations de la science climatique dominante, mais ne peuvent être écartés, ont déclaré des experts indépendants. »
Rappelons d’abord ce que j’ai déjà traité dans des articles précédents mais ce qui est absolument crucial à bien comprendre surtout si, comme Hansen l’avance, « la sensibilité du climat à l’augmentation des émissions de combustibles fossiles est plus importants qu’on ne le pensait. » Cette revisite s’impose du fait que l’étalon universel, soit la Courbe de Keeling de l’observatoire de Mauna Loa en Hawaï qui mesure et garantit cette vérité incontournable que les gaz à effet de serre (GES) croissent à un taux croissant, est menacé par le trumpisme au moins dans la diffusion de son implacable vérité sinon dans son existence même. D’autres mesures atmosphériques n’auraient pas la même crédibilité d’autant plus que le dernier rapport synthèse du GIEC en 2023, prisonnier des mesures de sources terrestres falsifiées, n’arrive pas à la même conclusion.
Contre les grands titres des médias, le CO2 atmosphérique grimpe à un taux croissant
D’affirmer un article de CarbonBrief faisant le point sur les émanations de CO2 en 2024, « [le taux d’augmentation du CO2 dans l’atmosphère dépasse désormais les objectifs fixés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui limitent le réchauffement de la planète à 1,5°C.¸C’est ce que révèlent les dernières données de l’observatoire de Mauna Loa, à Hawaï, où les niveaux de CO2 dans l’atmosphère sont mesurés depuis plus de 60 ans. En 2024, l’augmentation du CO2 atmosphérique a été l’une des plus rapides jamais enregistrées. […] …l’augmentation des concentrations de CO2 dans l’atmosphère ne montre toujours aucun signe de ralentissement. […] …non seulement les concentrations de CO2 dans l’atmosphère continuent d’augmenter, mais le rythme de cette augmentation s’accélère. » Et ce n’est pas que l’année 2023 est facile à dépasser puisqu’elle est un record absolu comme le montre ces graphiques issus des mesures de l’observatoire de Mauna Loa soit la Courbe de Keeling et sa décomposition en taux de croissance absolu :


Remarquez que la familière Courbe de Keeling non seulement croît mais aussi est légèrement incurvée vers la gauche ce qui signifie qu’elle croît à un taux croissant. Comme cette courbure n’est pas prononcée, la NOAA a décomposé cette courbe en produisant un graphique, celui de droite, indiquant les taux de croissance annuels de CO2 de 1960 à 2023. Les barres horizontales noires montrent les taux de croissance décennaux. On constate, à une exception près expliquée par la crise du début des années 1990 combinée à l’implosion de l’URSS et de l’Europe orientale, la hausse constante des taux de croissance décennaux. En sera-t-il ainsi du quinquennat débutant en 2020 comme le suggère l’année record 2023 ? La donnée préliminaire de 2024 indique une nouvelle année record soit environ 3.5 ppm ! Les données annuelles de la NOAA montre que le taux de croissance annuel du CO2 de 2019 à 2024 a été environ 2.6 ppm par rapport à 2.4 pour la décennie 2009-20019 et ceci malgré la crise pandémique 2020-2022 qui a ralenti l’économie dont notamment la circulation routière.
En 2019, le CO2 comptait, selon le GIEC, pour 75% de l’effet de réchauffement (70% en 1990) dont près des deux tiers de CO2 provenant de la combustion des énergies fossiles. Le méthane comptait pour 18% (21%), le protoxyde d’azote pour 4% (5%) et les gaz fluorés pour 2% (1%). Est-ce que les émanations des autres GES sont aussi en croissance ? Les émanations de méthane, toujours selon l’observatoire de Mauna Loa, après avoir crû à un taux décroissant puis brièvement décru jusqu’au milieu des années 2000, se sont remis à croître à un taux croissant jusqu’en 2021 puis cloîtrent à un taux décroissant.


Les émanations de protoxyde d’azote ont augmenté à un taux croissant de 2000 à 2020 pour ensuite augmenter à un taux décroissant.
Enfin, les émanations de gaz fluorés, très employés dans la manufacture moyennement et hautement technologique, croissent, comme le gaz carbonique, à un taux croissant.


Ce bilan historique des émanations de GES basé sur les mesures directes de leur concentration dans l’atmosphère par des scientifiques qui le communiquent publiquement sans intermédiaires a l’immense avantage d’être rapide (quasi-immédiat), complet (aucune source de GES ne peut s’y soustraire) et surtout véridique (aucune entreprise ou gouvernement ne peut le biaiser). Ce bilan a toutefois l’inconvénient de ne pas pouvoir révéler la répartition des émanations de GES par pays et par secteurs. Et comme la NOAA est une entité publique étatsunienne, on devine que sa transparence démocratique et son existence même, en tout ou en partie, sont en jeu sous la présidence Trump. Trump va démultiplier la répression et les coupes de la science du gouvernement canadien Harper d’il y a dix ans.
Par ses mensonges et ses « oublis », le bilan des GES par sources est une supercherie
À contrario, le compte rendu de Carbon Brief du dernier rapport synthèse du GIEC, en 2023, indique que le taux de croissance des émanations de GES aurait en moyenne décru au XXIe siècle contrairement à ce que dit la NOAA qui montre bien (voir ci-haut) un taux croissant d’émanation pour l’ensemble des quatre plus importants GES :
Toutefois, bien que les émissions annuelles moyennes de GES entre 2010 et 2019 aient été « plus élevées qu’au cours de toutes les décennies précédentes », le taux de croissance au cours de cette période (1,3 % par an) « a été inférieur à celui enregistré entre 2000 et 2009 » (2,1 % par an), note le rapport. Cette phrase - qui figurait également dans le rapport du GT3 - a été ajoutée lors de la session d’approbation à la demande de la Chine, a rapporté le Earth Negotiations Bulletin.
Qui dit vrai. Les acteurs politiques qui doivent approuver les rapports finaux du GIEC, un organisme onusien rappelons-le, ont tout intérêt à montrer que les émanations croissent à un taux décroissant afin qu’elles plafonnent à un moment donné puis décroissent afin d’atteindre, vers 2050, le mythique « zéro net » … qui laisse la place à une portion indéterminée de capture et de séquestration de GES. Bien qu’abstraitement il soit possible d’atteindre le « zéro net » sur la base d’une croissance géométrique de GES, c’est aussi vraisemblable qu’un chien courant après sa queue puisse la rattraper.
Or on sait que le GIEC doit ventiler les GES par pays et par secteurs économiques, et non seulement par types de GES, ce qui l’oblige à utiliser des statistiques de sources terrestres provenant des gouvernements, pour certaines par l’intermédiaire des entreprises, avant d’être acheminées à l’ONU. D’où la contradiction statistique qui s’explique par des manipulations diverses dont l’épine dorsale se situe au niveau de de « l’affectation des terres, du changement d’affectation des terres et de la foresterie » (ATCATF), plus connue sous l’acronyme anglais LULUCF. L’ATCATF permettant de jouer avec la frontière entre les émanations anthropiques et celles dite naturelles, la tentation est irrésistible d’attribuer à la nature ce qui est anthropique, ce que les feux de forêt ont renchéri.
Il ne faut pas confondre cette « fake news » avec les tours de passe-passe qui dispensent les bilans nationaux liés aux Accords de Paris d’inclure les GES de l’aviation et du trafic maritime internationaux mais qui sont tout de même colligés par l’ONU au niveau mondial. De plus, ces bilans nationaux comptabilisent les émanations de GES à partir directement du territoire nationale. Ces bilans seraient fort différents s’ils comptabilisaient les émanations de GES liées au cycle de vie de ce qui est consommé sur ce territoire. Évidemment, le bilan mondial sur la base de la production doit être égal, aux erreurs statistiques près, au bilan sur la base de la consommation mondiale. Cette façon de faire avantage tout de même les pays du vieil impérialisme qui « exportent » leurs GES vers les nouveaux pays industrialisés et les pays ou régions productrices d’hydrocarbures. L’exemple du Québec illustre la différence.
En 2023, l’Institut de la statistique du Québec a enfin fait connaître l’empreinte carbone de la société québécoise à bien distinguer de l’Inventaire des émissions de GES du Québec publié depuis au moins 2002. L’Inventaire recense les GES produits au Québec alors que l’empreinte comptabilise les GES de toute la chaîne de production de ce qui est consommé au Québec tant par les ménages, les gouvernements et pour les investissements peu importe le lieu des émanations. En 2018, dernière année disponible pour l’empreinte, celle-ci était supérieure de 16.5% à l’inventaire pour la même année. Ce décalage s’explique par les émanations de GES pour la production pétro-gazière surtout albertaine, sans équivalent québécois, et celles pour la production manufacturière essentiellement hors Canada, supérieures à celles émises au Québec pour la consommation hors Québec. Ce décalage serait supérieur si les émissions de GES hors Canada étaient totalement prises en compte « car seules les émissions de CO2 sont comptabilisées. »
Le Canada, à l’avant-garde de la manipulation statistique des émanations de GES
La mesure des émanations de GES du secteur de « l’affectation des terres, du changement d’affectation des terres et de la foresterie » (ATCATF) est sujette à controverse de par sa complexité mais aussi de par les intérêts en jeu. Le cas canadien (et québécois) démontre le problème ce qu’un éclairant article de Radio-Canada International explicite :

Chaque année [au Canada], on en récolte [de la forêt aménagée] une superficie équivalente à environ sept fois la taille du lac Saint-Jean, […] La forêt absorbe du carbone, mais peut aussi en relâcher, naturellement ou à cause d’activités humaines. Et comme le Canada abrite près de 10 % des superficies forestières mondiales, d’énormes quantités de gaz à effet de serre sont en jeu. […] Couper des arbres prive la forêt d’une partie de son puits de carbone, en plus de relâcher des gaz à effet de serre en créant des déchets. Certains produits du bois à courte durée de vie, comme le papier, génèrent aussi des émissions. En contrepartie, les matériaux durables issus de la coupe stockent du carbone à plus long terme, comme dans les bâtiments, par exemple. […] Mais la somme de ces échanges ne nous mène pas à une neutralité carbone. […]
Pendant des décennies, nous avons récolté plus de bois que ce que la forêt régénérait. En abattant des forêts matures et en perdant des superficies sous l’assaut de perturbations naturelles comme les incendies et les infestations d’insectes ravageurs, l’âge moyen des forêts a diminué. La taille des aires émettrices de carbone a augmenté. La forêt rajeunit, et elle émet plus de carbone que ce qu’elle capte. Jusqu’à tout récemment, le bilan net de l’aménagement de la forêt était pourtant carbonégatif (de 1990 à 2005) ou avoisinait la carboneutralité (de 2005 à 2021) dans les inventaires nationaux. Grâce à de nouvelles données modifiant l’historique des coupes, le nouvel inventaire, paru au printemps dernier [2024], montre maintenant que le secteur forestier émet du carbone sur toute la ligne du temps. Mais ce changement important n’est pas suffisant, selon les organisations environnementales.
Ainsi, selon Nature Canada, Nature Québec et le Natural Resources Defense Council, l’industrie forestière aurait émis l’équivalent de 147 Mt de CO2 en 2022, soit beaucoup plus que l’industrie lourde (78 Mt d’éq. CO2) ou que l’agriculture (70 Mt d’éq. CO2). Or, le bilan officiel canadien arrive plutôt à un total de 24 Mt d’éq. CO2. C’est le Rapport d’inventaire national qui est ici montré du doigt. Ce grand bilan carbone de toutes les sphères économiques du pays est produit chaque année par Environnement et Changement climatique Canada. C’est le document qui est utilisé pour démontrer les progrès du Canada à la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique. […]
Les écologistes à l’origine du rapport affirment que les 24 Mt par an émises par le secteur forestier sont bien en dessous de ses émissions réelles, en se basant entre autres sur un article scientifique (nouvelle fenêtre) (en anglais) publié il y a quelques mois dans la revue à comité de révision Frontiers in Forests and Global Change. Selon cet article, le Canada s’attribuerait le carbone d’arbres qui ont repoussé à la suite d’incendies ou de ravages par les insectes. En enlevant cette absorption de carbone du bilan du secteur, ses émissions avoisinent les 150 Mt par année. Ces différences d’interprétation relèvent de ce qui est considéré – ou non – comme des activités humaines, car c’est ce qui importe quand vient le temps de déclarer les émissions dont un pays est responsable.
La tentation est forte pour les gouvernements, toujours prompts à dorer leur blason climatique en minimisant leurs responsabilités, de manipuler les statistiques surtout quand elles sont compliquées à établir. Le Canada n’a pas résisté à la tentation de confondre phénomènes naturels et ceux anthropiques. D’affirmer Michael Polanyi, gestionnaire des politiques et des campagnes à Nature Canada :
Le Canada veut gagner sur les deux tableaux. Ils ne veulent pas compter les émissions des incendies de forêt parce que cela risque de nuire à leur bilan, mais ils veulent ensuite s’attribuer le mérite pour une énorme quantité de carbone provenant de la repousse naturelle des forêts matures.
Récemment, le gouvernement canadien a produit un tableau combinant perturbations naturelles et celles anthropiques de 1990 à 2022.

Si l’année 2023 avait été comptabilisée, la barre verticale pour cette année aurait défoncée le plafond du graphique (et probablement aussi pour 2024) car « [l]es émissions de gaz à effet de serre (GES) dues aux feux de forêt records de 2023 au Canada ont été quatre fois plus élevées que les émissions de combustibles fossiles du pays l’année précédente, et n’ont été dépassées que par les trois pays les plus émetteurs, selon une nouvelle étude de l’Agence spatiale américaine (NASA). »
Dans ce cas-ci, le Canada fait presque cavalier seul. Seule l’Australie exclut également les émissions des incendies de son bilan forestier. Cette façon d’interpréter les lignes directrices a été critiquée cet été par une équipe experte de révision de l’ONU, qui recommande au Canada de revoir son approche d’estimation et de ventilation des perturbations naturelles. […] Ceci dit, « si les émissions dues aux feux de forêt ne sont pas déclarées à l’international, elles sont comptabilisées et inscrites dans le rapport d’inventaire national, à titre indicatif.
Les feux de forêt, non comptés, ont effacé toutes les réductions de GES depuis 1990
De dire le dernier Inventaire des GES pour le Québec, « [p]our la première fois, Environnement et Changement climatique Canada publie les flux du secteur de l’ATCATF pour le Québec […] Les données montrent que le secteur de l’ATCATF a été une source nette de GES au Québec, c’est-à-dire que davantage de GES ont été émis que retirés de l’atmosphère, et ce, toutes les années entre 1990 et 2022. En 2022, le flux net de GES de ce secteur correspondait à des émissions de 12,0 Mt éq. CO2 ». soit « une influence sérieuse sur le climat, égale à 15 % de nos émissions directes ».

Dans l’ensemble, ce sont les sous-secteurs des produits ligneux récoltés (importantes émissions nettes de GES) et des terres forestières (importantes absorptions nettes de GES) qui influencent le plus l’évolution du flux net de GES dans le secteur de l’ATCATF, comme le montre la figure A.1. Les principales raisons avancées par ECCC pour expliquer ces fluctuations sont notamment la variation dans le niveau de récolte forestière, les ravages engendrés par les épidémies d’insectes et la structure d’âge des peuplements forestiers. […]
De manière générale, les résultats présentés pour les forêts aménagées ne tiennent pas compte de l’effet des perturbations naturelles, qui sont comptabilisées à part. [soit les] émissions liées à la combustion ou la décomposition du bois mort engendrées par les feux ou les épidémies d’insectes sévères et les absorptions subséquentes dans les peuplements affectés, jusqu’à l’atteinte de l’âge de maturité commerciale. […]
[Suite à la crise de l’industrie forestière des années 2000] [l]a hausse des émissions des dernières années serait principalement liée aux ravages de la tordeuse des bourgeons de l’épinette, [jugés non sévères] qui réduisent la capacité d’absorption de carbone des arbres et qui causent leur mort prématurée, générant ainsi des émissions liées à leur décomposition. La hausse récente des émissions pourrait également s’expliquer en partie par une plus grande proportion de vieux peuplements, dont la capacité d’absorption de carbone est plus limitée
Cependant, « [l]e secteur de l’ATCATF fait ici l’objet d’une comptabilisation distincte et les émissions et absorptions qui y sont associées ne sont pas ajoutées aux émissions des autres secteurs dans le calcul des émissions totales du Québec. Elles ne sont pas non plus incluses dans le périmètre de référence des cibles de réduction des émissions de GES pour l’ensemble du Québec, fixées en vertu de l’article 46.4 de la Loi sur la qualité de l’environnement (RLRQ, c. Q-2) ».
En clair, non seulement les GES émanant des feux de forêt sont-elles exclues mais aussi celles de l’ATCATF ne sont ni vues ni connues sauf comme note en bas de page. Mais, au moins, pour le dire comme Duplessis, elle ont été créées et mises au monde. « ‘‘En regardant ces données, on comprend que la forêt n’est pas en train de nous sauver, et qu’on ne peut pas s’asseoir sur nos lauriers’’, observe Évelyne Thiffault, une professeure de l’Université Laval spécialisée dans le carbone forestier. » Ce serait pire en y ajoutant les feux de forêt, exclus parce que prétendument « naturels ». « Durant la saison record de 2023, au Québec, ils avaient relâché plus de 180 millions de tonnes de CO2, soit plus du double des émissions anthropiques annuelles de la province. »
Ainsi, les seuls feux de forêt de 2023 effacent de presque deux fois toutes les réductions d’émissions de GES depuis 1990 par rapport au niveau de celles de 2022 si on simplifie l’évolution de ces réductions comme étant linéaires. [Soit le niveau de 2022 (85.44) moins celui de 2022 (79.26) multiplié par le nombre d’années entre 2022 et 1990 (32 ans) puis le résultat divisé par 2 (la surface du triangle rectangle ainsi créé) soit ((85.44 – 79.26) X 32) / 2 = 98.88].
Les puits naturels de GES disparaissent comme aussi la comptabilisation de l’ATCATF
Qu’en est-il mondialement ? Selon le dernier rapport synthétique du GIEC publiée en 2023, l’ATCATF (LULUCF en anglais) comptait pour approximativement 12% des émanations totales de GES en 2019 :

Pourtant, malgré son importance, l’ATCATF est exclu des contributions déterminées au niveau national - ou CDN – qui constituent la base sur laquelle les pays s’appuient pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris issu de la COP 21 de 2015. Le
Comme on l’a constaté pour le cas canadien, il est difficile de démêler la censément anthropique ATCATF de la capture naturelle des GES par les terres (et océans) ce qui rend possible d’irrésistibles tentations d’attribuer à la nature des responsabilités anthropiques. Le dernier rapport synthèse du GIEC, résumé par Carbon Brief, « affirme avec une grande confiance que « les puits terrestres et océaniques ont absorbé une proportion quasi constante (globalement environ 56 % par an) des émissions de CO2 dues aux activités humaines au cours des six dernières décennies ». Toutefois, en se tournant vers l’avenir, le rapport ajoute » :
« Dans les scénarios d’augmentation des émissions de CO2, les puits de carbone terrestres et océaniques devraient être moins efficaces pour ralentir l’accumulation de CO2 dans l’atmosphère (degré de confiance élevé). Alors que les puits de carbone naturels terrestres et océaniques devraient absorber, en termes absolus, une quantité progressivement plus importante de CO2 dans des scénarios d’émissions de CO2 plus élevées que plus faibles, ils deviennent moins efficaces, c’est-à-dire que la proportion des émissions absorbées par les terres et les océans diminue avec l’augmentation des émissions nettes cumulées de CO2 (degré de confiance élevé) ».
Donnant après coup raison au GIEC, à la fin janvier 2025 The Guardian publiait que « [s]elon une nouvelle étude [dans Nature Climate Change], un tiers de la toundra, des forêts et des zones humides de l’Arctique est devenu une source d’émissions de carbone, alors que le réchauffement climatique met fin à des milliers d’années de stockage de carbone dans certaines parties du Nord glacé. » En octobre passé (2024), The Guardian avait déjà fait connaître que
En 2023, année la plus chaude jamais enregistrée, les résultats préliminaires d’une équipe internationale de chercheurs montrent que la quantité de carbone absorbée par les terres s’est temporairement effondrée. Au final, les forêts, les plantes et les sols n’ont pratiquement pas absorbé de carbone. Des signes d’alerte se manifestent également en mer. Les glaciers du Groenland et les calottes glaciaires de l’Arctique fondent plus vite que prévu, ce qui perturbe le courant océanique Gulf Stream et ralentit le rythme d’absorption du carbone par les océans. Quant au zooplancton mangeur d’algues, la fonte de la glace de mer l’expose davantage à la lumière du soleil, ce qui, selon les scientifiques, pourrait le maintenir plus longtemps dans les profondeurs, perturbant ainsi la migration verticale qui permet de stocker le carbone au fond des océans. […]
Seule une grande forêt tropicale humide - le bassin du Congo - reste un puits de carbone important qui absorbe plus de carbone qu’il n’en rejette dans l’atmosphère. Exacerbé par le phénomène climatique El Niño, la déforestation et le réchauffement de la planète, le bassin de l’Amazone connaît une sécheresse record, avec des cours d’eau à un niveau historiquement bas. L’expansion de l’agriculture a transformé les forêts tropicales humides de l’Asie du Sud-Est en une source nette d’émissions ces dernières années. […] Les forêts boréales, qui abritent environ un tiers du carbone terrestre et s’étendent sur la Russie, la Scandinavie, le Canada et l’Alaska, ont vu la quantité de carbone qu’elles absorbent chuter de plus d’un tiers en raison des épidémies de coléoptères liées à la crise climatique, des incendies et du défrichement pour l’exploitation du bois.
L’accentuation du réchauffement intensifie les incendies de la forêt boréale
L’ATCATF inclut les feux de végétation (wildfires) sauf pour le Canada et l’Australie comme on l’a déjà mentionné. Étant donné leur importance, il vaut la peine de mesurer à part les émanations de GES des feux de végétation :

« Un feu de végétation (wildfire) est une combustion incontrôlée de la végétation, qui comprend les forêts, les arbustes, les prairies, les savanes et les terres cultivées. »
On constate une baisse tendancielle mondiale de 2003 à 2021 puis une remontée en 2023 et 2024 dont les forêts boréales canadiennes sont en grande partie responsables (y inclus le Québec en 2023) même si ces feux sont exclus des émanations de GES liées à l’ATCATF du Canada. Mondialement, les feux de végétation comptaient en 2023 pour environ 13% des émanations mondiales de GES. En 2023, à eux seuls les feux canadiens et australiens, doublement exclus des CDN, auraient compté pour environ 3.5% des émanations de GES mondiaux. Si mondialement les feux de végétation ne semblent peut-être pas en hausse, il n’en va pas de même pour les feux de forêt proprement dits.
Mais pourquoi cette baisse tendancielle sauf les deux dernières années ? Selon World in data, « [d]ans un article publié dans Science, des chercheurs notent la même tendance : « De manière inattendue, la superficie mondiale brûlée a diminué de ∼25 % au cours des 18 dernières années, malgré l’influence du climat ». Ils soulignent également que ce phénomène est en grande partie dû à une diminution des taux de brûlage dans les prairies et les savanes en raison de l’expansion et de l’intensification de l’agriculture. » Par ailleurs, « [u]ne nouvelle étude majeure [dans la revue Science d’octobre 2024] révèle que les émissions de dioxyde de carbone (CO2) dues aux incendies de forêt ont augmenté de 60 % au niveau mondial depuis 2001, et ont presque triplé dans certaines des forêts boréales septentrionales les plus sensibles au climat. »
Le réchauffement climatique y voit : « Les plus grands incendies sont généralement précédés de fortes précipitations (qui favorisent la croissance de la végétation) suivies de périodes de sécheresse prolongées (qui, associées à des températures élevées, dessèchent la végétation supplémentaire et la transforment en petit bois). […] L’augmentation des températures mondiales signifie que la saison estivale commence plus tôt et se termine plus tard partout. »
Les forêts boréales des hautes latitudes subissent certains des changements les plus spectaculaires. Ces forêts ont tendance à stocker de grandes quantités de carbone. Par conséquent, des études ont montré que les incendies dans ces zones produisent beaucoup plus d’émissions de carbone que dans d’autres régions. Cela pourrait créer une boucle de rétroaction inquiétante : plus d’incendies entraînent un réchauffement de la planète, qui à son tour entraîne encore plus d’incendies. (Il convient toutefois de noter que les émissions produites par les incendies ne représentent qu’une infime partie des émissions produites par les combustibles fossiles).
Des chercheurs du World Resources Institute, se basant sur des données satellitaires de l’Université du Maryland de la mi-2024, affirment que « les feux de forêts sont de plus en plus étendus, brûlant au moins deux fois plus de surface arborée qu’il y a 20 ans. » La cause en est essentiellement les forêts boréales :

Le connu connu de ATCATF, l’inconnu connu militaire et l’inconnu inconnu des ruptures
En ce qui a trait à la falsification des données, il y a le « connu connu » qu’est l’ATCATF sans compter les feux de forêt canadiens et australiens qui n’y sont pas comptabilisés. Ajoutons-y « l’inconnu connu » que sont au moins une partie des dépenses militaires y compris celles faramineuses des guerres. Selon un récent article de la revue Nature, « les armées du monde entier sont de gros émetteurs de gaz à effet de serre. Personne ne sait exactement combien ; les estimations varient entre 1 et 5 % des émissions mondiales, ce qui est comparable aux secteurs de l’aviation et du transport maritime (2 % chacune). Pourtant, les militaires sont largement épargnés par les rapports sur les émissions. »
Il faut aussi compter avec les guerres. Au sujet de la guerre génocidaire sioniste, pour le dire comme une étude universitaire du début 2024,
Les émissions prévues pour les 60 premiers jours de la guerre entre Israël et Gaza étaient supérieures aux émissions annuelles de 20 pays et territoires. Si l’on inclut les infrastructures de guerre construites par Israël et le Hamas, notamment le réseau de tunnels du Hamas et la barrière de protection d’Israël ou « mur de fer », les émissions totales dépassent celles de 33 pays et territoires. Le coût en carbone de la reconstruction de Gaza est énorme. La reconstruction de Gaza entraînera des émissions annuelles totales supérieures à celles de plus de 130 pays, ce qui les placera au même niveau que celles de la Nouvelle-Zélande. La nature ad hoc de ces calculs montre qu’il est urgent de rendre obligatoire la déclaration des émissions militaires, tant en temps de guerre qu’en temps de paix, dans le cadre de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC).
Selon une autre étude concernant la guerre contre l’Ukraine,
Les émissions de guerre [en Ukraine après deux ans de guerre] ont augmenté pour atteindre 175 millions de tCO2e, ce qui équivaut à la mise en circulation de 90 millions de nouvelles voitures à essence ou à la construction de 260 centrales électriques au charbon de 200 MW chacune. […] Dans les premiers mois de la guerre, la majorité des émissions ont été causées par la destruction à grande échelle des infrastructures civiles, qui a nécessité un important effort de reconstruction après la guerre. Aujourd’hui, après deux ans de guerre, la plus grande partie des émissions provient d’une combinaison de guerre, d’incendies de paysages et de dommages causés à l’énergie.
Et puis il y a les inconnus inconnus, en termes des moments des points de rupture, que suggère le résumé du dernier rapport synthèse du GIEC par Carbon Brief :
Le rapport ajoute que certains de ces impacts [résultant du dépassement d’un niveau de réchauffement] pourraient rendre plus difficile le retour à des niveaux de réchauffement plus faibles, avec un degré de confiance moyen :
"Les effets néfastes qui se produisent pendant cette période de dépassement et provoquent un réchauffement supplémentaire par le biais de mécanismes de rétroaction, tels que l’augmentation des incendies de forêt, la mortalité massive des arbres, l’assèchement des tourbières et le dégel du pergélisol, affaiblissent les puits de carbone terrestres naturels et augmentent les risques d’effets néfastes sur l’environnement.
Comme depuis 2024 le réchauffement a dépassé le seuil de 1.5°C, nous sommes en plein dans cette période de dépassement risquant le déclenchement de fatales rétroactions. On a déjà signalé la quasi-disparition des puits dit naturels en 2023. De dire un article très récent du Guardian au sujet des tourbières :

Les tourbières du monde sont « dangereusement sous-protégées » malgré la quantité colossale de dioxyde de carbone qui réchauffe le climat et qui est déjà émise en raison de leur destruction, selon une étude. Les tourbières n’occupent que 3 % de l’ensemble des terres, mais contiennent plus de carbone que toutes les forêts du monde.
En ce qui concerne le pergélisol, « [u]ne nouvelle étude [de l’automne 2024], cosignée par des scientifiques de la NASA, indique où et comment les gaz à effet de serre s’échappent de la vaste région du pergélisol septentrional de la Terre à mesure que l’Arctique se réchauffe. […] Une équipe internationale, dirigée par des chercheurs de l’université de Stockholm, a constaté qu’entre 2000 et 2020, l’absorption de dioxyde de carbone par les terres était largement compensée par les émissions qu’elles génèrent. Dans l’ensemble, ils ont conclu que la région a contribué de manière nette au réchauffement de la planète au cours des dernières décennies, en grande partie à cause d’un autre gaz à effet de serre, le méthane, qui a une durée de vie plus courte, mais qui piège beaucoup plus de chaleur par molécule que le dioxyde de carbone. »
La croissance géométrique des GES, reflet de la perdition du monde par le capitalisme
Pendant que la Courbe de Keeling mesure par défaut toutes les émanations de GES, leur comptabilisation par sources terrestres, sous la responsabilité d’États acquis corps et âme à la croissance du capital dont ils sont les garants, ouvre la porte, joyeusement prise, à toutes les manipulations minimisant leurs responsabilités. L’irrésistible tentation réside à confondre émanations de GES anthropiques et celles soi-disant naturelles que le réchauffement climatique, au niveau qu’il a atteint, a complètement dénaturés pourrait-on dire. La dramatique conséquence politique de la fake news des statistique de l’ONU est de laisser les puissance de ce monde affirmer que les émanations de GES, en particulier du gaz carbonique, croissent à un taux décroissant, même si trop lentement.
S’ensuivrait l’atteindre un sommet mondial, à commencer par la Chine après que ce soit déjà fait pour la plupart des pays du vieil impérialisme, puis viendraient l’Inde, l’Indonésie, le sud-est asiatique et enfin l’Afrique. Et, nous rassure-t-on, si temporairement, les seuils de 1.5 ou même 2°C étaient franchis, il ne faudrait pas s’en faire car les technologies de capture et séquestration du carbone qui, finissant par arriver à maturité à un coût raisonnable, parviendraient à gober assez de CO2 pour diminuer le réchauffement. Quant au danger de rétroaction positive (cercle vicieux) suite au surpassement de points de bascule… on serre les dents et on ferme les yeux ! Entretemps il faudrait investir dans l’adaptation tout en fabriquant, incité par les marchés et taxes carbone, un Everest d’autos solo électriques et de thermopompes pour bungalows. Et tout rentrera dans l’ordre avec l’atteinte du « zéro net » d’ici 2050. Telle est la grande légende urbaine du capitalisme vert.
La réalité implacable de la croissance géométrique des émanations de GES qui précipite le monde vers la terre-étuve n’est pas la substitution de l’extractivisme des hydrocarbures par celui électrique-électronique reposant sur les énergivores mines à ciel ouvert et les encore plus énergivores fermes de serveurs crachant de la soi-disant intelligence artificielle. Comme pour le pétrole par rapport au charbon au XXe siècle, le nouvel extractivisme se superpose aux hydrocarbures, inhérente croissance capitaliste oblige. Au Québec, royaume de l’électricité dit verte, le nouvel extractivisme passerait par l’augmentation de 50% de l’électricité hydraulique et éolienne d’ici 2050 afin d’alimenter une ribambelle de mines de lithium, de graphite et tutti quanti, et de polluantes usines de batteries avec leurs composantes. Toujours ce chien qui court après sa queue.
La démocratie anti « fake news » des comités pour une société de soins et de liens
L’alternative d’une société de soins et de liens aux frontières ouvertes basée sur la décroissance matérielle est pourtant, comparativement au capitalisme vert, simple à réaliser, bon marché et technologiquement mature. Où est la complexité d’une ville de quartiers 15 minutes (et de villages) où les gens habitent de collectifs logements sociaux écoénergétiques et où les liaisons se font par transport actif et en commun gratuit à travers une profusion de jardins communautaires et de parcs nature ? Où est la cherté d’une vie sans auto solo et sans bungalows, piliers des dettes des ménages ; d’un système de transport sans métros ni trains aériens car le transport actif et collectif a pris le contrôle du réseau routier ; d’une bio-agriculture non carnée qui par ses pratiques et la drastique réduction des surfaces cultivées revivifie les sols et restitue à la nature ses forêts, prairies et milieux humides ; d’une production matérielle durable, réparable, sans obsolescence, circulaire, sans asservissement à la mode et, avant tout, pour servir les besoins des services publics bonifiés y compris ces nouveaux services publics que doivent devenir les logements, un droit et non une marchandise, le transport, concrétisant le droit à la mobilité, l’électricité de base et à terme l’alimentation de base non carnée, fondements du droit à la vie.
Cette société où le bien-être réside dans le travail social autocontrôlé en réciprocité avec l’abondance des temps libres, consacrés à la science, l’art et au maillage social, et où la sécurité se trouve dans la solidarité est bien sûr incompatible avec l’accumulation matérielle dont son équivalent général, l’argent, et de son idéologie individualiste d’accaparement et de surconsommation, mal nécessaire mais vain de la solitude et du vide capitalistes. Inutile de dire que le capitalisme mène une guerre totale à la concrétisation de cette société de soins et de liens, qu’il menace de chômage, de misère et de servitude ceux et celles qui luttent contre l’exploitation du peuple-travailleur, et sa division par mille et une oppressions dont les pinacles sont le sexisme et le racisme. Il s’assure qu’au-dessus des valeurs de la révolution bourgeoise que sont la liberté, l’égalité et la solidarité trône bien en vue la propriété privée des moyens de production qui donne tous les droits et en dépouille celles et ceux qui en sont dépourvus jusqu’à aliéner leurs choix politiques. À cet ogre insatiable, le peuple-travailleur est tenu de lui rendre le culte de la compétition de tous contre toutes justifiant tous les péchés du monde dans une société sans foi ni loi… à la Trump.
On se rend compte que le barrage capitaliste afin de bloquer toute brèche ouvrant la voie à une société de soins et de liens remet en question jusqu’à son étroite démocratie représentative devenue gouvernance gestionnaire incapable de survivre au mensonge d’apparente bonne foi statistique — there is three kind of lies : a lie, a dam lie and statistics — systématisant et normalisant le « fake news » fascisant. En sort gagnant un capitalisme oligarchique combinant ploutocrates d’une concentration-centralisation sans précédent du capital et une gent politique d’extrême-droite enfin en mesure d’accéder au pouvoir étatique. Il va donc falloir une refondation démocratique s’enracinant dans les lieux de travail, d’étude et de résidence, sans oublier les regroupements des personnes opprimées, porteuse d’une mobilisation de tout le peuple-travailleur dans toute sa diversité capable de renverser le capitalisme pour instaurer cette société de solidaire décroissance matérielle.
Marc Bonhomme, 15 février 2025
www.marcbonhomme.com ; bonmarc videotron.ca
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