Dure semaine pour Marine Tondelier. Jeudi 20 février, alors que les députés écologistes enchaînent les victoires sur les bancs de l’Assemblée nationale, la nouvelle tombe : la plainte déposée contre Julien Bayou par son ex-compagne a été classée sans suite pour absence d’infractions. Et l’ancien secrétaire national des Verts, mis à l’écart de son propre parti, a décidé de ne plus se taire.
Face à la presse, il ne retient pas ses coups contre la direction des Écologistes. Il vise notamment celle qui, dit-il, a géré cette « non-affaire » avec un mélange « de frilosité, de médiocrité, de lâcheté, de bassesse ». Sa décision d’envoyer, au printemps 2024, un mail à 12 000 militants pour inviter « toute personne concernée » à dénoncer les agissements supposés de l’ex-député ? Un « appel à la délation », attaque le camp Bayou, fustigeant un parti « infoutu de présenter ses excuses ».
L’accusation tombe au plus mal pour Marine Tondelier, en pleine campagne pour sa réélection à la tête du parti avec son courant baptisé « Le collectif ». Si elle est a priori assurée de rempiler au prochain congrès des Écologistes, qui se tiendra en avril, la voilà néanmoins en mauvaise posture. D’autant qu’au réquisitoire prononcé par Julien Bayou s’ajoutent une série de récriminations en interne, où le ton ne cesse de monter contre la mise en place des nouveaux statuts qui s’appliqueront pour la première fois lors de ce congrès.
Marine Tondelier après une réunion des chefs de partis avec le président de la République à Paris, le 20 février 2025. © Photo Eliot Blondet / Abaca
Les hostilités ont démarré le 19 février, par un mail de Karima Delli, elle-même candidate au poste de secrétaire nationale pour la motion « Les Verts unitaires ». Dans un message cinglant adressé à Marine Tondelier, l’ancienne eurodéputée réclame le rétablissement des « règles d’équité et de pluralisme ». Et s’insurge contre des dispositions jugées « discriminantes » qu’elle estime susceptibles d’altérer la « sincérité du scrutin ».
Un « changement de culture » qui passe mal>
Principal problème soulevé par ces nouveaux statuts qui font passer les élections internes d’un scrutin de liste à la proportionnelle à un scrutin majoritaire uninominal : le nombre de signatures de militants requises pour pouvoir candidater aux différents postes. Alors que les opposants accusent la direction sortante de bénéficier d’un accès privilégié aux bases des adhérents, une allégation que Marine Tondelier conteste « formellement » (voir notre boîte noire), les courants minoritaires sont à la peine.
Si la secrétaire nationale sortante a collecté sans mal plus de 1 200 signatures dès le mois de janvier – un record –, pour les autres, rassembler entre 165 et 329 soutiens – en fonction des postes visés – a tout de la gageure. D’où la fronde anti-Tondelier qui rassemble aujourd’hui la demi-douzaine de courants minoritaires. « On se heurte à des règles inventées au fur et à mesure », témoigne la militante parisienne Claire Monod, candidate au bureau politique pour la motion « Bâtir la société écologique ».
En effet, le conseil statutaire a récemment modifié certaines règles en cours de route, comme celle de l’ancienneté militante nécessaire à l’octroi des parrainages. Chez les soutiens de Sandrine Rousseau, elle-même candidate au bureau politique, on estime que ces modifications auraient conduit à radier 20 % des soutiens de « Radicalement vôtre ». De quoi « laisser penser que [ces changements] ont été pris sur la base de considérations liées à l’identité des personnes souhaitant se présenter », soupçonne la députée dans un communiqué.
On a rédigé les nouveaux statuts précisément pour changer la culture de ce parti, arrêter les guéguerres internes et avoir plus de temps pour parler de politique aux gens.
Éric Piolle, pourtant membre du collectif de Marine Tondelier – elle a été sa directrice de campagne durant la primaire de 2021 – assume lui aussi des divergences. Après avoir été écarté de la candidature au porte-parolat, le maire de Grenoble (Isère) a été éjecté de toutes les boucles internes du courant. « Les nouveaux statuts étaient censés permettre une direction plus costaude, avec des gens qui ont de l’expérience, mais Marine préfère bétonner autour d’elle », déplore l’édile.
La bronca est telle que les courants minoritaires ont – fait inédit – imposé à la direction la tenue d’un conseil fédéral extraordinaire lundi 3 mars à 21 heures. Si personne ne prévoit de révolution de palais en plein congrès, tous espèrent obtenir quelques ajustements dans la mise en place des nouvelles règles du jeu.
Parenthèse enchantée
En attendant, ça gronde. « Tout est verrouillé de chez verrouillé ! », tempête Alain Coulombel, soutien de Karima Delli et l’un des rares à avoir alerté sur les seuils « trop élevés » de parrainages lors de la large adoption des nouveaux statuts l’an dernier. « Marine veut son plébiscite interne, mais elle le fait au détriment de la démocratie. On n’a plus rien à envier à La France insoumise ! »
« Marine Tondelier est dans une entreprise de reprise en main du parti pour en faire une machine de guerre électorale en vue de 2027, elle joue la carte de la personnification et refuse la pluralité des voix autour d’elle », accuse également Sandrine Rousseau.
Dans l’entourage de l’intéressée, on balaie d’un revers de main ces « procès d’intention ». « Si les oppositions sont tellement morcelées qu’elles échouent à recueillir 163 signatures [pour déposer une contribution au texte d’orientation – ndlr] sur 16 000 adhérents, que voulez-vous qu’on y fasse ?, estime François Thiollet, qui a piloté l’écriture des nouveaux statuts. On a rédigé les nouveaux statuts précisément pour changer la culture de ce parti, arrêter les guéguerres internes et avoir plus de temps pour parler de politique aux gens. »
Contactée par Mediapart, Marine Tondelier ne cache pas son agacement après cette semaine « de l’enfer » : « Je suis secrétaire nationale, mais surtout militante depuis quinze ans. En tant que militante, je sais à quel point il est délétère pour nos adhérents et notre crédibilité collective de voir des cadres écolos se répandre en psychodrames dans la presse, ce qui n’arrivait quasiment plus depuis deux ans et demi », souligne-t-elle. Et de noter que le nombre de ses soutiens est passé en quelques jours de 1 200 à 1 750 : « Le contexte national est préoccupant, c’est là-dessus que je me concentre, et c’est ce dont me remercient les adhérents. »
Quoi qu’il en soit, le fond de l’air a changé depuis le début de la « Marine mania » – expression qui a fait florès chez les Écologistes – qui s’était emparée du parti l’an dernier. Alors qu’en juin 2024, la campagne de Marie Toussaint aux élections européennes avait conduit à un score calamiteux – 5,5 % des suffrages exprimés et un groupe divisé par deux à Bruxelles –, la dissolution surprise d’Emmanuel Macron avait été une bouée de sauvetage pour la secrétaire nationale.
Sur les plateaux de télévision, Marine Tondelier s’était remise en selle, sa fameuse veste verte sur le dos, croisant le fer contre l’extrême droite d’une main, sauvant l’accord du Nouveau Front populaire (NFP) de l’autre. Celle qui avait défendu, durant les européennes, la stratégie autonomiste des Verts est tout à coup devenue une fervente adepte de l’union.
« Elle s’est imposée parce qu’elle a collé au désir des gens qui voulaient l’unité contre l’extrême droite. Elle a eu une forme de fraîcheur dans sa communication, avec de très bonnes punchlines », avance l’un de ses proches pour expliquer la soudaine « hype » de la conseillère municipale d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), propulsée en octobre 2024 dans le classement des« 100 étoiles montantes » de l’année du Time.
Regrets et démissions
Au même moment pourtant, les ennuis s’accumulent en coulisses. En novembre, le départ d’Augustin Augier, son homme-lige et stratège, affaiblit la secrétaire nationale. Marine Tondelier affronte par ailleurs un premier désaveu de sa « méthode » : alors que son fameux appel à témoignages de « l’affaire Bayou » a créé beaucoup de remous dans le parti – et conduit à une plainte en « harcèlement » déposée par l’intéressé –, le cabinet d’avocats Pisan, chargé d’étudier le sujet, semble disculper l’ancien député début novembre.
Marine Tondelier se mure alors dans le silence. Après que les conclusions du cabinet ont été présentées pendant 1h30 dans le petit cénacle du bureau exécutif du parti, est produit pour toute réaction un communiqué de presse lapidaire qui se contente de « prendre acte » que le cabinet « n’a pas permis de déterminer […] des faits contraires aux règles de droit ou aux textes internes ».
Je ne peux pas supporter que mon propre parti ne respecte pas une décision de justice au moment où l’État de droit est partout remis en cause.
Près de quatre mois et un classement sans suite plus tard, l’affaire refait donc surface dans un parti qui pensait pourtant avoir fait sa mue après les affaires Baupin et Hulot. Une fois encore, le communiqué de presse, dans lequel le parti exprime des « regrets » sur cette histoire mais ne reconnaît aucune erreur dans sa gestion, est loin de satisfaire tout le monde.
Il a ainsi suscité à la fois le mécontentement de Sandrine Rousseau, qui estime qu’il aurait fallu dénoncer le « mécanisme caractéristique de la domination sexiste » et ne pas se cantonner à « des réactions uniquement calquées sur l’activité policière et judiciaire »,et l’exaspération des pourfendeurs du « néoféminisme » qui jugent au contraire que la formation de Marine Tondelier aurait, ces dernières années, parfois outrepassé le cadre de la présomption d’innocence à l’égard de Julien Bayou.
Une demi-heure après la diffusion de ce communiqué, Hélène Hardy, déléguée à l’écologie populaire et figure bien connue des Verts, annonçait qu’elle quittait le bureau exécutif. « Le fait qu’il n’y ait pas un mot sur le fait qu’on aurait commis des erreurs est très malsain et dénote un manque de courage et de clairvoyance », avance celle qui a tenté, en vain, d’amender le texte. « J’ai proposé trois fois qu’on inscrive “par voie de conséquence, Julien Bayou est innocent des faits qui lui sont reprochés”, on me l’a enlevé trois fois », précise-t-elle.
Le même week-end, la sénatrice Ghislaine Senée a annoncé sa démission des Écologistes, écœurée par ce communiqué au milieu du gué : « Marine a recherché le consensus en interne, mais il fallait innocenter clairement Julien Bayou. Je ne peux pas supporter que mon propre parti ne respecte pas une décision de justice au moment où l’État de droit est partout remis en cause », explique-t-elle à Mediapart.
Quelques jours plus tard, Marine Tondelier s’employait à calmer les esprits sur France Info, tout en défendant son positionnement en ligne de crête : « Certains ont trouvé qu’on en faisait trop, d’autres pas assez, j’avais à la fois une plainte de l’ex-compagne de Julien Bayou pour non-assistance à personne en danger et une plainte de Julien Bayou pour harcèlement, que vouliez-vous que je fasse ? »
Hélène Hardy aimerait désormais que s’ouvre un débat d’ampleur sur les suites à donner au mouvement #MeToo, notamment sur « la question de la réparation et de l’acceptation d’une réhabilitation ». Une piste évoquée à la fin du communiqué de presse du parti, qui promet d’engager « un débat en interne sur les enseignements à tirer [de la séquence] ». Et une épreuve de plus sur le chemin escarpé qui se profile pour la patronne des Verts.
Pauline Graulle
• Boite noire
Après publication de l’article, Marine Tondelier nous a contactés pour démentir « formellement » les propos de ses opposants sur l’accès aux fichiers des adhérents. Elle a également précisé que ce n’était pas elle, mais les avocates du cabinet Pisan, qui avait présenté leurs conclusions sur l’affaire Bayou devant le bureau exécutif.