La sentence est tombée jeudi 27 mars : Boualem Sansal, emprisonné en Algérie depuis le 16 novembre 2024, a été condamné en première instance à une peine de cinq ans de prison ferme ainsi qu’à une amende de 500 000 dinars, et ce, malgré son âge avancé et son état de santé qui se détériore (l’homme souffre d’un cancer).
L’écrivain algéro-français a été condamné pour « atteinte à l’unité nationale », « outrage à corps constitué », « atteinte à l’économie nationale » et « détention de vidéos et publications menaçant la sécurité et la stabilité nationale ». L’AFP indique qu’il est apparu à la barre « les cheveux rasés, comme tous les détenus en Algérie, en veste verte, sans menottes, semblant plutôt en forme alors qu’il souffre d’un cancer ».
Dans son réquisitoire le 20 mars, le procureur avait requis dix ans de prison ferme et une amende de 1 million de dinars contre l’écrivain. Il lui était notamment reproché d’avoir remis en cause les frontières de l’Algérie, et donc son intégrité territoriale, lorsqu’il avait déclaré qu’une partie du territoire algérien actuel appartenait en réalité au Maroc avant la colonisation française. « Toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc : Tlemcen, Oran et même jusqu’à Mascara », avait-il affirmé dans la revue d’extrême droite Frontières.
Boualem Sansal le 16 octobre 2011 à Francfort. © Photo Daniel Roland / AFP
« Une détention cruelle, vingt minutes d’audience, une défense interdite, et au final, cinq ans de prison pour écrivain innocent : une sentence qui trahit le sens même du mot justice. Son âge et son état de santé rendent chaque jour d’incarcération plus inhumain encore. J’en appelle au président algérien : la justice a failli, qu’au moins l’humanité prévale », a réagi son avocat français Me François Zimeray sur X.
La veille, il écrivait ces lignes sur le même réseau social : « Nous saurons demain si la décision rendue par le tribunal est dictée par les autorités algériennes, ou bien si elle est prise en conscience par un juge indépendant. Rien ne permet de retenir la culpabilité de l’écrivain, un innocent injustement incarcéré. » Un rassemblement en soutien à l’écrivain se tenait à Paris mardi 25 mars.
Une répression grandissante
Durant des mois, l’avocat n’a cessé de dénoncer l’impossibilité de défendre son client, faute de pouvoir obtenir un visa pour l’Algérie. Une semaine plus tôt, il criait au « procès fantôme » et voyait là un « processus purement politique » : « Si ç’avait été un procès judiciaire équitable, il aurait eu accès à un avocat, j’aurais eu immédiatement mon visa, j’aurais pu consulter le dossier, nous aurions pu nous entretenir et monter une défense », avait-il alors déclaré à l’annonce du réquisitoire du procureur.
L’écrivain, comme beaucoup d’autres détenus d’opinion en Algérie – plus de 200 aujourd’hui –, était poursuivi sur la base de l’article 87 bis du Code pénal, relatif au terrorisme, qui permet de placer les accusés en détention provisoire pour des durées indéterminées et d’aboutir sur des condamnations plus lourdes. « J’ai moi-même été victime de cet article », rapporte le défenseur des droits humains algérien Zakaria Hannache, qui a dû fuir pour se réfugier au Canada, où il a obtenu l’asile.
« Tout a empiré avec l’article 87 bis depuis qu’il a été renforcé en 2021 », poursuit-il, après le mouvement populaire du Hirak donc, incluant désormais de nouvelles formes de menaces, comme le fait de « porter atteinte à l’intégrité du territoire national » ou de chercher à « changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels ». Un niveau record d’arrestations a été observé en 2024, selon le militant.
Le 5 mars, la rapporteure spéciale des Nations unies pour les défenseurs des droits humains, Mary Lawlor, réitérait son appel au gouvernement algérien « pour qu’il modifie l’article 87 bis du Code pénal » et que la définition du terrorisme et des infractions qui y sont liées « soit accessible, formulée avec précision, non discriminatoire et non rétroactive, conformément aux normes internationales ».
Si rien ne peut justifier l’arrestation, la détention arbitraire et la condamnation de Boualem Sansal, il est à souligner que son cas a bénéficié d’une large médiatisation et a suscité une indignation particulière en France, contrairement aux autres détenus d’opinion en Algérie, dont très peu se préoccupent.
Instrumentalisation
Parce qu’il est notamment membre du comité éditorial de Frontières, Boualem Sansal a pu trouver les voix influentes – mais dont la dénonciation est à géométrie variable – depuis novembre 2024 pour plaider sa cause en France, au premier rang desquelles la droite et l’extrême droite.
Son cas a aussi été largement instrumentalisé par le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, qui, dans une course aux extrêmes, a choisi d’envoyer valser toutes les règles de diplomatie étrangère dans son bras de fer avec l’Algérie ces derniers mois.
Le locataire de la Place Beauvau a ainsi régulièrement associé l’arrestation de l’écrivain aux tensions récentes nées entre la France et l’Algérie, sur fond de laissez-passer consulaires qu’il ne parvient pas à obtenir d’Alger pour en expulser ses ressortissants ; sans jamais accorder la moindre importance aux propos tenus par l’écrivain.
Selon le média privé algérien Echorouk TV, ce dernier a pourtant lui-même reconnu, à l’audience durant laquelle il a tenu à se défendre seul (en tout cas, sans ses avocats algériens et, par défaut, sans son avocat français), n’avoir pas mesuré la portée de ses propos, tout en affirmant n’avoir pas voulu porter atteinte à l’Algérie. Il aurait ainsi expliqué avoir exercé sa « liberté d’expression » et avoir partagé son « opinion » sur le sujet concerné. Reste à savoir si le président algérien fera le choix d’une grâce présidentielle le concernant, comme l’ont esquissé plusieurs analystes ces derniers jours, en guise d’apaisement avec la France.
Alors que les déclarations se sont multipliées ces derniers mois de la France vers l’Algérie, le président, Abdelmadjid Tebboune, a gardé le silence jusqu’à une interview récente donnée à la télévision nationale algérienne, lors de laquelle il évoquait un « moment d’incompréhension » entre les deux pays, tout en soulignant que son « unique point de repère » était Emmanuel Macron, sinon son ministre des affaires étrangères – un pied de nez, entre les lignes, au ministre de l’intérieur français et au premier ministre, François Bayrou, qui le soutient.
Il en a profité pour rappeler le cadre de cette relation, loin des logiques néocoloniales : « Deux États indépendants, une puissance européenne et une puissance africaine. » Le régime algérien est lui aussi accusé par certaines voix d’instrumentaliser le cas de l’écrivain dans la crise avec la France. Selon le média algérien TSA, Jean-Noël Barrot, ministre des affaires étrangères français, pourrait bientôt se rendre à Alger.
Indignation collective
Ni Emmanuel Macron ni son premier ministre, son ministre de l’intérieur ou sa ministre de la culture n’ont réagi à la condamnation de l’écrivain à l’heure où nous publions ces lignes.
Dans un communiqué, le Parti socialiste a dénoncé une « atteinte inacceptable à la liberté d’expression » et une condamnation qui « s’inscrit dans un contexte d’exacerbation des tensions entre Paris et Alger ». « On n’emprisonne pas un écrivain pour ses idées ! Le Parti socialiste déplore l’instrumentalisation de cette injustice manifeste par les gouvernements algérien et français autant que par l’extrême droite. »
« Le délit d’opinion ne devrait pas exister. Nous réclamons à nouveau sa libération immédiate. Nos principes ne varient pas : défense des droits fondamentaux et refus de toute instrumentalisation au service de l’extrême droite », a écrit la présidente du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, alors que son parti est accusé depuis plusieurs mois par la droite et l’extrême droite de rester silencieux face au sort de Boualem Sansal.
« Victime depuis 130 jours déjà de l’arbitraire, la parodie de justice continue et notre compatriote Boualem Sansal a été condamné ce matin à cinq ans de prison. Avec cette condamnation, le régime d’Alger veut faire taire Boualem Sansal pour toujours », a dénoncé sur X Gabriel Attal, ancien premier ministre et président du groupe Ensemble pour la République à l’Assemblée.
« En condamnant notre compatriote Boualem Sansal, c’est la liberté d’expression qu’on enferme. C’est la littérature qu’on menotte. C’est l’intelligence critique qu’on veut réduire au silence. Nous resterons pleinement mobilisés pour qu’il retrouve sa liberté », a de son côté réagi la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet.
Le Rassemblement national s’inscrit quant à lui dans la ligne du bras de fer engagé avec Alger par Bruno Retailleau : « Honte au régime algérien qui condamne Boualem Sansal à cinq ans de prison ferme ! Alors qu’Alger enchaîne les provocations et les insultes envers la France, le procès politique de Boualem Sansal, suivi de sa condamnation scandaleuse, appelle une réponse ferme des autorités françaises », a écrit le parti d’extrême droite sur X.
Anais Taieb