La stratégie de communication du Rassemblement national (RN) a trouvé un large écho au sein de la classe politique après la condamnation, lundi 31 mars, de Marine Le Pen pour détournements de fonds publics. Outre les silences embarrassés, les critiques contre la décision de justice, la majorité des réactions ont validé la ligne du parti d’extrême droite, qui dénonce un « scandale démocratique ».
S’il s’astreint officiellement à un silence médiatique, l’exécutif a laissé fuiter dans l’après-midi sa désapprobation à l’égard de cette décision judiciaire. L’entourage de François Bayrou, lui-même visé par une affaire d’assistants parlementaires, a fait savoir qu’il avait été « troublé par l’énoncé du jugement ».
Le premier ministre avait échangé mercredi par téléphone avec la cheffe de file du RN. En 2024, il avait déjà jugé le scénario d’une peine d’inéligibilité immédiate « dérangeant », tandis que l’actuel ministre de la justice, Gérald Darmanin, l’avait trouvé « choquant » avant de revenir au gouvernement.
Visiblement moins « troublé » que François Bayrou, le député MoDem Erwan Balanant a défendu la décision de justice : « La démocratie, ce n’est pas que l’élection, c’est aussi l’État de droit », a-t-il expliqué. « À partir de combien dans les sondages on estime qu’on est au-dessus des lois ?, a pour sa part fait mine de s’interroger Prisca Thevenot, porte-parole du groupe Ensemble pour la République (EPR). Nous sommes des citoyens comme les autres. »
Marine Le Pen quitte la salle d’audience au tribunal de Paris, le 31 mars 2025. © Photo Amaury Cornu / Hans Lucas via AFP
Du côté d’Horizons, on gardait le silence, mis à part l’ancien ministre Christophe Béchu, qui a qualifié la condamnation de Marine Le Pen de « logique, parce qu’elle vient sanctionner un détournement de fonds publics dans un système organisé », tout en déplorant que cela risque d’« amplifier la frustration chez les millions de Français ».Candidat à l’élection présidentielle, l’ancien premier ministre Édouard Philippe n’avait, quant à lui, pas réagi lundi en fin d’après-midi.
Au sein de la coalition au pouvoir, c’est la droite qui s’est fait le relais le plus sonore de ces critiques. Laurent Wauquiez, président du groupe Droite républicaine (DR) à l’Assemblée nationale, a dit tout le mal qu’il pensait d’une décision « lourde » et « exceptionnelle ». « Dans une démocratie, il n’est pas sain qu’une élue soit interdite de se présenter à une élection », a expliqué l’élu de Haute-Loire, candidat à la présidence du parti Les Républicains (LR).
Tenu par son statut de ministre de l’intérieur, son concurrent Bruno Retailleau s’est – pour l’instant – abstenu de réagir, à l’unisson de ses collègues du gouvernement. Son entourage n’exclut pas qu’il finisse par le faire, à l’issue d’un déplacement à Londres où il doit assister lundi et mardi à un sommet consacré à la lutte contre l’immigration illégale.
L’enjeu n’est pas mince au sein de LR, où l’on espère convaincre, dans l’optique de la prochaine élection présidentielle, la frange de l’électorat historique de droite séduite par Marine Le Pen. Proche de Bruno Retailleau, l’eurodéputé François-Xavier Bellamy a évoqué un « jour très sombre pour la démocratie française », qui « laissera des traces profondes ».
Comme beaucoup d’autres au sein de son camp, l’ancienne tête de liste LR aux élections européennes dresse un parallèle entre la condamnation de Marine Le Pen et celle de François Fillon, mis en cause pendant la présidentielle de 2017, puis condamné définitivement, lui aussi pour détournement de fonds publics.
« Ils nous ont fait le coup avec François Fillon, ils remettent le couvert avec Marine Le Pen, a par exemple écrit sur le réseaux social X Guilhem Carayon, vice-président de l’Union des droites pour la République (UDR), le parti d’Éric Ciotti. Ne lâchez rien, votre arme est votre bulletin de vote. »
LFI isolée à gauche
Plus inattendu, Jean-Luc Mélenchon, par ailleurs lui aussi mis en cause depuis l’ouverture d’une information judiciaire en 2018 pour manquements et irrégularités quand il était député du Parti de gauche au Parlement européen, s’est associé au concert des pourfendeurs du jugement. Se contentant de relayer le communiqué écrit par son mouvement qui « prend acte » de la condamnation mais réitère qu’il refuse « par principe » l’exécution provisoire en matière d’inéligibilité, le leader insoumis a tenu à ajouter que « la décision de destituer un élu devrait revenir au peuple ».
De quoi en faire tiquer plus d’un à gauche, d’autant que la direction insoumise précise dans son communiqué que « La France insoumise n’a jamais eu comme moyen d’action d’utiliser un tribunal pour se débarrasser du Rassemblement national », dans une formule laissant penser que certains – la justice ? le gouvernement ? – seraient enclins à instrumentaliser la décision du tribunal pour empêcher le RN d’accéder au pouvoir.
Une position en forme de déclinaison de la théorie du « lawfare » qu’avait développée Jean-Luc Mélenchon au moment de son procès pour rébellion qui avait fait suite aux perquisitions qui avaient touché son organisation, un an plus tôt.
Interrogé à l’Assemblée nationale, le député insoumis Éric Coquerel s’en est quant à lui tenu à une position de « principe » : « On prend acte de la décision, mais on pense que les recours devraient être épuisés. De toute façon, on ne compte pas sur la justice pour battre le RN », a déclaré le président de la commission des finances au Palais-Bourbon, soulignant néanmoins qu’il ne remettait pas en question la décision des juges.
Plusieurs députés insoumis se sont gardés de relayer la ligne promue par la direction du mouvement, à l’instar de Rodrigo Arenas, Loïc Prud’homme, Aly Diouara ou Raphaël Arnault (voir notre Boîte noire), qui n’ont pas retweeté le communiqué.
Dans le reste de la gauche, la tonalité était sensiblement différente. La députée du groupe Les Écologistes Clémentine Autain (ex-LFI) a ainsi qualifié de « saine » la décision de la justice, et a souligné que « si la Macronie, après d’autres, n’avait pas elle-même mis à mal notre État de droit, nous ne nous poserions pas la question de l’indépendance de la justice dans cette décision ».
« Les Français en ont marre des élus qui détournent de l’argent ! », a réagi son collègue François Ruffin, reprenant les mots que Marine Le Pen prononçait en 2004 à propos de l’affaire des emplois fictifs de la ville de Paris. Le député de la Somme a rappelé par ailleurs que les affaires touchaient aussi Nicolas Sarkozy, Alexis Kohler et « 26 ministres » : une « caste se sert plus qu’elle ne sert ».
« Gardien de la loi »
Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste à l’Assemblée, a quant à elle vu dans la condamnation de la cheffe de file du RN « la preuve d’un système judiciaire qui fonctionne […], qu’on soit puissant ou qu’on soit faible ». Même tonalité du côté de Marine Tondelier, secrétaire nationale du parti, qui a estimé que « [la] remise en cause [de la justice] par des politiques qui prétendent aux plus hautes responsabilités est gravissime et dit beaucoup du peu de cas qu’ils font de l’État de droit ».
Au Parti communiste français (PCF), Fabien Roussel, pourtant lui-même soupçonné d’avoir occupé un emploi fictif, s’est félicité de « ce jugement [qui] doit être considéré pour ce qu’il est : le rappel de l’égalité devant la loi et la nécessaire probité des représentants ».
Dans un PS en plein congrès, il aura fallu plusieurs heures et des concertations internes pour qu’enfin un communiqué commun soit publié. Un texte de trois paragraphes seulement, qui s’en tient au service minimum : « Le Parti socialiste prend acte de cette décision comme il l’aurait fait pour toute autre. Il appelle chacune et chacun à respecter l’indépendance de la justice et l’État de droit », écrit le parti.
Quelques heures plus tôt, le député socialiste Emmanuel Grégoire avait souligné que « ceux qui croient pouvoir se prévaloir, entre guillemets, d’une onction de sondage pour s’exonérer du respect de la loi se trompent » et estimé que « la dénonciation de la politisation de la justice [était] l’argument des délinquants ». « On ne peut pas demander aux juges de se soumettre à la vox populi », a abondé le premier secrétaire du PS Olivier Faure lundi matin sur France 2.
En début de soirée, sur BFMTV, François Hollande a de son côté rappelé que Marine Le Pen pouvait encore faire appel, y compris de sa condamnation à l’inéligibilité, et envoyé quelques flèches au premier ministre : « François Bayrou n’a pas à être “troublé”, [en tant que premier ministre] il est le gardien de la loi », a-t-il cinglé, jugeant que dans les circonstances actuelles, il n’était pas pour une censure ou une dissolution de l’Assemblée nationale.
Pauline Graulle et Ilyes Ramdani
Boîte noire
Contrairement à ce qui était indiqué dans l’article, Aurélie Trouvé a bien retweeté le communiqué de presse de La France insoumise.