Nous, en tant que représentants de 30 organisations de pastoralistes, de
peuples autochtones, de petits paysans et d’ONG venant de 26 pays du
Nord et du Sud du monde, nous sommes réunis à Wilderswil pour participer
à ce Forum sur la diversité du bétail : défendons notre souveraineté
alimentaire et les droits des éleveurs. Nous nous sommes réunis en
parallèle à la Conférence technique internationale de la FAO sur les
ressources zoogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture qui s’est
tenue à Interlaken.
Nous sommes ici pour lutter à fin de défendre les droits des éleveurs.
Nous savons que nous ne sommes qu’une petite partie parmi toutes les
organisations qui existent dans toute la planète. Néanmoins, nous sommes
conscients que notre lutte est commune à celle des organisations
sociales de pasteurs nomades, de bergers, de peuples autochtones et de
petits paysans du Nord comme du Sud. Notre but principal est de
renforcer notre mouvement et d’approfondir nos analyses et notre
coopération.
La crise globale de l’élevage
Le modèle industriel de l’élevage est à l’origine de la destruction de
notre diversité de races domestiques ainsi que de nos moyens de vie. De
nos jours, le système d’élevage industriel et de sélection des races est
imposé partout comme modèle dominant d’élevage. Cela exige un énorme
investissement en technologie, des subventions et d’autres ressources,
ce qui a faussé le marché. Cela nous a conduit à une concentration et à
une dépendance sans précédent vis à vis des entreprises de sélection des
races intensives. Par exemple, il n’y a que quatre entreprises de
sélection de volailles opérant au niveau mondial dont seulement deux
contrôlent la moitié de la production mondiale d’OEufs. Ces entreprises
appartiennent au Nord tandis que son marché s’étend de plus en plus dans
le Sud, où la promotion de l’élevage industriel est importante. La
croissance de l’élevage industriel a déjà causé la destruction des
moyens pour ceux qui vivent de l’élevage familial. En outre, ce modèle
de production comporte un risque du fait qu’il repose sur une faible
base génétique par rapport à l’énorme variété mondiale, une situation
que favorise l’usage généralisé de médicaments vétérinaires. Or, notre
nourriture provient de plus en plus de cette pratique dangereuse et
coûteuse : dans la planète un tiers des porcs, la moitié des OEufs, deux
tiers du lait et trois quarts des poulets sont produits selon des
méthodes d’élevage industriel.
La progression de l’élevage industriel
Le modèle industriel nous est imposé au travers de saisies de terres et
d’expulsions fondées sur des systèmes de propriété privée, de politiques
de sédentarisation forcée et de perturbation des voies de migration
pastorales, de libéralisation des marchés, d’intégration des
entreprises, de projets de développement économique à grande échelle
comme les exploitations minières (et ses conséquences telles que la
privatisation de l’eau par les multinationales), de projets de
production de biocarburants et même par des politiques dont le but est
la conservation de l’environnement à travers des parcs nationaux et des
aires protégées.
Dans les dernières décennies, ce modèle a été mis en place à travers des
règlements commerciaux qui rendent possible le dumping qui détruit les marchés locaux et qui nous oblige à produire notre alimentation de
manière industrielle pour l’exportation.
Les politiques de réformes structurelles et la privatisation de la
terre, de l’eau et des services vétérinaires, ainsi que la pression en
faveur des technologies liées à la propriété intellectuelle, telles que
le clonage ou la modification génétique sont aussi des instruments
utilisés pour détruire nos modes de vie. Tragiquement, ces politiques
nous ont poussé vers une augmentation de la concurrence pour
l’appropriation des ressources naturelles, ce qui a provoqué une
augmentation dramatique des conflits violents, des guerres et des
occupations militaires.
Ce modèle de production se fait au détriment de la santé des êtres
humains et du bétail. Des stratégies de marketing sont utilisées pour
favoriser une quantité énorme et malsaine de produits d’élevage pour la
consommation. Des mesures de santé animale qui rendent possible le
commerce mondial de bétail élevé industriellement sont en train de
détruire nos petites productions à l’échelle locale. Nous ne pouvons pas
accepter des règlements sanitaires et hygiéniques conçus dans le cadre
de l’Organisation Mondiale du Commerce qui répondent exclusivement aux
demandes de libéralisation des marchés. Les indicateurs de santé et la
qualité des produits de l’élevage doivent répondre aux besoins des
consommateurs et non pas aux besoins de l’industrie.
Les conséquences de l’élevage industriel
Nous avons identifié les conséquences suivantes au sein de nos
communautés : la perte des petites productions familiales, la faillite et
le suicide de petits paysans, la dépendance économique, y comprise
l’importation d’aliments, la destruction de l’environnement, les
barrières économiques qui empêchent l’incorporation au marché de
nouveaux et jeunes éleveurs, la rupture des relations sociales, les
politiques gouvernementales de recherche et de sélection orientées vers
une productivité croissante par le biais de l’introduction irréfléchie
de nouvelles races qui provoquent la perte des races locales.
Vers la souveraineté alimentaire et les droits collectifs
Nous soutenons qu’il n’est pas possible de préserver la diversité
animale sans protéger et renforcer les communautés locales qui la
soutiennent de nos jours. Nous demandons une activité d’élevage à
échelle humaine. Nous défendons une façon de vie profondément liée à nos
cultures et spiritualités et non pas orienté uniquement vers la
production. Nous voulons promouvoir notre capacité d’organisation pour
compenser la pression exercée par le modèle industriel. Nous adoptons le
cadre de la souveraineté alimentaire qui a été créé par les mouvements
de petits paysans et d’autres personnes qui doivent faire face à des
problèmes similaires dérivés de l’agriculture industrielle. Ce cadre
commence à être reconnu par de nombreux gouvernements. Nous continuerons à développer les approches et les technologies de recherche qui nous
permettent d’être autonomes et de donner aux éleveurs et aux petits
producteurs le contrôle des ressources génétiques et de l’élevage, et
nous allons nous organiser afin de préserver nos races en voie de
disparition.
Nous nous engageons dans la lutte pour nos terres, nos territoires, nos
pâturages et nos voies de migration, y comprises les transfrontalières ;
nous allons créer des liens avec d’autres mouvements sociaux ayant des
objectifs similaires et nous continuerons à travailler pour
l’établissement de la solidarité internationale. Nous lutterons pour les
droits des éleveurs : ceux-ci incluent les droits à la terre, à l’eau,
aux services vétérinaires et à d’autres types de services, à la culture,
à l’éducation et la formation, à l’accès aux marchés locaux, à l’accès à
l’information et à la prise de décisions. Tous ces droits sont
essentiels pour créer des systèmes d’élevage réellement durables. Nous
nous engageons à trouver des manières de partager l’accès juste, bien
que contrôlé, à la terre et à d’autres ressources avec les pasteurs, les
indigènes, les petits paysans et d’autres producteurs d’aliments.
La propriété, les savoirs-faire et l’innovation au sein de la communauté
ont souvent une nature collective. Ainsi, les savoirs-faire et la
biodiversité locale ne peuvent être protégés et promus qu’à travers les
droits collectifs. La connaissance collective est étroitement liée à
l’identité culturelle, à des écosystèmes particuliers et à la
biodiversité, et ne peut être écartée d’aucun de ces aspects. Ceci doit
être pris en compte pour toute définition ou application des droits des
éleveurs. Il est évident que les droits des éleveurs ne sont pas
compatibles avec des systèmes de propriété intellectuelle, puisque
ceux-ci permettent un monopole privé et exclusif. Il ne doit pas y avoir
de brevets ou d’autres formes de droits de propriété intellectuelle sur
la biodiversité et les savoirs-faire liés à celle-ci.
Les États doivent reconnaître les droits coutumiers, les territoires,
les traditions, les coutumes, les institutions des communautés locales
et des peuples indigènes, ce qui entraînerait la reconnaissance,
l’autodétermination et l’autonomie de ces peuples. Les gouvernements
doivent accepter et garantir le droit collectif et le contrôle
communautaire des ressources naturelles, ceci incluant les pâturages
communs, les voies de migration, l’eau et les races de bétail. Les
gouvernements doivent s’engager dans la création d’instruments
internationaux obligeant légalement les États à respecter pleinement ces
droits.
Le Plan global d’action de la FAO
Le rapport de la FAO sur l’état des ressources génétiques animales
mondiales comprend une bonne analyse de certaines causes clés qui sont à
l’origine de la destruction de la biodiversité des animaux domestiques
et de l’épuisement des moyens de vie des communautés locales qui
nourrissent cette diversité. Selon le rapport, cette destruction est due
entièrement au système d’élevage industriel. Néanmoins, le Plan Global
d’Action ne propose pas de solutions pour ces causes. Il est
inacceptable que les gouvernements adhèrent à un plan qui ne conteste
pas les politiques qui amènent à une perte de la diversité. Les
gouvernements ne se sont même pas engagés à entamer des compromis
financiers substantiels pour mettre en marche leur propre plan.
Les organisations sociales de pastoralistes, de bergers et de fermiers
ne sont pas intéressées à participer à un plan qui n’aborde pas les
causes centrales de la destruction de la diversité du bétail et qui ne
propose que des solutions de soutien faible à un système mondial
d’élevage qui s’effondre progressivement. Puisque le Plan Global
d’Action ne met pas en cause l’élevage industriel, nous allons renforcer
notre engagement quant à nous organiser, préserver la diversité du
bétail et combattre les forces négatives qui nous oppriment. Néanmoins,
nous conservons notre esprit d’ouverture et la volonté de participer à
tout suivi qui puisse être mis en marche à travers la FAO.
La défense de la diversité des races domestiques n’est pas une question
de gênes, mais de droits collectifs.
Wilderswil, Suisse, 6 Septembre 2007