En matière de santé environnementale, les scandales s’enchaînent sans fin. C’est aujourd’hui le tour, aux Antilles, du paraquat et du chlordécone, pesticides très (trop) longtemps utilisés par les planteurs de bananes. Un rapport de 52 pages est remis ce jour, 18 septembre 2007, à l’Assemblée nationale. Préparé par le professeur Dominique Belpomme, cancérologue à l’hôpital George-Pompidou, il constate un « désastre sanitaire », jugeant la Martinique et la Guadeloupe « empoisonnées » à la suite de l’épandage massif —y compris par avion— de ces produits dangereux. Si les bananes sont saines (protégées par leur peau), les sols et les réserves d’eau sont polluées, contaminant pour des décennies la chaîne alimentaire (la boisson, d’autres fruits, les légumes-racines, des viandes…), avec pour conséquences une augmentation de certains cancers (prostate…) et de myélomes (tumeurs de la moelle osseuse), des troubles de la reproduction, des malformations congénitales…
Dans l’interview qu’il a accordée au Parisien du 17 septembre, le professeur Belpomme ne mâche pas ses mots : « La situation […] est extrêmement grave ! Les expertises scientifiques que nous avons menées sur les pesticides conduisent au constat d’un désastre sanitaire aux Antilles. Le mot n’est pas trop fort : il s’agit d’un véritable empoisonnement de la Martinique et de la Guadeloupe ». « En Martinique, la plupart des sources sont polluées. » « En Guadeloupe, on a pu démontrer que toutes les femmes enceintes et que tous les enfants qui naissaient étaient contaminés au chlordécone. On le retrouve dans le cordon ombilical. Cela constitue une véritable bombe à retardement : outre un risque de cancers, ces enfants peuvent devenir stériles. » « Je pense, conclut le professeur, que cette affaire se révèle être beaucoup plus grave que celle du sang contaminé. Cette fois, c’est toute une population » qui est concernée, ainsi que « les générations futures ».
Au journaliste Jean-Marc Plantade qui évoque le non-respect du principe de précaution si souvent invoqué officiellement, le professeur Belpomme répond : « Je le répète : c’est une crise sanitaire majeure. Cela n’a rien à voir avec le principe de précaution. » Il juge aussi que l’on « est à peu près certain que des cancers sont liés aux pesticides », même si l’on en a pas encore « la preuve épidémiologique » (ce qui va l’amener à lancer de nouvelles études. « On sait » cependant que des myélomes sont effectivement causés par le chlordécone, une maladie dont certains patients ont décédés.
Le sandale est d’autant plus grand que l’excessive toxicité du chlordécone est reconnue sur le plan international depuis 1979 et que « c’est en France qu’on l’a utilisé le plus longtemps ». Ce n’est en effet qu’en 1990, une quinzaine d’années après qu’aux Etats-Unis, que son utilisation a été interdite… sauf aux Antilles, comme si la vie, outre-Mer, valait moins qu’en métropole. Il fallut attendre trois années de plus pour cette interdiction soit enfin prononcée pour les colonies françaises des Caraïbes (où il restera cependant utilisé clandestinement jusqu’en 2002).
De même, en ce qui concerne le paraquat — que Belpomme juge « au moins aussi redoutable » que le chlordécone et qui est resté utilisé jusqu’à tout récemment —, « le ministère de l’Agriculture n’a pas tenue compte de l’avis de sa propre commission de toxicologie qui [en] demandait depuis longtemps l’interdiction. »
Tout cela ne vous rappelle-t-il pas le scandale français de l’amiante ?
Du nuage de Tchernobyl à l’amiante, l’incurie des pouvoirs publics ne cesse de se confirmer. Elle se paie de milliers d’invalides et de morts. Depuis des années, des associations antillaises exigeaient que la lumière soit faite sur les conséquences sanitaires des modes de production induits par l’agro-industrie. Lassent de prêcher dans le désert, ce sont elles qui ont dû faire appel au professeur Belpomme.
Les services officiels sont aujourd’hui obligés de reconnaître l’ampleur de la contamination des Antilles, tout en se retranchant derrière le manque de certitudes quant aux conséquences sanitaires de ces pollutions. De telles enquêtes épidémiologiques, expliquent-ils doctement, réclament en effet plus de temps que n’en a eu le professeur Belpomme… Les critiques officiels ne manquent pas de sans-gêne, car c’étaient à leurs services de les mener, ces enquêtes « approfondies », capables de faire « toute la lumière ». Ils ont eu plus de trois décennies pour les entreprendre, une fois l’alerte internationale lancée sur la dangerosité du chlordécone !
Las, la loi du secret primait — et elle prime encore aujourd’hui : lors de sa mission, le professeur Belpomme n’a pu obtenir aucun renseignement concernant les dizaines d’autres pesticides actuellement utilisés « dans des conditions plus qu’opaques ».
L’agro-industrie a longtemps continué de vendre des produits qu’elle savait très toxiques… sous prétexte qu’ils n’était pas officiellement interdits. Comme si la loi (et la morale) n’interdisait pas de porter en connaissance de cause atteinte à la santé d’autrui…
L’indifférence de l’administration, des gouvernements et des puissances économiques est proprement criminelle. Et ce n’est pas le Grenelle de l’environnement qui s’attaquera aux racines de cette indifférence : le pouvoir et le profit