Le 8 mai, la Verkhovna Rada (parlement ukrainien) a voté la ratification de l’accord dit « accord minier » [1]. L’accord entre le gouvernement ukrainien et le gouvernement des Etats-Unis d’Amérique sur la création du Fonds d’investissement américano-ukrainien pour la reconstruction (ci-après dénommé « l’accord » ou « l’accord sur le sous-sol ») a été signé le 30 avril. [Cet accord a été signé à Washington par Ioulia Svyrydenko, Première vice-Première ministre, ministre du Développement économique et du Commerce pour la partie ukrainienne et par Scott Bessent, ministre des Finances (US Treasury Secretary) pour la partie états-unienne.]
L’impérialisme américain a profité de la position vulnérable de l’Ukraine pour imposer un certain nombre de conditions désavantageuses. Malgré la suppression de certaines des conditions les plus abusives (telles que la « facturation » à l’Ukraine de l’aide militaire déjà fournie), cet accord donne aux Etats-Unis un nouveau levier sur la situation économique et politique en Ukraine.
A l’heure actuelle, même ceux qui le défendent publiquement ses défenseurs n’oseraient pas affirmer que cet accord est porteur de prospérité ou de stabilité pour l’Ukraine. Le fait même que des représentants d’un pays étranger puissent déterminer à eux seuls les conditions d’exploitation de notre sous-sol (qui est la propriété du peuple ukrainien) est scandaleux. Les bénéficiaires de cet accord sont le capital américain et, peut-être, une partie de l’oligarchie ukrainienne, mais pas le peuple ukrainien.
Il serait toutefois erroné de qualifier cet accord de catastrophe nationale irréversible. L’Ukraine peut encore se libérer du joug colonial et renoncer à l’accord à l’avenir, si elle se débarrasse du capitalisme oligarchique et réaffirme sa souveraineté.
En ce qui concerne l’accord, voici cinq problèmes principaux qui doivent être pris en considération :
1.- L’accord repose sur l’inégalité entre les parties. Les parties conviennent de créer un Fonds d’investissement pour la reconstruction américano-ukrainien sous la forme d’une société en commandite (ci-après dénommée « le Partenariat »). En termes de contenu, le contrat accorde nettement plus d’avantages à la partie américaine qu’à la partie ukrainienne.
L’article II de l’accord, qui prime effectivement sur la législation ukrainienne, est révélateur : la disposition limite la possibilité d’adopter des lois susceptibles d’avoir un impact négatif sur la mise en œuvre de l’accord. L’article III, concernant la nécessité de transformations institutionnelles conformes aux « principes du marché », peut être considéré comme une forme de pression déguisée en faveur d’un approfondissement des réformes néolibérales.
Les bénéfices découlant de l’accord seront exonérés d’impôts (article IV) et les entreprises pourront les transférer à l’étranger. Les compensations éventuelles pour les pertes (indemnités) ne sont mentionnées que dans le contexte des obligations de l’Ukraine (article V). Tout projet d’investissement dans l’utilisation du sous-sol ou l’exploitation d’infrastructures importantes peut être mis en œuvre après notification au « Partenariat » (article VII). Si l’Ukraine doit remplir certaines obligations supplémentaires envers l’UE, les parties à l’accord doivent mener « des consultations et des négociations de bonne foi » pour en tenir compte (articles VII et VIII).
2.- Le modèle proposé conduira à une primarisation accrue de l’économie. Sur le plan économique, l’accord prévoit notamment que l’Ukraine et les Etats-Unis rechercheront, exploreront et extrairont conjointement les ressources naturelles, tout en s’efforçant d’attirer les investissements dans des secteurs critiques de l’économie. Aux yeux des investisseurs des Etats-Unis, l’objectif principal est simplement d’extraire les minerais naturels de l’Ukraine.
Cela reléguera au second plan les possibilités de coopération mutuellement avantageuse dans la reconstruction des infrastructures ou le développement de technologies de pointe. Les questions sociales (conditions de travail dans le secteur extractif, développement durable) ont été laissées de côté dans l’accord. Après tout, les syndicats ou les organisations environnementales n’ont pas du tout participé à sa discussion.
Concilier les intérêts du développement de l’industrie extractive et les priorités sociales pourrait avoir des conséquences positives à long terme.
3.- La diplomatie secrète sape la légitimité de l’accord. Les termes définitifs de l’accord ont été tenus secrets jusqu’au dernier moment, ce qui a rendu impossible tout débat public sur cette question. Les négociations et les préparatifs se sont déroulés en secret, et la position du gouvernement ukrainien n’a pas été divulguée. Le processus de vote pour ratifier l’accord s’est également déroulé dans un climat d’opacité et dans les plus brefs délais.
La population ukrainienne ne dispose toujours pas d’informations complètes sur les annexes à l’accord (l’« accord de partenariat limité »). La Direction scientifique et experte principale n’a pas exprimé son évaluation du projet de loi sur la ratification (n° 0309), car tous les documents connexes n’étaient pas joints à l’accord.
4.- L’accord ne renforce pas la sécurité, mais limite la souveraineté.Pendant la guerre, l’Ukraine ne recevra pas tout ce dont elle a besoin des Etats-Unis. Cela ressort clairement des déclarations de Donald Trump. Mais la signature de l’accord confirme l’idée que l’Ukraine ne pourra pas utiliser ses richesses existantes comme auparavant.
La signature de l’accord est motivée par des considérations de sécurité, mais en réalité, il n’apportera rien d’utile dans ce domaine. Le soutien militaire promis est illusoire (l’article VI fait référence à la possibilité de transférer des armes avec l’inclusion ultérieure de leur coût comme contribution en capital des Etats-Unis [de l’opération d’extraction [2]).
On ne peut s’empêcher de remarquer la prudence du libellé concernant la guerre russo-ukrainienne : la reconnaissance de la contribution de l’Ukraine au maintien de la paix internationale en contrecarrant l’agression russe n’est même pas mentionnée.
5.- L’accord est une conséquence de l’incapacité des autorités néolibérales à mobiliser des ressources. L’Ukraine est contrainte de recourir à des moyens risqués pour attirer les investissements, précisément parce qu’elle craint de nationaliser les industries stratégiques, d’introduire un barème d’imposition progressif et de lutter contre l’économie souterraine.
La signature d’un accord inégal sur la coopération future a été imposée à l’Ukraine en raison de la nécessité de se protéger contre l’invasion de Poutine. Cet accord est, après tout, la conséquence logique de la proposition des autorités ukrainiennes de développer les ressources souterraines afin d’obtenir des fonds étrangers à la fin de 2024. Le chantage exercé par l’administration US lors des négociations sur l’accord montre à quel point il sera difficile de faire avancer ce processus dans la direction souhaitée par l’Ukraine.
Les leçons les plus importantes à tirer de la situation actuelle sont les suivantes : le contexte dans lequel s’inscrit l’accord contribuera objectivement à dissiper les illusions sur la nature de l’impérialisme états-unien, et l’idée que le peuple ukrainien ne doit compter que sur lui-même s’en trouvera renforcée.
Les ressources minérales de l’Ukraine peuvent profiter à la population, mais pour cela les autorités doivent mettre en place un modèle économique socialiste, dans lequel l’Etat contrôle l’économie et redistribue les richesses entre les différentes couches sociales.
En termes de coopération internationale, il existe des possibilités d’établir des relations égalitaires avec les pays européens, qui ont eux-mêmes intérêt à voir l’Ukraine forte et protégée. (Texte publié sur le site Links.org le 9 mai ; traduction rédaction A l’Encontre)
Vitaliy Dudin est membre du Mouvement social (Sotsialnyi Rukh)
Vitaliy Dudin
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