La semaine passée, j’ai écrit un fil Bluesky en réaction à l’émission Complément d’enquête sur LFI, qui a ensuite été transformé en billet et publié dans le Club de Mediapart. Beaucoup de personnes ont eu la gentillesse de faire des commentaires et des critiques constructives sur ce texte, soit sur les réseaux sociaux, soit de manière plus développée, comme Hendrik Davi et Roger Martelli. Les points que ces réponses ont soulevés vont au-delà de la seule polémique, et posent des questions qui me semblent pertinentes non seulement pour LFI, mais plus généralement pour la stratégie politique de la gauche.
Je me permets de présenter en réponse quelques éléments de discussion complémentaires, reprenant les critiques qui m’ont semblé les plus pertinentes, et qui tournent toutes plus ou moins autour de la question de l’efficacité. En effet, mon billet essayait de montrer que les dénonciations de l’autoritarisme de Mélenchon et du sectarisme de LFI manquaient leur cible si elles n’intégraient pas une interrogation sur les raisons de l’efficacité de ce mouvement. Je disais en gros qu’en l’absence de base militante, les partis traditionnels devenaient de plus en plus oligarchiques, et que la décision de LFI de couper tout l’appareillage partisan (avec ses courants, ses pouvoirs locaux, ses divisions) pour se concentrer sur un groupe militant réduit et uni derrière Mélenchon avait fait preuve d’une certaine efficacité.
C’était préjuger d’une définition de l’efficacité politique qui ne va pas de soi, ce qui a été à juste titre relevé. Que veut dire, pour un mouvement politique, être efficace ? Certainement, réussir à réaliser ses buts. S’agissant de LFI, en apparence, c’est simple, c’est gagner les élections et prendre le pouvoir ; or il n’aura échappé à personne qu’elle n’y a pas réussi. Par contre, ce que la FI a réussi à faire, c’est à capitaliser sur l’effondrement du centre-gauche, consécutif à la double cisaille de l’échec historique de François Hollande et de l’aventure macroniste, pour s’imposer comme la force électorale principale à gauche aux élections nationales.
Les critiques se concentrent sur l’idée que ce n’est pas suffisant pour qu’on puisse parler de stratégie gagnante ou d’efficacité, notamment à long terme, en particulier car le prix en a été le sacrifice de la démocratie interne, constitutive pourtant des organisations de gauche, et une recherche du clivage qui empêcherait la gauche de progresser. LFI, en particulier, peinerait du fait de cette stratégie à s’implanter localement, à faire monter le nombre de voix total de la gauche, et bien sûr à développer un appareil démocratique qui permette à ses membres d’échapper aux logiques néolibérales. Je vais tenter de répondre à ces points, par ordre d’importance croissante, l’un après l’autre.
1° Le manque d’ancrage local de LFI. It’s not a bug, it’s a feature
Première critique : la fameuse efficacité de LFI ne fonctionnerait qu’aux élections nationales, beaucoup moins au niveau local, où les vieux partis résistent plus, et où les dynamiques d’union de la gauche sont efficaces. C’est tout à fait vrai, mais il faut ajouter que c’est largement voulu. Tout le principe du fonctionnement que j’ai essayé de décrire de la France insoumise repose sur l’empêchement de voir émerger au niveau local des pouvoirs qui pourraient s’autonomiser de la direction et casser la mécanique unitaire. Or, cette autonomisation, même relative, est une des conditions de formation d’un pouvoir au niveau municipal.
Il y a donc, je pense, un choix délibéré de la part de la direction de la France insoumise de sacrifier le niveau local et l’ancrage local pour l’action nationale, ce qui se voit d’ailleurs aussi dans le fait que les député-es de la FI sont souvent plus présent-es à l’Assemblée que les élu-es d’autres partis qui labourent leur circonscription. Le niveau local est considéré non seulement comme secondaire, mais aussi comme porteur d’un risque pour l’appareil. Et la bonne résistance de candidat-es purgé-es comme Alexis Corbière, Danielle Simonnet ou Hendrik Davi montre bien que la direction n’a pas tort de s’inquiéter : l’ancrage local des député-es leur donne une capacité de résistance aux changements stratégiques de la direction, décidés selon un agenda organisationnel et national, sans consultation des forces locales
Il faut néanmoins mettre ici un bémol : de quel ancrage local parle-t-on ? S’il s’agit de construire un pouvoir politique local, c’est vrai que LFI n’est que peu efficace, par choix. Mais c’est différent si l’on regarde la vie politique locale au sens large, au-delà des seuls partis, pour prendre en compte les mouvements sociaux. D’une part, les groupes d’action locaux, loin d’être seulement des machines électorales, prennent souvent part aux luttes. Et d’autre part, de tous les cadres de partis de la gauche de gouvernement, les seul-es à être là de manière systématique dans les luttes sont ceux et celles de la France insoumise. Évidemment, il y a aussi dans les luttes des gens de gauche radicale, notamment du NPA et de certaines de ses émanations comme Révolution permanente, ainsi que des autonomes et des libertaires, mais du côté de la gauche institutionnelle, les seul-es à faire le lien avec les mouvements sociaux sont les élu-es de la France insoumise.
Pour parler de ce que je connais, du côté des luttes étudiantes et des luttes des personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche, il n’y a bien que les figures insoumises qui s’y joignent. C’est particulièrement frappant dans les luttes en faveur de la solidarité avec Gaza, mais c’est bien plus général que ça : dès qu’il y a un mouvement universitaire, on sait qu’on peut compter sur LFI pour a minima s’y intéresser. Il en va de même pour les luttes en faveur des étranger-e-s, pour les luttes antiracistes, féministes, etc. Ce n’est pas forcément par bonté d’âme : certaine-s élu-es LFI peuvent venir chercher dans les luttes une légitimité issue de la base. Mais puisqu’ils et elles obtiennent cette légitimité des luttes en y donnant de l’écho, et sans d’ailleurs essayer de « faire des cartes » (puisqu’il n’y a pas de carte), c’est un bénéfice net pour les personnes mobilisées.
Bref, l’empêchement de faire émerger des appareils partisans locaux n’empêche pas le lien aux mouvements sociaux, au contraire : la base militante n’ayant pas à construire et à faire vivre une organisation, elle n’existe que dans les luttes (et au moment des campagnes électorales). On en voit le fruit paradoxal dans la construction du programme de LFI, salué de toutes parts, qui a beaucoup reposé sur la mobilisation de l’expertise militante dans différents secteurs. Une fois de plus, l’absence d’appareil démocratique est étrangement productive : vu qu’il n’y avait pas les forces en interne, il fallait bien faire appel aux militant-es spécialisé-es, d’où un programme bien mieux en lien avec le mouvement social que les programmes constitués par des appareils partisans. Certes, ce mouvementisme peut créer des difficultés dans la construction d’un lien durable avec les organisations stables, notamment les syndicats, où les liens restent souvent plus forts avec le PCF ou même le PS. Mais pour les mouvements moins institutionnalisés, de jeunesse notamment, la FI domine.
2° Comment une gauche qui divise pourrait être plus efficace qu’une gauche qui rassemble ?
Deuxième critique, plus fondamentale : LFI ne fait pas augmenter le poids électoral de la gauche, mais seulement le poids relatif de LFI à gauche, et donc ça n’est pas efficace électoralement, surtout avec l’extrême droite aux portes du pouvoir. Au contraire, même, la domination de LFI serait néfaste à la gauche, car le mouvement apparaît trop radical, et Mélenchon est trop détesté, ce qui grève toutes les chances de la gauche de l’emporter en 2027 si c’est un-e candidat-e LFI qui se présente, en particulier Mélenchon. LFI, par sa stratégie de bruit et de la fureur, se serait aliéné une partie significative de l’électorat, y compris de gauche, cela veut dire que, quand bien même ils réussiraient à se faire élire au premier tour, ils échoueraient au deuxième.
Cette critique est sérieuse, et il est possible que, toutes choses égales par ailleurs, les chances d’un-e candidat-e PS à la présidentielle de 2027 soit plus grandes que celles d’un-e candidat-e LFI. Il faut néanmoins faire attention à ne pas surestimer les effets électoraux de la diabolisation. On l’a vu encore et encore, cette diabolisation n’a pas empêché le Front National de progresser - et ce n’est pas la dédiabolisation qui a permis le succès de Marine Le Pen. Les décisions des électeurs et des électrices se fondent sur bien d’autres éléments que le seul regard médiatique sur les candidat-es. Quand on voit que le militant antifasciste Raphaël Arnault a gagné en 2024, dans une circonscription qui pouvait sembler extrêmement difficile pour la FI, en particulier pour un profil comme le sien, il faut s’interroger sur les préjugés que l’on peut avoir sur le lien entre radicalité perçue et résultats électoraux. Il est difficile de prévoir quels seraient les comportements électoraux si demain, un-e membre de la France insoumise devait arriver au deuxième tour d’une élection présidentielle, d’autant qu’il est très facile d’adopter une stratégie de recentrement en période électorale, voire entre les deux tours.
Reste que comme l’a rappelé notamment Julia Cagé sur le plateau de C ce soir, depuis que la France insoumise domine à gauche, le pourcentage total de voix de la gauche ne monte pas, en tout cas pas suffisamment vite. Pour s’en tenir aux législatives, c’était 29% en 2024, 26,5% en 2022, 22,2% en 2017, alors que c’était 46,5% en 2012. Une stratégie vraiment efficace permettrait de repasser au-dessus de 40%, et de toute évidence ce n’est pas le cas. Cependant, il ne faut pas s’y tromper : la chute massive de la gauche n’est pas due à Mélenchon, mais à l’échec retentissant et inédit du quinquennat Hollande et la victoire, elle aussi retentissante et inédite, d’Emmanuel Macron. Celui-ci a attiré une partie importante de l’électorat de gauche et l’a fait passer, d’un coup, à droite, sans vraiment qu’il y ait de perspectives de retour.
La France insoumise n’a pas réussi à contrer cette baisse électorale de la gauche. Est-ce que, pour autant, sa stratégie est inefficace ? Il faut ici reprendre la question de ce que fait un parti politique quand il se présente à une élection. Comme le montre Pierre Bourdieu dans sa conceptualisation de la représentation politique, les partis sont en concurrence pour le vote des électeurs et des électrices en leur proposant des visions du monde. Les partis politiques tendent à monopoliser la production de visions politiques du monde, et les proposent à leur électorat - et ce faisant, ils font adopter comme étant valides et « les leurs » aux électeurs et électrices les visions du monde pour lesquelles ils et elles votent. Or, de ce point de vue, il est absolument crucial de savoir quelle est la vision du monde qui prédomine à gauche. Même si le programme de la France insoumise est modéré et social-démocrate, il propose une vision du monde (par ses mots, ses valeurs, sa manière de faire de la politique) inscrite dans l’histoire de la gauche.
À l’inverse, le PS, à l’époque de François Hollande, a adopté (et donc imposé à ses électeurs et électrices) une vision du monde exactement identique à celle du centre-droit : un culte de l’entreprise, du marché et de l’efficacité managériale mâtiné de libéralisme culturel. Il a pu le faire en capitalisant sur une rente de situation, l’existence d’un électorat socialiste, qu’il a ainsi progressivement détaché des valeurs de la gauche en lui faisant passer ce programme de droite comme de la fausse monnaie. De ce point de vue-là, leur victoire électorale, en 2012, n’était pas un succès, mais la première étape d’un échec retentissant : le PS a alors préparé les esprits, y compris à gauche, au néolibéralisme, et quand un vrai néolibéral, Emmanuel Macron, est apparu, il a facilement emporté la mise, sa vision du monde ayant déjà été validée par le PS.
De la même manière, la droite classique, sous Sarkozy, en adoptant une vision du monde identique à celle de l’extrême-droite, a préparé son effondrement dans les urnes, et le grand basculement électoral qui s’est produit entre 2012 et 2024 (LR passant de 35% à 8% et le RN passant de 14% à 33%). Cela veut dire que la prédominance d’une gauche ayant une vision du monde ancrée à gauche au sein de la gauche électorale, au détriment du PS, est une condition sine qua non de l’efficacité électorale de la gauche future, même si à court terme il n’y a pas de victoire électorale. La France insoumise est de ce point de vue-là indubitablement efficace, car elle vient porter au niveau national, donc avec la résonance médiatique maximale, une vision du monde de gauche et écologiste que le PS a largement abandonnée. Il est certain que la gauche unie (sans le PS, ou avec un PS profondément transformé) pourrait faire de même, mais disons que pour le moment LFI semble plutôt efficace sur ce plan.
3° Comment se battre pour la démocratie sans partis politiques démocratiques ?
La troisième critique, la plus importante, déplace la question de l’efficacité électorale vers celle de l’efficacité démocratique. L’idée est la suivante : ce qui compte n’est pas seulement la victoire, c’est aussi de construire, pour obtenir cette victoire, des appareils démocratiques, parce que – et c’est la leçon de l’histoire du communisme au XXe siècle, justement rappelée par Roger Martinelli – non seulement la fin ne devrait pas justifier pas les moyens, mais les moyens choisis sont porteurs de leur propre fin. En ce sens-là, un appareil autoritaire qui gagnerait les élections, même pour réaliser un programme ancré à gauche, ne pourrait se transformer magiquement en un outil démocratique au service du peuple. La démocratie est plus importante que la victoire électorale, car ce n’est pas qu’un régime, c’est ce qu’on appelle une « forme de vie », comme le rappelle la philosophe Sandra Laugier, un ensemble d’habitudes, de croyances et de valeurs fondées sur le respect mutuel, la délibération en commun, l’égalité de dignité et de statut entre tou-tes. Bref, la démocratie est une éthique qui devrait être présente dans l’ensemble de nos activités.
Cette critique me semble toucher juste, surtout s’il s’agit, comme c’est le cas avec la France insoumise, de penser à un mode de fonctionnement futur qui serait moins vertical, moins autoritaire, moins présidentiel. Il y a certainement une contradiction à vouloir démocratiser le système et faire une VIe République non présidentielle en construisant un appareil fondamentalement autoritaire. Mais trois éléments m’empêchent d’entièrement adhérer à cette critique.
Premièrement, il ne va pas de soi que dans un système démocratique, chaque partie du système doit être démocratique. Même dans une démocratie exigeante qui serait bien plus démocratique que notre régime actuel, on peut penser que les champs scientifique ou artistique fonctionneraient de manière non démocratique mais capacitaire, comme les institutions judiciaires et la bureaucratie, sans même parler du secteur privé. Comme l’a montré la politiste Jane Mansbridge, pour qu’un système soit délibératif ou démocratique, il n’est pas nécessaire que l’ensemble des parties du système le soient, bien au contraire. Pour, par exemple, qu’une délibération réelle ait lieu dans la société tout entière, avoir des organisations qui produisent des opinions fortes et tranchées entre lesquelles les citoyen-nes peuvent choisir, ce qui suppose d’affaiblir les pratiques démocratiques adversariales en son sein, peut être tout à fait fonctionnel, voire désirable. Les partis doivent-ils être organisés démocratiquement pour contribuer à la démocratie ? La question mérite au moins un examen sérieux, plutôt que des formules toutes faites.
Cela m’amène à une deuxième réflexion. Il est tout à fait vrai que si l’on veut préparer la démocratie de demain, une démocratie réelle, horizontale et sociale, s’organiser de manière démocratique est nécessaire. Mais dans ce cas-là, est-il vraiment sérieux de le faire au sein des partis politiques, alors que ceux-ci sont pensés pour participer à une compétition bien peu démocratique pour choisir qui sera le chef ? Comme l’a montré le regretté Bernard Manin, la compétition électorale est essentiellement aristocratique. Cela ne veut pas forcément dire qu’il faut se débarrasser des élections – pour Manin, notamment, le fait qu’elles soient aristocratiques n’est pas un problème mais une nécessité pour le gouvernement représentatif. Mais du coup, avancer qu’il faudrait absolument s’organiser démocratiquement pour participer à une compétition non démocratique, ça ne va, une fois de plus, pas de soi. Il est vrai qu’historiquement les partis, selon Manin, ont pu constituer des lieux de démocratisation de cette institution électorale aristocratique et oligarchique. Issus d’abord du mouvement ouvrier, les partis de masse ont transformé l’exercice de l’élection en permettant la mise sous contrôle des futur-es dirigeant-es. Mais cela n’a jamais empêché le retour de formes oligarchiques, et surtout, cela n’était une démocratisation qu’à une condition : que ces partis soient effectivement investis par le peuple, et d’abord par les classes populaires. Des partis dont la base n’est pas démocratique, c’est-à-dire n’est pas composée du démos, du peuple en un sens à la fois politique (l’ensemble des citoyen-nes) et social (les pauvres), ne peuvent pas, quelles que soient leurs procédures, être démocratiques. Or aujourd’hui, le peuple a déserté les partis, tous.
D’où mon troisième point. Oui, des formes de vie démocratiques, y compris dans leur dimension partisane, sont absolument nécessaires en démocratie. Il faut les défendre, les développer et y participer. Mais, comme j’ai essayé de l’avancer dans un petit livre sur la démocratie, cela ne peut pas se faire de manière privilégiée dans des partis orientés pour la compétition électorale. Ce qu’il s’agit de démocratiser, c’est bien plutôt toutes ces institutions qui requièrent notre participation pour fonctionner démocratiquement, et qui visent non pas à ce que l’on délègue notre pouvoir, mais à ce qu’on l’exerce : les syndicats, les associations, les médias citoyens, les luttes sociales. Il faut ici rappeler que pour toute une tradition politique, celle du mouvement libertaire, la conquête électorale n’a jamais été la priorité, et l’organisation démocratique de cette conquête a toujours été vue comme une contradiction dans les termes. Du point de vue libertaire, ce qui compte, c’est de s’inscrire dans une démarche que l’on appelle « préfigurative », c’est-à-dire visant à construire ici et maintenant des modes de fonctionnement et des modes de pensée qui puissent travailler à la formation d’une société nouvelle, et en constituer les bases futures - je renvoie ici aux travaux en cours d’Audric Vitiello et, pour qui lit l’anglais, de Mathijs van de Sande. Historiquement, c’est ce qu’a porté, dans le monde du travail, le projet anarcho-syndicaliste : constituer, par les syndicats, des espaces, des pratiques et des valeurs en rupture tant avec le capitalisme qu’avec l’étatisme. Par extension, c’est une même démarche préfigurative que l’on trouve dans les milieux autonomes, par exemple dans les mouvements squats ou les ZAD, et que l’on a trouvé aussi dans des fractions importantes du mouvement altermondialiste, puis dans les soulèvements démocratiques des années 2010. C’est dans ces mouvements, pas dans la gauche électorale, que s’inventent des dynamiques de démocratisation réelle de la société, et aucun parti, ni LFI ni les autres, n’ont su ou n’ont voulu s’appuyer réellement sur ces dynamiques. Les partis politiques ont étroitement lié engagement citoyen et conquête du pouvoir par un petit nombre. Le désengagement militant actuel est le signe que ce marché de dupes ne fonctionne plus. Est-ce une victoire du néolibéralisme, comme l’avance Hendrik Davi ? Peut-être. Peut-être au contraire est-ce le signe que les partis reposaient sur une ambiguïté fondamentale : mettre notre désir de démocratie au service de l’appétit de pouvoir de quelques-un-es. La FI ne règle pas ce problème ; mais son désintérêt pour la démocratie interne a au moins le mérite de la clarté : si vous voulez de la démocratie réelle, il faut aller la chercher et la faire vivre ailleurs, dans les syndicats, les associations, les luttes.
Finissons sur une note optimiste. Mon premier billet a pu donner l’impression qu’il n’y avait que deux alternatives : soit des partis de gauche devenus oligarchiques et démonétisés, soit la structure autoritaire, charismatique et sans appareil militant de la France insoumise. Et puisque cette dernière possibilité était plus efficace, la fin justifiant les moyens, il faudrait s’y rallier et se taire. Il n’en est évidemment rien. De multiples espaces de mobilisation existent. Et surtout : il est impossible de prévoir l’avenir. L’effondrement de la gauche n’est pas une fatalité, pas plus que sa captation autoritaire par tel ou tel appareil. Il est tout à fait possible que naissent des dynamiques de démocratisation au sein de la France insoumise, comme au sein des partis désormais oligarchiques. Il est vrai que l’histoire de la FI est ponctuée d’occasions manquées (ou plutôt, volontairement étouffées) de démocratisation et d’ouverture, comme le Parlement de l’Union populaire. Et l’on peut légitimement interroger le sabotage systématique, pas seulement par LFI d’ailleurs, des structures unitaires comme la Nupes puis le NFP. Mais n’oublions jamais que si les appareils peuvent prendre des décisions sans le peuple et contre le peuple, c’est parce ce peuple manque. L’organisation en dehors des partis, dans des mouvements visant autre chose que la compétition pour le pouvoir, reste la meilleure chance pour faire émerger des puissances populaires capables, le moment venu, d’imposer leurs vues aux appareils.
Samuel Hayat