En août 2007, exactement un an après la victoire de la résistance libanaise sur
l’armée israélienne, nous avons rencontré Ali Fayad, membre du bureau politique du
Hezbollah et président du centre d’étude et de recherche, lié au Hezbollah. Ce
centre se situe à Beyrouth sud, la banlieue shiite. Ali Fayad est également
professeur à la faculté libanaise où il enseigne les sciences politiques. Il suit de
près les évolutions du mouvement alter mondialiste.
Quelle est la principale conséquence de votre victoire sur l’armée israélienne ?
La conséquence immédiate de la victoire de notre résistance sur l’armée israélienne,
c’est qu’elle a avorté les projets américains au Moyen Orient. Condoleeza Rice, qui
disait que l’attaque israélienne aboutirait à un nouveau Moyen Orient, a dû revoir
sa copie. La victoire du Hezbollah ouvre une ère nouvelle, non seulement au Liban
mais aussi dans la région. Ce qui est arrivé est un modèle pour ceux et celles qui
refusent cette suprématie américaine, l’occupation israélienne et la domination des
instances internationales comme l’ONU. C’est aussi un refus de la propagande
américaine qui dit que la guerre américaine contre nous est une guerre pour la
défense de la liberté et de la démocratie. Ceci n’est pas vrai. Notre victoire est
la victoire de tous les damnés de la terre, du Venezuela, en Amérique latine, au
monde arabe, à la Palestine, à l’Irak, au Liban, à tous ceux-là on dit : "Les peuples
sont capables de vaincre les
grandes puissances, même armées jusqu’aux dents."
Le Hezbollah, est-ce une résistance religieuse ? Quelle est votre identité ?
Tout d’abord, on se considère comme un mouvement de libération nationale et on agit
pour libérer nos terres occupées par Israël. Nous sommes un mouvement de libération
qui essaie de défendre le Liban des agressions israéliennes dont nous avons souffert
depuis plus de 50 ans. Nous sommes un mouvement de libération et de résistance
nationale avec une dimension humaniste d’abord et nationaliste et islamique ensuite.
Nous faisons partie de cette grande « ouma islamique » et on ressent les douleurs de
ce monde islamique opprimé. Nous faisons partie du monde arabe qui souffre des
effets de l’occupation israélienne. Donc d’abord, nous sommes un mouvement de
libération nationale, humaniste, arabe et islamique.
Deuxièmement, nous aspirons à créer l’Etat libanais libéré des calculs et des
appartenances communautaristes. Un Etat dans lequel les citoyens sont égaux devant
la loi, indépendamment de leur religion ou de leur communauté ou de leur
appartenance politique. Nous voulons un Etat démocratique, un Etat de droit et
institutionnel, l’Etat de la justice sociale et en plus un Etat qui est capable de
défendre la souveraineté du territoire et la vie des citoyens. Nous ne cherchons pas
à créer un gouvernement religieux. Le Liban est une société diverse, il y a des
chrétiens et des musulmans. Les musulmans et les chrétiens se divisent en plusieurs
courants. Nous comptons 18 communautés au Liban, c’est une société plurielle. Nous
avons besoin d’un Liban qui soit un modèle pour notre monde islamique. Nous voulons
montrer qu’on est capable de vivre ensemble avec des communautés différentes.
Quelle relation entretenez-vous avec la gauche ?
Les marxistes ici au Liban sont nos alliés. Le Parti communiste libanais et la
gauche en général sont nos alliés. Nous avons une différence idéologique, nous avons
nos convictions et eux les leurs. On diverge sur ce point mais à ce moment de
l’histoire de notre pays, c’est une divergence qui n’est pas importante. Pour nous,
la question principale aujourd’hui : es-tu pour ou contre les Américains ? Est-ce que
tu es avec les opprimés dans le monde ou pas ? Est-ce que tu refuses la domination du
monde et l’augmentation de la brèche entre riches et pauvres ou pas ? Nous refusons
que la division actuelle soit une division idéologique ou religieuse, que
l’opposition se fasse entre chrétiens et musulmans, ou entre marxistes et croyants.
La question aujourd’hui est de savoir qui est avec la domination américaine et qui
est contre, qui est avec la résistance et qui est contre, qui est avec l’occupation
et qui est contre, qui refuse la mondialisation
sauvage et qui l’approuve. En toute honnêteté, je dis : les marxistes résistants se
trouvent dans la même tranchée que nous et les musulmans non résistants comme les
takfiristes ou ceux qui s’allient avec les puissances mondiales sont très loin de
nous.
Nous avons une spécificité shiite uniquement en terme de composition sociale. Cette
composition a ses raisons religieuses et elle est liée à l’histoire du pays. Mais
notre résistance n’est pas religieuse, elle est nationale. Notre projet politique
est un projet national patriotique par excellence. On ne fait pas la différence
entre une région ou une autre, que tu sois sunnite ou shiite. Economiquement, nous
avons des réserves sur les politiques de la privatisation et on appelle à des études
plus approfondies pour éviter une augmentation des prix. Nous sommes pour un rôle
fort de l’Etat dans la gestion de l’économie au Liban. Je répète et je redis que
notre programme politique et économique est un projet anti-néolibéral.
J’ai lu le programme du Parti communiste ici et j’ai remarqué qu’il n’y a pas de
grandes différences entre leur vision politique et la nôtre. Je ne peux pas appeler
notre programme politique un programme marxiste ou socialiste. Selon les critères
occidentaux, on peut dire que notre vision du monde est proche de celle de la
social-démocratie, donc pour un régime capitaliste libre, mais avec un rôle fort
pour l’Etat en tant que régulateur de l’équilibre entre l’Etat et le marché. Nous
refusons les privatisations et la réduction du rôle de l’Etat.
Quelle est la relation entre le Hezbollah et l’Iran ?
D’abord, nous ne recevons nos décisions d’aucun parti en dehors du Liban, mais cela
ne nous empêche pas d’être des alliés de l’Iran. L’Iran est dans une position de
leadership dans la confrontation avec le colonialisme mondial et les tentatives de
domination. Les Iraniens sont du côté du peuple libanais depuis 25 ans. Quand les
Israéliens détruisent nos maisons, nos usines, nos régions, ce sont les Iraniens qui
nous aident à les reconstruire . Si tu vas au sud Liban maintenant, tu verras
comment les Iraniens contribuent à reconstruire les ponts, les routes, les hôpitaux.
Regardez les Nord Américains. Ils soutiennent les Israéliens avec toutes sortes
d’armes et les aides militaires américaines pour Israël cette année ont dépassé les
3 milliards de dollars. Pourquoi donc notre alliance avec l’Iran serait négative
quand l’Iran nous donne des aides sociales, économiques et éducatives et de
développement ? L’Iran est un ami du Liban, est
un ami de tout le peuple libanais et du Hezbollah. Mais cela n’est pas
contradictoire avec le fait que nous sommes un parti indépendant. Nous décidons de
notre politique nous-mêmes. Les intérêts nationaux libanais sont notre guide pour
nos décisions.
Quelle est l’importance de la chaîne de télé Al Manar pour votre lutte ?
Al Manar est une institution civile de soutien à la résistance. Dans notre société,
il ne faut jamais sous-estimer l’importance et la valeur des médias. Al Manar est
devenu ces dernières années la deuxième chaîne arabe. De ce point de vue, Al Manar
contribue dans notre lutte et joue un rôle important et primordial pour défendre la
résistance. Ceci explique probablement les décisions nord américaines de classifier
Al Manar comme une institution terroriste.
Quelle est votre position sur la Palestine ?
Je pense que la géographie palestinienne et les possibilités économiques pour la
Palestine font en sorte qu’une stabilité n’est pas possible selon le modèle d’une
solution à deux Etats. Nous croyons qu’il doit y avoir un seul Etat pour tous les
Palestiniens de différentes communautés qu’ils soient juifs, musulmans ou chrétiens.
Les Palestiniens, enfants de la région, ont le droit au retour pour vivre dans cet
Etat. Ce sont eux qui doivent choisir la forme du régime politique et après cet Etat
doit décider de tout ce qui est lié à la sécurité de cet Etat et à l’avenir de ceux
qui vivent à l’intérieur de cet Etat. Selon nous, la stabilité en Palestine est liée
à la création d’un seul Etat dans lequel tous les citoyens seront égaux devant le
droit, indépendamment du fait qu’ils soient juifs, musulmans ou chrétiens.
Y a-t-il un lien particulier entre Hugo Chavez, président du Vénézuela et Hassan
Nasrallah, le secrétaire générale du Hezbollah ?
Quand il a parlé de Chavez sur la tribune devant un million de personnes, Hassan
Nasrallah a appelé le président du Venezuela « brother Chavez ». Nous sentons que cet
homme est très proche de nous, qu’il est un camarade de route. Comme s’il y avait
entre nous et lui une longue histoire de lutte commune, comme si son fusil était le
nôtre. Nous l’aimons et le respectons et nous pensons qu’il y a des moyens de
développer notre relation de telle sorte que ceci devienne un modèle de relation
entre ce qui est de gauche et ce qui est islamiste.
Le général Aoun, de la communauté chrétienne, entretient une alliance avec le
Hezbollah. Comment jugez-vous cette alliance ?
Entre nous et le général Aoun, il y a une alliance et cette alliance-là est l’avenir
de la stabilité au Liban. C’est une alliance entre deux forces qui sont
politiquement les plus populaires au Liban. De notre point de vue, ces deux
mouvements, le Hezbollah et le courant patriotique libre de Aoun, sont capables de
créer un Etat réel, un Etat de droit. De notre point de vue, Aoun est le personnage
politique libanais qui est le plus adéquat pour être président. C’est un homme qui
se bat pour une véritable indépendance et pour une véritable souveraineté, capable
de jouer un rôle important au service de tous les Libanais.