A l’heure où nous écrivons ces lignes, les sondages officiels sur la participation aux cinq référendums sur le travail et la citoyenneté promus par la CGIL et +Europa arrivent, une participation qui, comme cela a été largement prédit, entraînera l’invalidation des résultats de la consultation populaire.
Immédiatement après les élections générales de septembre 2022, nous écrivions : « La droite, avec ses 12 millions de voix, en tenant compte également de ceux qui se sont abstenus, ne représente que 26,6 % du corps électoral, mais, grâce à la division du camp adverse et à une loi électorale antidémocratique et faussée, elle élit près de 60 % des députés et des sénateurs ».
On saisit dans ces données le caractère minoritaire du soutien électoral à Giorgia Meloni et à sa coalition, mais aussi les signes sans équivoque de la crise conjointe de la gauche, dans toutes ses expressions, et de la démocratie, qui s’exprime non seulement dans le faible taux de participation au vote, mais aussi dans le désintérêt croissant pour la vie publique.
De plus, ces deux crises, celle de la démocratie et celle de la gauche, se sont encore et fortement aggravées depuis 2022. Nous écrivions : « Le phénomène (de la non-participation) se consolide et s’étend surtout dans le Sud et dans les quartiers populaires. Dans les régions du Sud, l’abstention est partout supérieure à 40%. Dans les quartiers populaires de la périphérie de Naples et de Rome, par exemple, on enregistre respectivement 44% et 56%, alors que dans les arrondissementss du centre de ces deux villes, on atteint 61%... ».
A l’heure où nous écrivons ces lignes, nous ne disposons pas encore de données définitives, ret encore moins détaillées, mais à Rome, par exemple, l’écart entre le pourcentage de participation aux référendums dans les quartiers du centre et ceux des quartiers de l’extrême périphérie dépasse (partout et dans certains cas de beaucoup) les 10 points.
Quant à la crise de la gauche et à son nombrilisme de plus en plus grand et, en apparence du moins, incurable, nous n’y reviendrons pas ici, mais c’est l’un des principaux éléments (peut-être le principal) de la gravité de la situation.
Car, même dans le référendum, comme en tant d’autres occasions politiques, ce n’est pas la droite qui a gagné, mais c’est la gauche (politique et sociale) qui a perdu. Mais le résultat politique est le même, sinon pire, car l’espoir d’une renaissance ne peut se nourrir d’illusions.
Sur les plateaux de télévision, on explique que plus de 14 millions d’électeurs sont allés voter (sur les 46 millions qui résident en Italie, soit 30,6 %, un pourcentage qui sera considérablement réduit avec les votes des électeurs résidant à l’étranger). Et que ces 14 millions sont plus nombreux que les 12 millions qui ont voté pour le gouvernement Meloni en 2022, anticipant ainsi son « éviction » du Palais Chigi.
Mais ces bavardages ne dureront que le temps d’un talk-show. Le pouvoir reste fermement entre les mains des post-fascistes et de leur majorité parlementaire granitique de 60 %, comme ils viennent de le démontrer il y a quelques jours en adoptant le décret-loi qui a réussi à aggraver le code pénal rédigé en 1930 par Alfredo Rocco, le ministre de l’intérieur de Mussolini.
La gravité de la situation italienne (dont, nous le répétons pour la énième fois, la débâcle de la gauche constitue un élément décisif) exige bien plus que des artifices de propagande. Certes, les quatre questions proposées aux électeurs par la CGIL (mais aussi celle sur la citoyenneté posée par les héritiers de Pannella) sont des points nodaux cruciaux pour la situation sociale du pays. Mais elles n’auraient pu prétendre à une victoire dans les urnes que si elles avaient été préparées et accompagnées par un véritable revirement des appareils politiques et syndicaux, revirement qui ferait clairement et sans équivoque justice au parcours social-libéral d’une grande partie de la gauche institutionnelle, sur ses responsabilités politiques dans la décomposition de la société italienne (du Jobs Act de Matteo Renzi aux « décrets sécurité » et aux mesures anti-migrants du gouvernement « jaune-vert » de Giuseppe Conte).
Mais ce tournant n’a pas eu lieu et ne semble pas se profiler : le PD reste infesté par les nostalgiques de Renzi et le Mouvement 5 étoiles a persisté dans son identité ambiguë, allant jusqu’à applaudir la victoire de Trump aux Etats-Unis en novembre dernier.
Et même en ce qui concerne la CGIL, la promotion des référendums ne s’est pas accompagnée d’un virage explicite : la confédération continue d’être tentée par la reprise de la voie du « dialogue » avec le gouvernement de droite (voie empruntée par Maurizio Landini lui-même lorsqu’il avait invité Giorgia Meloni à faire sa propagande au 19e congrès de la CGIL, et provisoirement abandonnée en raison du refus du dialogue de la part de la majorité de droite), continue d’être tentée de suivre l’exemple de la CISL ou du moins de relancer l’unité des confédérations avec elle, en faisant quelques concessions dans l’illusion de retrouver les « tables de la concertation ».
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la grande majorité des mesures antipopulaires adoptées par les gouvernements de diverses couleurs qui se sont succédé au palais Chigi n’ont pas trouvé d’opposition réelle de la part de la CGIL du temps d’Epifani, de la CGIL du temps de Camusso, ou même de la CGIL de Landini, à l’exception de quelques initiatives symboliques de témoignage, comme les quelques heures de grève qui ont été lancées par exemple en 2011 contre la réforme des retraites Fornero ou à la fin de 2014 contre le Jobs Act de Renzi lui-même.
Il ne faut pas non plus oublier que le dernier grand mouvement d’opposition et de protestation promu et dirigé par la CGIL a été celui de 2002 contre la première tentative de Berlusconi de modifier l’article 18 du Statut des travailleurs.
Dans ce contexte, en l’absence d’un mouvement de masse, avec une campagne pour les 5 Oui réduite à des débats télévisés et à quelques initiatives de propagande dans les quartiers, espérer que le quorum pouvait être atteint ou même seulement effleuré, c’était compter sur des miracles.
Fabrizio Burattini