Seuls 30 % des électeurs, soit environ 15 millions de personnes, ont voté, soit près de 10 millions de moins que le nombre nécessaire. Parmi eux, environ 12 millions ont voté oui aux quatre questions posées par la CGIL (entre 87 % et 89 %), mais seulement 9 millions à la question sur la citoyenneté. Un chiffre très faible, compte tenu du fait que les travailleurs et travailleuses salarié.e.s sont environ 19 millions, sans compter les retraités.e.s, les chômeurs.euses et les travailleurs.euses au noir. Un référendum qui n’a même pas mobilisé l’ensemble de la classe ouvrière, qui est bien loin de percevoir que la défense des droits de ses secteurs les plus faibles est fondamentale pour inverser les rapports de force sociaux. Le résultat de la question sur la citoyenneté, qui n’a obtenu que 65 % de oui et qui aurait probablement été rejetée même si le quorum avait été atteint grâce à une participation plus importante de votant.e.s probablement orienté.e.s à droite, est particulièrement inquiétant.
Les règles facilitant le licenciement, même abusif, des travailleurs et travailleuses, resteront en vigueur, sans possibilité de réintégration, et dans les petites entreprises, l’indemnisation éventuelle ne pourra dépasser six mois de salaire ; les entreprises sous-traitantes continueront d’être déresponsabilisées en matière de sécurité des travailleurs et travailleuses ; il restera possible de recourir à des contrats de travail précaires à durée déterminée sans même avoir à fournir de motif ; enfin, les travailleurs et travailleuses migrants continueront d’être victimes de discrimination et plus facilement victimes de chantage pendant au moins dix ans, privés des droits de citoyenneté alors qu’ils vivent, travaillent et paient leurs impôts en Italie.
Le gouvernement s’en sort renforcé
Bien que les questions référendaires n’aient pas contesté des lois mises en place par les forces politiques actuellement au pouvoir, ce sont pourtant bien les forces de droite qui se réjouissent de l’échec des référendums. Cela démontre clairement le lien indissoluble qui unit la droite aux classes dominantes et son mépris pour les droits de celles et ceux qui travaillent.
Objectivement, la droite au pouvoir sort renforcée par ce résultat. Elle a misé sur l’abstention pour faire échouer les référendums, en exploitant un ventre mou largement dépolitisé qui ne vote plus, à tel point que même lors des dernières élections européennes de 2024, moins de la moitié des électeurs inscrits s’étaient rendus aux urnes. Les fluctuations électorales devront être analysées en profondeur, mais il est probable que celles et ceux qui ne votent pas aux élections politiques ne se sont pas non plus rendus aux urnes lorsqu’il s’agissait de se prononcer directement sur des lois. Une fois de plus, il ne faut pas se faire d’illusions sur le potentiel « subversif » de l’abstention.
Maigre réconfort que celui que les partis du « grand centre » trouvent dans le fait que le nombre de « oui » soit supérieur à celui obtenu aux élections européennes par les forces de la majorité. S’il est vrai que Fratelli d’Italia, Forza Italia et la Ligue n’ont obtenu « que » 11 millions de voix en 2024, ces formations peuvent aujourd’hui revendiquer une hégémonie sur la grande majorité des électeurs qui ne se sont pas rendus aux urnes. En ce sens, le centre-gauche a eu tort de politiser le référendum en le présentant comme une consultation sur l’action du gouvernement.
La palme du pire parmi les partis du « Camp large » revient au Mouvement 5 étoiles, qui n’a donné aucune indication de vote sur le référendum sur la citoyenneté, allant ainsi dans le sens des perceptions racistes et de droite, comme il l’avait déjà fait en 2018 lorsqu’il avait accepté de gouverner avec la Ligue de Salvini. La nature interclassiste (mais avec une direction petite-bourgeoise) de cette formation politique ne s’est pas démentie, même dans cette épreuve. Le PD n’était pas non plus très homogène dans ses indications de vote, une partie de la direction restant campée sur la ligne de Renzi [ancien dirigeant du PD, au gouvernement de 2014 à 2016, responsable avec le Jobs Act des dégradations sur lequel portait le referendum ndt], tandis qu’une partie de son électorat, comme le montrent les premières analyses des résultats, semble avoir voté non à la question sur la citoyenneté.
Après l’adoption par le parlement du « décret sécurité » puis le résultat de ce référendum, le gouvernement post-fasciste italien devient de plus en plus dangereux. Avec le décret sécurité, dispositif fortement répressif et antidémocratique, les luttes que nous pourrons mener à l’avenir sont menacées, instaurant un climat intérieur en phase avec les vents de guerre. La prochaine bataille fondamentale sera celle du militarisme, avec les investissements considérables dans le réarmement proposés par la Commission européenne et accueillis avec enthousiasme par la droite italienne ainsi que par les droites qui gagnent du terrain en Europe.
Le référendum n’est pas l’instrument adéquat
Sinistra Anticapitalista n’a pas été l’un des promoteurs des questions référendaires mais a participé à la campagne en recommandant de voter cinq fois oui. Nous n’avons pas choisi ce terrain de bataille, mais nous ne nous sommes pas soustraits à la tâche de le mener avec toutes les forces militantes dont nous disposons.
Lorsque nous nous sommes trouvés face à la possibilité d’engager cette bataille sur les droits du travail et des migrants, nous n’avons pas hésité, et quoi qu’il en soit, au-delà du résultat, il était important de rouvrir le débat sur le travail et la citoyenneté et d’en discuter sur les marchés, dans les quartiers, sur les lieux de travail. Deux lois, le Jobs Act et la loi sur la citoyenneté, qui sont de véritables piliers de l’exploitation du travail, qui tiennent les travailleurs en otage, les soumettant encore plus au pouvoir patronal, l’une avec la menace du licenciement, l’autre avec celle de l’expulsion, les permis de séjour étant conditionnés à l’emploi. L’impunité des patrons en matière de sécurité, avec un carnage sur les lieux de travail qui fait en moyenne trois victimes par jour et la précarité généralisée avec le recours aveugle aux contrats à durée déterminée, complètent le tableau.
Cette bataille a toutefois démontré une fois de plus, comme ce fut le cas en 1984, toutes choses égales par ailleurs, sur l’échelle mobile, que le référendum ne peut être considéré comme le principal instrument auquel faire confiance pour obtenir des acquis – ou même simplement défendre les droits – de la classe ouvrière. Il serait facile de citer le Marx de la Première Internationale, selon lequel « l’émancipation de la classe ouvrière doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes », pour rappeler qu’on ne peut pas remettre à un référendum, où la bourgeoisie a aussi le droit de vote, le destin de celles et ceux qui vivent de leur travail. Si l’on pense ensuite au référendum sur la citoyenneté, sur lequel les personnes directement concernées n’avaient même pas le droit de vote, l’erreur est encore plus évidente.
Il est vrai que grâce aux référendums, d’importantes batailles de civilisation ont été gagnées (le divorce, l’avortement, la chasse, le nucléaire, l’eau comme bien public), mais il s’agissait précisément de questions qui concernaient l’ensemble de la société et sur lesquelles les secteurs les plus avancés de la classe ouvrière et des mouvements sociaux avaient réussi à construire une hégémonie, grâce aussi à leur force propre, à leur capacité à s’organiser et à gagner d’abord sur leur lieu de travail, dans les familles et dans la société en général. Le sentiment commun sur ces questions était plus avancé que le législateur. Aujourd’hui, ce n’est manifestement pas le cas en matière de travail et de citoyenneté.
Le référendum est en outre un instrument de démocratie directe faussé qui ne peut être utilisé que dans des limites très étroites (et la droite propose déjà de les rendre encore plus étroites en augmentant le nombre de signatures nécessaires pour le demander). Il ne peut être sollicité sur différents sujets, en particulier ceux qui auraient une incidence sur le budget ; il nécessite un quorum de participation qui, depuis plus de trente ans, est difficile à atteindre ; il permet uniquement d’annuler des lois déjà approuvées ou de confirmer des réformes constitutionnelles qui n’ont pas obtenu une majorité qualifiée au Parlement. Mais surtout, le référendum est loin de la véritable démocratie directe. Dans ce cadre, les assemblées sur le lieu de travail ou territoriales pourraient prendre des décisions sur ce qui les concerne directement ou élire des représentants temporaires et révocables dans des assemblées de niveau supérieur pour décider de questions plus larges, au cours d’un débat qui permettrait de s’exprimer et de débattre de différentes propositions, plutôt que de se contenter de voter « oui » ou « non » sur des questions déterminées. Voilà la démocratie directe que nous voulons construire avec l’écosocialisme. Les référendums actuels ne sont qu’un simulacre de démocratie directe, et cela dit sans même parler de l’influence sur le vote des médias de masse, les réseaux sociaux informatisés y compris, sur lesquels la classe ouvrière n’a évidemment aucun contrôle. Il suffit de penser au silence médiatique qui a entouré ce référendum ou à la censure systématique des manifestations de solidarité avec le peuple palestinien.
Surtout dans cette phase historique, où l’hégémonie du capital et de la droite politique est si forte sur la société en Italie comme dans le reste du monde, confier le destin des travailleurs et des migrants au vote référendaire a été une décision aventureuse, qui a exposé la classe à une défaite tout à fait prévisible qui risque également d’affaiblir les autres luttes en cours. Peut-être que lorsque Landini a fait prendre l’initiative de ces référendums par la CGIL, il a misé sur l’effet d’entraînement d’une sixième question, celle sur l’autonomie différenciée [entre les régions ndt], dont la Cour constitutionnelle a refusé qu’elle soit soumise au vote. Mais il est probable que même cette question n’aurait pas permis d’atteindre le quorum, comme l’a montré la difficulté de mobiliser la société ces dernières années contre cet autre projet destructeur de la droite, partagé également par certains secteurs du centre-gauche dans les régions du Nord. Cet argument ne peut toutefois servir de justification à une direction de la CGIL qui, au lieu de se positionner de manière combative et radicale dans le conflit social, a déplacé la bataille sur le terrain référendaire, comme en témoigne le slogan « Le vote est notre révolte ! ». Il est indispensable de prendre en compte la masse de toutes celles et tous ceux, dans les périphéries et au sein même de la classe ouvrière, sont dépolitisé.e.s et désyndicalisé.e.s à la suite de la défaite historique du mouvement ouvrier, des reculs constants en matière de salaires et de droits, des trahisons de ceux qui auraient dû la représenter et des désillusions sur les expériences réformistes, de l’absence de mouvements sociaux significatifs en mesure de renverser le rapport de force entre les classes.
Les droits et l’hégémonie se reconquièrent par les grèves
Le référendum étant maintenant derrière nous, il est temps de revenir à la réflexion sur la manière de se défendre contre le gouvernement de droite et la toute-puissance patronale et de reconquérir les droits et les salaires. Contrairement aux élections politiques et aux référendums, les récentes élections des représentants syndicaux dans le secteur public ont enregistré un taux de participation très élevé (environ 70 %), et la CGIL est arrivée première dans tous les secteurs de la fonction publique. C’est précisément à partir des lieux de travail et des représentations syndicales qu’il faut repartir pour construire une manière différente de militer syndicalement, sur une base de lutte et solidarité. L’urgence salariale doit être affrontée avec détermination, en luttant pour obtenir des renouvellements contractuels qui redonnent sa dignité au travail, en particulier dans les secteurs publics et chez les métallurgistes, dont les conventions collectives ont expiré et n’ont pas encore été renouvelées. Si les métallos se sont mobilisés par plusieurs mouvements de grève (environ 40 heures à ce jour), trop peu est fait dans les secteurs publics, car on part de l’idée qu’il n’y aurait pas de ressources pour permettre de récupérer la perte causée par l’inflation au cours de la période 2022-2024, ce qui revient en fait à renoncer à lancer une mobilisation décidée et continue pour obtenir que le gouvernement budgète ces moyens.
Il y a également beaucoup à faire dans le domaine de la défense de l’emploi et de l’environnement. L’expérience des travailleurs de GKN, qui continuent de lutter pour un projet d’usine socialement intégrée et financée par des fonds publics, montre la voie à suivre pour apporter une réponse globale à la crise industrielle et environnementale qui touche différents secteurs du monde du travail. La nécessaire reconversion écologique et numérique de la production ne peut être laissée au marché capitaliste, qui produit chômage de masse, destruction de l’environnement et concurrence à la baisse entre les travailleurs et travailleuses de différents pays. Il est nécessaire que la classe ouvrière se mobilise pour une intervention publique massive en faveur de la reconversion écologique de l’économie, tout en préservant les emplois.
Pour parvenir à obtenir ces acquis, il faut renouer avec la pratique de grèves sérieuses, comme nous l’ont enseigné les luttes qui ont conduit à l’adoption du Statut des travailleurs en 1970 ou, plus récemment, comme nous l’avons vu en France contre la réforme des retraites. La grève doit redevenir un outil central pour la reconstruction d’un nouveau mouvement ouvrier. La préparation de la grève générale sert à cimenter la solidarité dans la lutte entre les différents secteurs de la classe ouvrière, à redonner confiance aux travailleuses et aux travailleurs dans leur capacité à s’auto-organiser et à gagner la lutte. Seule une classe ouvrière consciente de sa force peut espérer construire un bloc social autour d’elle et gagner l’hégémonie pour faire pièce à l’autoritarisme et a barbarie capitaliste.
Les syndicats devraient organiser et mobiliser la classe ouvrière avec une approche intersectionnelle, se réapproprier l’outil qu’est la grève et y apporter leur soutien lorsqu’il est mis en œuvre par d’autres mouvements. Par exemple, la grève des mouvements féministes et transféministes organisée depuis des années par Non Una Di Meno le 8 mars contre le patriarcat et la violence de genre, qui associe les revendications féministes à celles de la classe ouvrière, qu’elle soit autochtone ou migrante. Dans cette optique, le syndicat devrait s’engager au maximum pour le succès de la mobilisation contre le réarmement européen du 21 juin.
Les mobilisations sur le terrain et nos engagements futurs
Le pire effet de cette défaite référendaire pourrait être la démoralisation des militant·e·s politiques, sociaux et syndicaux qui se sont généreusement engagé·e·s dans cette campagne. Pourtant, depuis quelques mois, nous assistons à une reprise des mobilisations sociales importantes qui doivent se poursuivre et s’approfondir dans les semaines à venir. Les neuf millions qui ont voté oui aux cinq questions sont certes insuffisants pour remporter le référendum, mais si une partie importante de ces personnes se mobilisait, en descendant dans la rue ou en participant aux grèves dans les semaines à venir, nous oublierions rapidement cette défaite et ce serait le début d’une nouvelle saison politique où la solidarité de classe redeviendrait un élément central.
Le mouvement contre le génocide et pour la solidarité avec le peuple palestinien descend dans la rue ces jours-ci pour protester contre l’arrestation de la Flottille de la liberté : un groupe d’activistes qui, avec Greta Thunberg, a tenté d’apporter solidarité et aide à la Palestine et a été attaqué par l’armée israélienne avec des gaz lacrymogènes, puis arrêté illégalement. Le génocide perpétré par Israël doit cesser et les gouvernements occidentaux doivent immédiatement mettre fin à toute forme de complicité avec le gouvernement criminel de Netanyahou. Nous voulons une grève générale pour protester contre les accords commerciaux et militaires entre l’Italie, l’UE et Israël.
Nous soutenons la révolte en cours à Los Angeles contre la politique raciste et autoritaire de l’administration Trump à l’égard des migrant·e·s et de celles et ceux qui se mobilisent en solidarité. Les politiques du gouvernement italien à l’égard des réfugié·e·s et l’adoption du décret sur la sécurité vont dans le même sens. Fermons les CPR (centres de rétention pour migrant·e·s) en Italie aussi, les immigrant·e·s ne peuvent pas être détenu·e·s comme des criminel·le·s. Mobilisons-nous pour l’accueil et la liberté de circulation des personnes.
Le 20 juin, une grève des métallurgistes est prévue pour le renouvellement de leur contrat, une occasion essentielle de montrer que le syndicat et les travailleurs ne cèdent pas face à l’arrogance des patrons et du gouvernement. La majorité de droite a rejeté les propositions de loi sur le salaire minimum en affirmant hypocritement que les salaires minimums doivent être garantis et augmentés par la négociation collective. Eh bien, le moment est venu d’augmenter significativement les salaires !
Le 21 juin, une manifestation nationale aura lieu à Rome dans le cadre de la campagne Stop Rearm EU, avec des mobilisations dans toute l’Europe à l’occasion du sommet de l’OTAN à La Haye, pour protester contre le plan de réarmement présenté par la Commission européenne, contre l’augmentation des dépenses militaires, en solidarité avec la Palestine et contre l’autoritarisme. Nous serons dans la rue contre tous les impérialismes, à commencer par celui de l’Europe et de l’OTAN, mais aussi contre la guerre que l’impérialisme russe continue de mener contre le peuple ukrainien.
11 juin 2025
Communiqué de la direction nationale de Sinistra Anticapitalista