
Un nouveau scénario s’ouvre ainsi, dans lequel non seulement l’avenir du PSOE est remis en question, mais aussi celui du gouvernement de coalition et, au-delà, celui d’un régime qui continue de mener une guerre sale contre tous ses ennemis.
Ce scandale survient en outre dans un contexte de vague réactionnaire à l’échelle mondiale et d’offensive du bloc de la droite espagnole sur différents fronts, notamment judiciaire, policier et médiatique. Il coïncide également avec d’autres accusations de corruption, comme celle qui touche la présidente trumpiste de la Communauté de Madrid, Isabel Díaz Ayuso, mais aussi, indirectement, le procureur général de l’État, en attente de poursuites pour « violation du secret ». Et cela se produit au milieu de la guerre ouverte entre la Cour constitutionnelle et la Cour suprême autour de l’interprétation et de l’application de la loi d’amnistie, derrière laquelle persiste la fracture au sein du régime sur la manière de faire face à la vieille question catalane.
Le complot et la corruption systémique
Cette fois-ci, nous sommes confrontés à l’existence d’un complot qui avait son quartier général au ministère des Transports présidé par Ábalos et ses principaux corrupteurs dans de grandes entreprises telles qu’Acciona, de la célèbre famille Entrecanales, ainsi que LIC et OPR [1], selon le premier rapport de l’UCO (Unité centrale opérationnelle) de la Garde civile sur Santos Cerdán.
Ce même rapport permet également de soupçonner que non seulement lui et ses complices ont tiré profit de cette situation, mais aussi son propre parti pendant les années où Pedro Sánchez est au pouvoir, et même avant. Il faudra attendre les prochains rapports pour savoir jusqu’où vont les ramifications d’un réseau installé au sommet d’un parti qui se vantait de faire table rase de son propre passé en la matière, face au PP de Feijóo, qui se voulait intransigeant envers la corruption.
La gravité de cette affaire saute aux yeux et confirme que dans ce régime – et dans les principaux partis qui ont assuré sa continuité jusqu’à présent – la corruption n’est pas marginale, mais structurelle, comme nous avons pu le constater depuis ses origines à travers de nombreux scandales, avec Juan Carlos Ier à la tête et aussi bien avec les gouvernements du PSOE que du PP. Ce dernier, lorsqu’il était présidé par Mariano Rajoy, a perdu le pouvoir à la suite d’une motion de censure déclenchée par le scandale Gürtel, qui a permis à Pedro Sánchez d’accéder à la Moncloa en 2018. Ainsi, même si l’on dit que l’histoire ne se répète pas mais qu’elle rime, cette fois-ci, la situation ressemble beaucoup à celle d’alors, même si le verdict judiciaire est toujours en suspens et que le leader du PP n’ose pas présenter de motion de censure par crainte d’être battu.
Rappelons encore une fois que si la corruption est très ancienne dans l’histoire de l’humanité, c’est dans le cadre de la longue vague du capitalisme néolibéral qu’elle a atteint une extraordinaire extension mondiale par différents moyens, parmi lesquels s’est distinguée la généralisation des partenariats public-privé au profit des grandes entreprises. L’une de ses manifestations les plus visibles est la politique commerciale pratiquée par Donald Trump en fonction de ses propres intérêts, comme dans le cas récent de l’Arabie saoudite, ou ceux du complexe militaro-industriel américain par rapport à l’Union européenne.
Si nous nous référons à l’État espagnol, José Manuel Naredo a expliqué de manière synthétique la spécificité qui le caractérise :
les cas de corruption qui ont été détectés sont la partie émergée de l’iceberg de maux beaucoup plus répandus, hérités de la symbiose entre le capitalisme, un demi-siècle de despotisme franquiste et une transition politique qui a exclu les critiques du système afin de réorganiser, sous une nouvelle couverture démocratique, les élites du pouvoir qui continuent à prendre les grandes décisions et à favoriser les grandes entreprises dans le dos de la majorité [2]
C’est dans ce processus déjà long que s’est développé un néo-caciquisme, qui a connu son moment le plus critique dans la bulle immobilière qui a fini par éclater en 2008. Sous sa domination, les élites politiques ont pratiqué ce qu’Alejandro Nieto a défini comme les « astuces du pouvoir », c’est-à-dire la capacité des élites à contourner les contrôles légaux établis dans l’administration publique lors de leurs négociations avec les grandes entreprises corruptrices. Ces élites ont bénéficié à de nombreuses reprises des portes tournantes une fois qu’elles quittaient leurs fonctions publiques, en étant intégrées dans les conseils d’administration de ces entreprises ou d’autres, comme cela s’est également produit dans le secteur énergétique. Des pratiques qui, comme nous le voyons, ne cessent de se développer à l’ombre de la spéculation financière et de tant de mégaprojets basés sur la collaboration public-privé.
Nous avons un exemple clair de cela avec la famille Entrecanales, qui possède près de 60 % des actions d’Acciona, le principal corrupteur du réseau qui vient d’être découvert. Comme le rappelle Fonsi Loaiza, il s’agit d’une entreprise « résultant d’Entrecanales y Távora, l’une des entreprises de construction les plus favorisées par le dictateur Franco et qui a utilisé de la main-d’œuvre esclave républicaine », qui fait partie du Cartel des grandes entreprises de construction et très expérimentées dans la manipulation des adjudications publiques, comme l’a reconnu la CNMC (Commission nationale des marchés et de la concurrence) en juillet 2022.[3]
Par conséquent, la lutte contre la corruption (ou contre une « démocratie corrompue », comme le propose également Naredo, rejoignant un autre critique aujourd’hui décédé, José Vidal Beneyto) est une tâche de longue haleine qui, si l’on veut aller jusqu’au fond et ne pas se limiter aux pommes pourries, doit avoir une dimension anti-oligarchique et antisystémique.
L’échec d’un modèle césariste de parti et de gouvernement
Cette crise se produit en outre au sein d’un PSOE qui a muté sous le sanchisme en une organisation sous un leadership plébiscitaire fort et à la fois désidéologisé, dans une mesure encore plus grande que du temps de Felipe González, comme nous avons pu le voir lors du dernier Congrès de ce parti. Le désarroi et la déception que provoque ce scandale parmi sa militance déjà décroissante et, surtout, parmi son électorat vont être supérieurs à ceux qui ont pu s’exprimer dans le passé. Il est donc prévisible qu’un déclin difficilement réversible se produise lors des prochaines échéances électorales pour un parti qui a été un pilier fondamental du régime de la Transition depuis sa fondation.
Plus grande sera également la désaffection envers la politique parmi les classes populaires à mesure que la tendance à discréditer la politique en l’identifiant à celle que pratiquent les élites et, dans ce cas, à la gauche en général, continue de s’étendre sur les réseaux sociaux [4]. C’est pourquoi ce scandale nuit à l’ensemble des gauches et enhardis une extrême droite prête à se remobiliser dans les rues, comme nous le voyons déjà.
Dans ces conditions, et sans alternative crédible à la gauche du PSOE, c’est le bloc réactionnaire, représenté déjà dans de nombreux gouvernements et parlements autonomiques par le PP et Vox, qui profite du rejet croissant du sanchisme pour s’offrir comme alternative face à un gouvernement de coalition agonisant. De plus, ce gouvernement va bientôt devoir passer par l’épreuve de devoir se définir lors du prochain Sommet de l’OTAN qui se déroulera à La Haye sur les plans d’augmentation des dépenses militaires jusqu’à 5 % des budgets que son jusqu’alors vieil ami américain leur a exigé.
Les partis qui font partie de la coalition Sumar feraient mieux de renoncer à participer à un gouvernement qui prétend continuer comme si rien ne l’avait affecté avec ce scandale et présidé par quelqu’un qui a montré une passivité totale jusqu’au dernier moment face aux soupçons qui se répandaient sur son propre entourage. Si dans le passé il y avait déjà des raisons importantes pour cette rupture - comme celles liées à la nécropolitique migratoire, au Sahara, à la militarisation de l’UE ou à la distance entre la rhétorique et les faits concernant le génocide de l’État d’Israël à Gaza -, c’est maintenant un pas indispensable pour ne pas continuer à accompagner Pedro Sánchez dans une fuite en avant politiquement suicidaire.
Ainsi, la promesse de régénération démocratique que Pedro Sánchez a faite il y a un peu plus d’un an, après une parenthèse de réflexion de 5 jours, a fini par se transformer en tout le contraire, puisque cette fois elle affecte la direction de son propre parti. Car si à ce moment-là la régénération démocratique devait faire face aux secteurs réactionnaires de l’appareil d’État qui étaient en pleine offensive, non seulement il a démontré au cours de cette période un manque de volonté politique pour la mener à bien, mais avec ce scandale de corruption, la crédibilité du PSOE et la sienne propre pour cette tâche régénératrice ont été complètement dilapidées.
Contre le bloc réactionnaire, pour un virage à gauche
Nous savons également que ce ne seront certainement pas le PP et Vox qui viendront mettre fin à la corruption, puisque celle-ci se trouve dans leurs propres gènes franquistes et dans leurs liens avec la grande bourgeoisie. Mais c’est qu’en plus, dans le cas où ils arriveraient au gouvernement, comme nous le voyons dans d’autres pays, ce que ces partis essaieront d’imposer sera une involution réactionnaire sur tous les fronts.
Il est donc urgent de travailler à créer les conditions d’un nouveau cycle de mobilisations qui, suivant les exemples récents des luttes en défense de la santé, du droit à un logement décent ou de l’éducation et, surtout, de la lutte persévérante du peuple valencien dans la dénonciation des inondations de cet hiver, soient capables de faire face à cette offensive en allant au-delà des limites imposées par un gouvernement progressiste qui continue sans s’attaquer aux causes de la montée du bloc réactionnaire.
Le débat des prochaines semaines ne devrait donc pas porter sur la convocation d’élections ou sur l’exigence d’une question de confiance dans un parlement définitivement bloqué, même si nous ne pouvons pas être indifférents à ce qui pourrait résulter de chacune de ces options. Il est nécessaire de chercher dès maintenant la plus grande unité d’action possible pour faire face au bloc réactionnaire et pour cela les organisations syndicales et sociales en général doivent jouer un rôle fondamental. Mais cette tâche doit être unie à l’effort constant pour créer les conditions d’un virage radical à gauche tant sur le plan démocratique qu’écosocial et culturel sur la base d’un programme d’action qui parte des revendications qui surgissent d’en bas. Pour cela, il sera nécessaire de préserver l’autonomie stratégique et tactique de la gauche sociale et politique alternative de l’ensemble de l’État face à un gouvernement qui se montre impuissant face à l’offensive réactionnaire et qui va maintenant subir toutes les pressions possibles de la part des mêmes élites corruptrices pour qu’il contribue à une sortie qui garantisse la stabilité du régime.
Jaime Pastor est politologue et membre de la rédaction de la revue viento sur
– 1 “Las obras del informe de la UCO que ha tumbado a Cerdán : trece contratos por 637 millones y con fondos de la UE”, Antonio M. Vélez y Rodrigo Ponce de León, eldiario.es, 12/06/25.
– 2 José Manuel Naredo, Taxonomía del lucro, Siglo XXI, 2019, p. 108.
– 3 Fonsi Loaiza, Oligarcas, Akal, pp. 17-29.
– 4 Lo describe muy bien Isaac Rosa mediante la falacia de la conclusión apresurada en “A ver si se entiende mejor lo de Cerdán y el PSOE”, eldiario.es, 12/06/25.