
La tragédie a frappé lorsqu’un chauffeur de taxi-moto en ligne, Affan Kurniawan, a été tué après avoir été écrasé par un véhicule de combat de la brigade mobile Brimob [1] pendant les manifestations. Cet incident a été le catalyseur de la propagation des manifestations et a exacerbé la colère populaire dirigée contre l’État.
Le 31 août 2025, le président Prabowo Subianto [2] a répondu à la vague d’actions populaires qui avait déferlé sur différentes régions depuis le 25 août en recourant aux méthodes de manipulation caractéristiques de ce gouvernement.
Au lieu de reconnaître les échecs de l’État, il a choisi de classer les aspirations populaires en deux catégories, les manifestations « pures » et « impures », refusant de donner une réponse sérieuse à la répression policière et ne faisant aucune mention des manifestant.e.s qui ont perdu la vie à cause de la violence étatique.
De plus, il a qualifié de manière ambiguë les manifestations populaires d’« actions anarchiques », présentant les personnes qui ont manifesté leur opinion comme des menaces pour la stabilité de l’État. Pourtant, si Prabowo était véritablement attaché à la démocratie, il aurait dû répondre aux demandes du peuple. Ignorer cela ne fait que révéler encore plus clairement le visage militariste de Prabowo.
En date du 3 septembre 2025, 10 personnes ont été tuées lors de manifestations dans différentes villes. Des violences policières ont eu lieu à Jakarta [3] et Yogyakarta [4], tandis qu’à Makassar [5], l’incendie du bureau du Conseil régional des représentants du peuple DPRD [6] a également entraîné des pertes humaines. Des rapports d’origine locale font état de décès à Solo [7] et Manokwari [8], qui seraient dus à l’exposition aux gaz lacrymogènes employés massivement par les forces de sécurité. Outre les décès, le LBH-YLBHI [9] a recensé au moins 3 337 personnes arrêtées et 1 042 blessées et transportées à l’hôpital.
Les manifestant.e.s n’ont pas été les seules cibles : des journalistes et des auxiliaires de justice ont également subi des mauvais traitements de la part des forces de sécurité, comme cela s’est produit à Jakarta, Manado [10] et Samarinda [11]. Le 1er septembre 2025, peu avant minuit, Delpedro Marhaen, directeur exécutif de la Fondation Lokataru [12], a été arbitrairement arrêté par la police de Metro Jaya [13] dans les locaux de Lokataru. La police a inculpé Delpedro en vertu de l’article 160 du Code pénal KUHP [14] et de la loi sur les informations et les transactions électroniques UU ITE [15], des lois floues qui ont été utilisées pour criminaliser les militant.e.s et faire taire les critiques populaires. Ce type de comportement montre que la violence étatique ne vise plus seulement les voix populaires, mais aussi celles qui exercent des fonctions démocratiques de surveillance, de dénonciation et de défense. Les arrestations arbitraires semblent être devenues une pratique légitimée ; les manifestants sont arrêtés au hasard, avant même que les actions ne commencent. La police procède à des rafles systématiques à divers endroits, traquant et arrêtant les personnes qui ont l’intention de manifester. De telles actions violent non seulement la loi, mais portent aussi ouvertement atteinte à la démocratie.
Bizarrement, au lieu de réformer complètement l’institution, le président Prabowo Subianto a demandé au chef de la police nationale, le général Listyo Sigit, de donner des promotions spéciales aux policiers blessés lors des récentes manifestations. En même temps, l’impunité continue de régner au sein des forces de police, ce qui montre clairement que l’État est du côté des appareils répressifs, et pas de celui des personnes qui en sont victimes.
L’État devrait garantir la protection des libertés civiles et politiques conformément aux mandats constitutionnels et aux normes internationales en matière de droits humains. Pourtant, c’est le contraire qui se produit : l’État utilise son pouvoir pour faire taire les voix critiques par la criminalisation, l’intimidation et la violence à l’encontre des citoyen.ne.s qui exercent leurs droits. Kontras [16] a ouvert un guichet de dépôt de plaintes pour répondre aux nombreuses signalements de personnes disparues lors des manifestations du 25 au 31 août 2025. À ce jour, au moins 23 personnes sont signalées comme disparues et leur sort reste inconnu.
Cette situation révèle la pratique des disparitions forcées organisée par l’État, une pratique qui est strictement interdite par le droit international et qui ne peut être justifiée en aucune circonstance. Elle est encore aggravée par le fait que les campus universitaires, qui devraient être des lieux sûrs où la liberté académique et la liberté d’expression sont garanties, n’ont pas échappé à ce type de manœuvres d’intimidation. À l’université islamique de Bandung Unisba [17] et à l’université Pasundan Unpas [18], les forces armées et la police [19] ont tiré des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes, faisant des espaces universitaires la cible de la répression étatique.
La présence de soldats dans les espaces civils, en particulier lors de manifestations, avec leur équipement complet, des véhicules de combat et des armes à gros calibre, aggrave non seulement la situation, mais sème également la peur parmi la population. La présence militaire dans les espaces civils montre le visage de plus en plus militariste de l’État, loin des principes démocratiques. L’action d’aujourd’hui est une forme de protestation née du rejet de la violence et de la brutalité des unités TNI et Polri, ainsi que d’une affirmation des positions prises contre les méthodes militaires qui continuent d’être utilisées pour faire taire les voix populaires.
Nous rejetons le discours construit par le régime de Prabowo, qui associe les manifestations à des accusations de trahison et de terrorisme. MANIFESTER n’est pas un crime, mais un DROIT démocratique dont jouit chaque citoyen.ne. Interdire, restreindre ou dénigrer les manifestations est la manière la plus sournoise de réprimer la démocratie. Malheureusement, les manifestations populaires sont souvent réprimées par l’État avec violence, par l’intermédiaire de la police et de l’armée. Pourtant, les cris du peuple sont l’expression de la revendication de droits fondamentaux : des moyens de subsistance décents, un environnement sain et une véritable protection juridique. Au lieu de remplir ces obligations, l’État adopte des politiques qui perpétuent la confiscation des droits du peuple et l’exploitation des ressources naturelles.
Dans ces situations où l’État ne se range pas du côté du peuple, les femmes subissent le poids de différents éléments de vulnérabilité qui s’accumulent. La violence sexiste n’est jamais isolée, mais elle est exacerbée par le croisement des identités : femmes handicapées, femmes ayant des identités de genre et des orientations sexuelles variées, femmes issues de minorités religieuses, femmes issues de communautés autochtones et locales, femmes pauvres des villes et des villages, travailleuses migrantes et ouvrières, survivantes de conflits et de catastrophes. Chaque strate d’identité accroît les inégalités, tandis que l’État continue de manquer à son devoir de protection.
C’est pourquoi l’Alliance des femmes indonésiennes (API) exige que :
– le président Prabowo mette fin à toutes les formes de violence étatique, notamment en retirant les forces armées (TNI) et la police (Polri)
– le président Prabowo, le ministre de la Défense Sjafrie Sjamsoeddin [20] et le commandant des forces armées Agus Subiyanto [21] retirent immédiatement les troupes engagées aux côtés de la police dans le maintien de la sécurité et de l’ordre publics
– le chef de la police nationale Listyo Sigit démissionne immédiatement de son poste et que la police libère sans condition tous les membres de la communauté arrêtés
– le président Prabowo mette fin à toute forme de criminalisation à l’encontre de la population, des militant.e.s, des journalistes et des auxiliaires de justice, et libère sans condition toutes les personnes détenues
– Prabowo renvoie l’armée dans ses casernes et mette fin à toute forme d’implication de l’armée dans les affaires civiles
– la garantie intégrale des droits constitutionnels des citoyen.ne.s à se réunir, à s’associer et à exprimer leurs revendications en public sans intimidation ni violence
Alliance des femmes indonésiennes (API)
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