Chaque année, à partir de la fin de l’été, le même ballet recommence dans le ciel. Des millions d’oiseaux s’engagent vers le sud pour une épopée de plusieurs milliers de kilomètres. Mais en permettant aux chasseurs de continuer à tuer nombre de migrateurs, le gouvernement a décidé de n’accorder aucun répit à ces espèces en déclin.
Dernier exemple en date avec l’alouette des champs. Le 2 septembre, le ministère de la Transition écologique a publié un arrêté autorisant la chasse aux pantes — à l’aide de filets — de près de 100 000 alouettes dans quatre départements du Sud-Ouest (Landes, Gironde, Lot-et-Garonne et Pyrénées-Atlantiques). La pratique avait pourtant été interdite par le Conseil d’État en mai 2024, tant elle contrevient à la directive européenne « oiseaux » prohibant la capture massive sans distinction d’espèces, c’est-à-dire les techniques non sélectives.
La rage de tuer
Cette chasse, défendue au nom de la « tradition », est particulièrement cruelle : les alouettes sont attirées par les cris de congénères utilisés comme des « appelants ». Une fois au sol, elles se retrouvent prisonnières des filets. La décision du gouvernement est d’autant plus choquante que le passereau, qui dispose d’un répertoire fabuleux de plus de 600 notes, est en déclin.
« L’alouette des champs a perdu 25 % de ses effectifs en France en vingt ans, et 50 % au niveau européen depuis 1980, alerte Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). C’est vraiment la rage de tuer, d’autant que la chasse à tir est aussi autorisée pour cette espèce. »
Pour justifier sa décision, le ministère de la Transition écologique s’est appuyé sur une expérimentation menée durant l’automne et démontrant « une très forte sélectivité de la méthode ». Complètement faux, répond Allain Bougrain-Dubourg : « Cette expérimentation concerne un territoire très restreint et a été menée pour l’essentiel par des chasseurs, elle n’a rien de scientifique. » La LPO et l’association One Voice ont annoncé déposer un recours devant le Conseil d’État pour faire annuler la mesure.
La tourterelle aussi dans le viseur
La reprise de la chasse aux pantes de l’alouette n’est pas le seul recul en cette rentrée. La chasse à tir de la tourterelle des bois, suspendue depuis 2021, est de nouveau permise de fin août à février. Un arrêté publié le 29 août par le ministère de la Transition écologique autorise le prélèvement de 10 560 spécimens sur l’ensemble du territoire, pour la saison 2025-2026.
Le petit colombidé est pourtant une espèce protégée classée « vulnérable » au niveau mondial par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Le ministère s’est appuyé sur les conclusions d’un groupe de scientifiques au sein de la Commission européenne, le Groupe de travail sur le rétablissement des oiseaux, qui a pointé une amélioration de l’état de conservation de l’espèce en Europe et a ouvert la possibilité de rouvrir la chasse avec des plafonds pour les quatre pays chasseurs (France, Italie, Espagne et Portugal). Toutefois, cet avis n’est pas contraignant ; le Portugal ne l’a ainsi pas suivi, estimant que la reprise de la chasse était prématurée.
« C’est beaucoup trop tôt »
« La population était en train de se reconstituer, cela commençait à peine à aller un petit mieux, regrette Allain Bougrain-Dubourg. On ne laisse pas le temps à la tourterelle des bois de reprendre véritablement des forces, c’est beaucoup trop tôt. »
En 2019, la Commission européenne avait conseillé aux États membres de suspendre la chasse de cet oiseau, dont la population était en chute libre : -82 % entre 1980 et 2019, selon l’Office français de la biodiversité. Force est de constater que depuis cette suspension en France, en Espagne, au Portugal et en Italie en 2021, les effectifs allaient mieux. 2 millions de couples ont été recensés en Europe occidentale en 2024, soit 418 000 de plus qu’en 2021.
Le plafond pourrait être atteint en 24 heures
« Ces données prouvent que l’impact de la chasse est important, constate le président de la LPO. La tourterelle est aussi menacée par l’agriculture intensive et la disparition des haies, lieu où elle nidifie. Depuis 2021, on maintient le même modèle agricole et on poursuit la destruction des haies, le milieu naturel n’est pas devenu plus accueillant. »
Pour faire respecter ce quota de 10 560 tourterelles chassées, l’arrêté ministériel précise que chaque chasseur devra déclarer immédiatement tout oiseau prélevé sur l’application mobile ChassAdapt. Allain Bougrain-Dubourg doute sérieusement que ce quota soit respecté : « Il y a 930 000 chasseurs généralistes en France, le plafond pourrait être atteint dès le premier jour de chasse. D’autant que peu de chasseurs, à peine un tiers, utilisent cette application. »
Puisque la reprise de la chasse est autorisée par la Commission européenne, « celle-ci a autorité sur le droit français, cela ne sert à rien de contester cette mesure devant le Conseil d’État, précise le président de la LPO. En revanche, nous allons travailler avec la Commission européenne pour montrer que les populations françaises de tourterelles restent très fragiles ».
Pression des chasseurs
Si, pour la tourterelle des bois, les chasseurs ne semblent pas avoir eu besoin de faire pression sur le gouvernement pour obtenir la reprise de leur activité, ce n’est pas le cas pour la caille des blés, le fuligule milouin, le canard siffleur, la grive mauvis, la sarcelle d’hiver, le canard pilet et le canard souchet.
Rembobinons. En novembre 2024, la Commission européenne a enjoint les États membres à prendre « des mesures immédiates pour lutter contre le déclin des espèces et assurer leur rétablissement ». S’appuyant sur le groupe de travail pour la restauration des populations (TFRB), l’exécutif européen a préconisé un moratoire temporaire pour les quatre premières espèces citées et la réduction de moitié des prélèvements pour les trois autres. Le fuligule milouin a par exemple perdu 30 % de ses effectifs en seize ans, le canard siffleur la moitié en douze ans, la grive mauvis 19 % en dix ans…
« Les chasseurs se présentent comme de bons gestionnaires qui s’imposent des limites »
« Le ministère était au départ dans une logique de compromis, indique Dominique Py, responsable du dossier chasse et faune sauvage chez France Nature Environnement. Fin juin, son projet d’arrêté reprenait en partie les recommandations de Bruxelles, prévoyant un moratoire de trois ans pour le fuligule milouin et une réduction des périodes de chasse pour les autres espèces. »
De quoi déclencher l’ire de la fédération nationale des chasseurs et de son président Willy Schraen, lequel a dénoncé une « déclaration de guerre » de la part d’Agnès Pannier-Runacher, une ministre qu’il qualifie de « techno et hors-sol [...] qui s’affranchit des réalités scientifiques qui quantifient la dynamique de ces populations d’oiseaux pour afficher une posture politique plus verte que verte ».
Une pétition exigeant l’abandon du moratoire a été lancée. Très vite, leur revendication a été reprise par des parlementaires d’extrême droite ainsi que des membres socialistes et macronistes du groupe chasse et pêche de l’Assemblée nationale.
Des limitations qui n’en sont pas réellement
Sous pression, Agnès Pannier-Runacher a proposé le 16 juillet un nouveau projet d’arrêté où le moratoire sur le fuligule milouin disparaît pour être remplacé par un plafond de prélèvement de 5 000 individus. Même chose pour la limite de période des six autres espèces : à la place, le nouveau projet d’arrêté prévoit un prélèvement de 15 cailles des blés par jour et par chasseur, et de 15 canards par jour et par chasseur.
« Ces prélèvements maximums autorisés sont excessifs, dénonce Dominique Py. Ils ne sont jamais atteints en pratique : aucun chasseur n’arrive à tuer 15 cailles par jour, ni 15 canards. Les chasseurs utilisent ces prélèvements maximums obligatoires pour se présenter comme de bons gestionnaires qui s’imposent des limites, mais en réalité celles-ci n’ont pas d’effet. C’est un peu comme si une association d’automobilistes se présentait en champion de la sécurité routière en imposant une limite de vitesse à 200 km/h ! »
Finalement, le gouvernement n’a repris aucune recommandation de la Commission européenne, à l’exception de celle sur la tourterelle des bois, qui est favorable aux chasseurs.
Contacté, le ministère de la Transition écologique n’a pas répondu aux questions de Reporterre.
Jeanne Cassard
Europe Solidaire Sans Frontières


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