Les forces israéliennes tirent au canon à eau sur les habitants de la colonie de Kfar Darom à Gaza, qui s’étaient barricadés sur le toit de la synagogue lors de son évacuation, le 18 août 2005. (Zamir Yossi/GPO)

En août 2005, lorsque Israël a mis en œuvre son « plan de désengagement unilatéral » à Gaza, cela a été un choc brutal pour le mouvement des colons. Ce plan prévoyait le démantèlement de vingt-et-une colonies dans la bande de Gaza et de quatre autres dans le nord de la Cisjordanie, soit un total d’environ 9 000 colons déplacés. À l’époque, l’atmosphère dans le pays donnait l’impression qu’un point de non-retour avait été atteint : c’est le Premier ministre Ariel Sharon, pilier de la droite israélienne, qui a ordonné le retrait de l’armée israélienne et des colonies illégales des territoires palestiniens occupés.

Vingt ans plus tard, la manière dont Israël a procédé au retrait de ses colonies de Gaza – et en a ensuite analysé les conséquences – peut être considérée comme un tournant décisif dans la disparition du paradigme des deux États. C’était également un signe avant-coureur de ce qui est en train de le remplacer : non seulement la séparation d’avec les Palestiniens, relégués dans des bantoustans de plus en plus petits, mais aussi leur anéantissement et leur effacement.

Au cours de la décennie qui a suivi le retrait, le courant nationaliste religieux de la droite israélienne, avec le Likoud à sa tête, a réussi à ancrer profondément l’idée qu’un retrait des colonies ne pourrait jamais se reproduire. Ceci était comme un présage de la domination, depuis le 7 octobre, de positions longtemps considérées comme extrêmes, lorsque des responsables israéliens ont ouvertement plaidé en faveur de l’achèvement du nettoyage ethnique des Palestiniens qui n’avait pas été mené à terme lors de la Nakba initiale de 1948. Et après les attaques menées par le Hamas, c’est le camp national-religieux qui a été le plus rapide à se repositionner et à reconnaître une nouvelle fenêtre d’opportunité.

Très tôt, l’idée s’est imposée que, aussi tragique fût-il, le 7 octobre était le signe annonciateur d’une « ère messianique » et d’une « ère de miracles » — une intervention divine qui annonçait l’extension de la souveraineté juive sur la Terre d’Israël biblique et la venue du messie. Cette conviction a depuis été invoquée par les dirigeants des factions du Pouvoir juif et du Sionisme religieux, notamment par la ministre des Colonies et des Missions nationales, Orit Strook, ainsi que par des aumôniers rabbiniques de l’armée israélienne, des commentateurs dans les médias et d’autres personnalités.

Le parti Likoud et la classe politique, qui s’étaient employés à faire progresser l’annexion de facto de la Cisjordanie, avec des pogroms menés par les colons dans les villages cisjordaniens et l’intensification des vols de terres, voyaient désormais une occasion de réorganiser leurs priorités. Gaza n’avait plus besoin d’être cédée ; elle pouvait être repeuplée. Le nettoyage ethnique du XXI^e siècle pouvait être testé à Gaza avant d’être pleinement mis en œuvre en Cisjordanie.

« Gaza d’abord » renvoyait autrefois à la première mise en œuvre de la « Déclaration de principes » initiale entre Israël et l’OLP, dans laquelle l’Autorité palestinienne (AP) endossait pour la première fois son rôle de gouvernement autonome dans ce qui était défini comme les zones palestiniennes de Gaza, ainsi que dans la ville de Jéricho en Cisjordanie. La deuxième version de « Gaza d’abord » faisait référence au plan de désengagement de Sharon, en partant de l’hypothèse optimiste que Gaza serait le premier d’une longue série de sites dont Israël se retirerait.

Le Premier ministre israélien Ariel Sharon visite la région de Yad Binyamin, dans le centre d’Israël, qui devrait accueillir les colons agriculteurs déplacés de la bande de Gaza, le 5 juillet 2005. (Amos Ben Gershom/GPO)

Mais aujourd’hui, « Gaza d’abord » a pris un nouveau sens : Gaza comme le lieu inaugural de la rédemption messianique et de l’anéantissement palestinien, ou, dans le langage israélien actuel, de la « victoire totale ». Il n’est pas surprenant que l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem mette en garde dans son dernier rapport contre le fait que ce qui se passe à Gaza est déjà prévu pour la Cisjordanie.

La trajectoire suivie entre 2005 et 2025 n’était pas préétablie, mais ses caractéristiques sont désormais claires : ce sont les conséquences des choix politiques qui ont été faits à l’époque et qui doivent aujourd’hui être annulés ou remodelés. La description de cette trajectoire met en évidence la nécessité d’une nouvelle perspective politique pour l’ensemble de la Palestine historique, qui devra venir de l’extérieur du consensus sioniste.

Les Palestiniens devront jouer un rôle central dans la définition de cette perspective, et devront le faire en dehors des contraintes rigides imposées par l’Autorité palestinienne, qui se maintient grâce au statu quo. Il est indispensable que la politique et la société israéliennes parviennent à dépasser ce moment génocidaire, ce qui dépendra en grande partie de l’interaction entre la dynamique interne et les pressions externes. Mais tant que ces dernières resteront limitées et inexistantes, il est peu probable que la première change de manière significative.

 Renforcer l’emprise des colons

Pour comprendre la portée du désengagement israélien de Gaza, il est utile de rappeler comment Ariel Sharon lui-même a défini les intentions qui sous-tendaient cette décision en 2005. Bien qu’ignorée par ses détracteurs de droite, Sharon a explicitement déclaré que le retrait unilatéral avait été conçu pour contrebalancer les pressions en faveur d’un retrait plus important dans les zones les plus importantes sur le plan biblique et stratégique de la Cisjordanie occupée par Israël.

Le projet de Sharon pour les Palestiniens était celui d’une soumission permanente sans droits politiques, sur le modèle des bantoustans de l’Afrique du Sud de l’apartheid, qui l’avaient impressionné lors d’une visite au début des années 1980.

« Le plan de désengagement consiste à geler le processus de paix », a commenté Dov Weissglass, chef de cabinet de Sharon. « Vous empêchez la création d’un État palestinien et vous empêchez toute discussion sur les réfugiés, les frontières et Jérusalem. Le désengagement fournit la quantité de formaldéhyde nécessaire pour qu’il n’y ait pas à s’engager dans un processus politique avec les Palestiniens » .

Lors de ce retrait, Israël n’a retiré que 9 000 des quelque 430 000 Israélien.ne.s qui vivaient alors au-delà de la Ligne verte (y compris à Jérusalem-Est), se retirant d’un territoire qui ne représentait que 6 % de ce qui constituerait un futur État palestinien s’il était fondé sur les frontières de 1967 — et seulement 1,5 % de ce qui était la Palestine mandataire britannique en 1948.

Des soldats israéliens ferment la porte du passage de Kissufim vers le centre de Gaza après le départ des dernières troupes du bloc de colonies de Gush Katif, le 12 septembre 2005. (Moshe Milner/GPO)

À l’époque, les critiques palestiniens ont attiré l’attention sur les objectifs déclarés des dirigeants israéliens : le désengagement visait à renforcer le contrôle d’Israël ailleurs, et non à faire progresser l’État palestinien ou les droits des Palestiniens. Pourtant, les cercles sionistes de centre-gauche en Israël ont ignoré ces voix et ont apporté leur soutien total au plan de Sharon.

En effet, la réaction du camp sioniste dit libéral résonne de manière assez familière : au lieu de mettre à profit le désengagement pour œuvrer en faveur d’une paix plus globale avec les Palestiniens, ils ont mis l’accent sur la nécessité de réunifier les rangs juifs-israéliens. L’ère du tzav piyus (appel à la réconciliation intérieure entre Juifs en Israël) a été déclarée, que les Palestiniens aillent au diable. Cela a révélé la profondeur de la mentalité coloniale qui traversait la majeure partie du camp sioniste, où les politiciens libéraux ont constamment été incapables de remettre en question, au nom des principes, la poursuite de la colonisation israélienne et le déplacement des Palestiniens en Cisjordanie, se contentant de formuler des objections sur des questions de localisation et d’ampleur.

C’est peut-être une erreur d’attribuer au mouvement des colons une intelligence stratégique, une clairvoyance et une patience excessives. Néanmoins, au royaume des aveugles, le borgne est roi. Dans ce cas précis, la communauté des colons nationalistes religieux avait au moins une idéologie cohérente et une stratégie à long terme pour la soutenir ; les sionistes libéraux n’avaient apparemment ni l’une ni l’autre.

Dans les années qui ont suivi le désengagement, le mouvement des colons a ciblé l’armée et le système judiciaire comme autant de terrains où il pourrait renforcer son emprise, encourageant ses jeunes membres à devenir les futurs officiers de l’armée israélienne. Cette stratégie porte aujourd’hui ses fruits : on peut citer, par exemple, la nomination l’année dernière d’Avi Bluth à la tête du Commandement central de l’armée, chargé de superviser la Cisjordanie, ou la récente nomination du chef de police à la retraite Yoram Halevy à la tête du COGAT, l’unité du ministère de la Défense responsable de la politique civile en Cisjordanie et à Gaza.

Son objectif n’était pas de repeupler Gaza, ce qui semblait irréaliste, mais plutôt de faire en sorte que l’enclave devienne un exemple à ne pas suivre. Le retrait territorial ne devait pas être perçu par l’opinion publique israélienne comme la voie vers un avenir meilleur : il devait être présenté comme un désastre.

À cet égard, la droite israélienne a remporté plusieurs victoires importantes. Elle a veillé à ce que le retrait lui-même soit aussi coûteux que possible en imposant un programme de compensation démesuré pour les colons, dont le coût est estimé à 9 milliards de shekels pour le Trésor israélien, dans le but de dissuader tout retrait similaire des colonies de Cisjordanie. Le mouvement des colons a également créé un climat de conflit interne imminent, en diffusant largement l’idée que tout déplacement forcé massif de Cisjordanie conduirait à une guerre civile.

Des Israélien.ne.s regardent l’exposition de photographies de presse sur l’évacuation des colonies de Gush Katif à Gaza en 2005, prises par des photographes du quotidien israélien Yediot Aharnot, à la Première Gare à Jérusalem, le 21 juillet 2015. (Hadas Parush/Flash90)

Par ailleurs, il est tout aussi peu cynique d’affirmer qu’Israël a délibérément créé les conditions propices à une nouvelle résistance armée palestinienne en renforçant son contrôle sur la Cisjordanie et en resserrant le blocus de Gaza, comme pour dire : « Vous voyez, quitter Gaza n’a fait que rendre les choses pires. » C’est ainsi que s’est imposé le discours selon lequel Israël a fait un geste de paix en se retirant de Gaza et a reçu des roquettes en échange – un mensonge qui a été repris presque mot pour mot, plutôt que contesté, par les dirigeants de l’opposition, de Ehud Barak à Ehud Olmert. Si l’on examine la politique israélienne à l’égard des Palestinien.ne.s depuis 2005 et qu’on la compare à l’affirmation selon laquelle Gaza aurait pu devenir le « Singapour du Moyen-Orient », la malveillance de ce mensonge devient indéniable.

 Absence d’opposition sioniste

Le succès du camp national-religieux tient en grande partie au fait qu’il était pratiquement le seul à avoir un plan, de la détermination et une volonté de sacrifice. En revanche, le centre-gauche israélien était déjà largement vidé de sa substance en 2005. Le sionisme travailliste avait cessé d’offrir une alternative gouvernementale en termes concrets, et il n’existait aucun discours cohérent expliquant efficacement en quoi le retrait unilatéral de Gaza visait à bloquer la paix plutôt qu’à la faire progresser.

Les responsables politiques de centre-gauche n’ont pas cherché à démontrer que le Hamas, ayant participé aux élections, pouvait et devait être intégré au processus politique, comme cela avait été le cas pour d’innombrables mouvements de résistance armée dans les luttes de libération à travers l’histoire. Ils ne se sont pas non plus opposés au siège et au blocus de Gaza, à la punition collective de la population civile, ni aux multiples vagues de destruction et de tueries qui ont précédé octobre 2023. En effet, lorsque l’ancien leader de la (prétendue) opposition israélienne, Benny Gantz, a lancé sa carrière politique en décembre 2018, il a cherché à asseoir sa légitimité en mettant en avant ses propres exploits en matière de massacres à Gaza.

Lorsque Benjamin Netanyahou a été brièvement remplacé par le « gouvernement du changement » autoproclamé de Naftali Bennett et Yair Lapid en juin 2021, Israël a continué à renforcer sa présence en Cisjordanie, à criminaliser les ONG palestiniennes et à répéter les mêmes accusations éculées d’antisémitisme contre les principales organisations de défense des droits humains qui qualifiaient Israël d’État d’apartheid. Le gouvernement Bennett-Lapid a repris les assassinats extrajudiciaires et les agressions dans toute la Cisjordanie, tout en poursuivant le blocus de Gaza. Meretz et le Parti travailliste étaient partenaires dans ce gouvernement du non-changement.

Netanyahou est revenu au pouvoir en décembre 2022 avec le gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël. Mais en réponse à son projet de réforme judiciaire, les manifestations massives en faveur de la démocratie qui ont balayé Israël ont ignoré les plus graves atteintes qui lui est portée : l’’occupation et l’apartheid.

Après le 7 octobre, un seul discours a trouvé un large écho en Israël, depuis les extrémistes marginaux de la jeunesse des collines jusqu’aux hautes sphères de l’armée : quoi qu’on ait fait aux Palestiniens, ils l’avaient bien cherché. Prenons l’affirmation de l’ancien chef des renseignements de l’armée, Aharon Haliva, selon laquelle tuer 50 000 Palestinien.ne.s, y compris des enfants, était « nécessaire », ou la promesse de l’ancien chef d’état-major de l’armée, Herzi Halevi faite à sa femme au matin de l’attaque : « Gaza sera détruit ».

Le chef d’état-major de l’armée israélienne, Herzi Halevi, lors d’une visite au commandement nord, le 28 novembre 2023. (David Cohen/Flash90)

Cela ne veut pas dire que n’importe quelle autre société aurait réagi avec retenue face au choc et à la douleur causés par un événement tel que celui du 7 octobre, ainsi qu’aux violations du droit international auxquelles se sont livrés des groupes terroristes palestiniens. Mais c’est seulement dans ce contexte plus large que l’on peut comprendre comment un tel éventail de la classe politique sioniste s’est empressé de se lancer dans un génocide et de le soutenir.

Aujourd’hui, la nature colonialiste du sionisme a été mise à nu dans toute son étendue. Considérons les lignes directrices adoptées par la coalition au pouvoir, qui stipulent que « le peuple juif a des droits exclusifs et inaliénables sur toutes les parties de la Terre d’Israël ». Il s’agit là d’une position quasi consensuelle parmi les politiciens sionistes, de la coalition d’extrême droite au pouvoir à la soi-disant opposition : lors d’un vote à la Knesset l’année dernière, aucun député sioniste n’a voté en faveur de la création d’un État palestinien, tandis que seule une poignée de députés juifs de gauche ont exprimé leur désaccord lors d’un autre vote déclaratif en juillet 2025 visant à annexer la Judée et la Samarie.

Regardez ce qui se passait en Cisjordanie avant le 7 octobre : les nouveaux pouvoirs conférés aux autorités civiles sur les territoires occupés, sous la direction du ministre des Finances Bezalel Smotrich et du ministère de la Défense, ou la collusion étroite et continue entre l’armée et les colons armés. Ou rappelez-vous ce qu’Israël a fait à Gaza pendant près de deux décennies, notamment un blocus dans le cadre duquel l’armée israélienne avait déjà calculé l’apport calorique nécessaire à la population palestinienne pour la maintenir au seuil de survie. Il n’y avait qu’un pas entre le calcul du seuil de disette et sa mise en œuvre.

 Fragmentation intentionnelle

Sept ans après le désengagement de Gaza, j’avais écrit dans une tribune libre publiée dans le New York Times qu’« en se détachant de seulement 1,5 % du territoire, Israël a considérablement rééquilibré ce qu’on appelle « l’équation démographique » (le rapport entre le nombre de Juifs et d’Arabes dans les zones sous son contrôle) ». Le retrait d’Israël lui avait ainsi permis, à ses yeux, de se décharger de sa responsabilité envers une partie importante de la population palestinienne, qu’il considérait désormais comme définitivement séparée du reste de l’espace physique et démographique palestinien.

Malgré les protestations de la droite sioniste contre le retrait de Gaza, cela a permis à Israël d’absorber beaucoup plus facilement le reste des territoires tout en conservant une majorité démographique juive, avec moins de Palestinien.ne.s à expulser, à confiner dans des bantoustans relevant de l’apartheid ou à forcer à émigrer « volontairement ». Au cours de ces sept premières années, comme je l’ai souligné, près de 94 000 colons s’étaient installés en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, provoquant le déplacement de milliers de Palestinien.ne.s.

La colonie de Maale Adumim en Cisjordanie, le 9 décembre 2012. (Lior Mizrahi/Flash90)

C’était mon argument à l’époque. Aujourd’hui, après le 7 octobre, la colonisation israélienne à Gaza est de nouveau à l’ordre du jour – et pourquoi pas, si le monde reste les bras croisés pendant que Gaza est rayée de la carte, sa population enfermée dans un camp de concentration à la frontière égyptienne, tandis que le président américain appelle à la création d’une Riviera de Gaza palestinienne sous contrôle israélien ?

En d’autres termes, le 7 octobre était considéré comme une occasion de résoudre la question démographique, non pas en séparant Gaza du reste de la Palestine, mais en anéantissant et en expulsant sa population, avant de repeupler le territoire. Nous ne pouvons que commencer à saisir l’ampleur du nombre de personnes tuées et mutilées, souvent avec des traumatismes qui bouleversent leur vie ; Gaza compte désormais le plus grand nombre d’enfants amputés au monde. Au-delà du bilan humain, Gaza est physiquement réduite en poussière. Ces pertes ont un effet dévastateur à l’échelle nationale et affectent fondamentalement toute réflexion sur l’avenir de la Palestine et des Palestiniens.

Tout aussi importante, bien que plus inconfortable, est l’absence d’un mouvement de libération nationale palestinien unifié doté d’une véritable stratégie et d’une réelle capacité d’action. Cette carence est l’héritage le plus dévastateur de l’ère qui a suivi le désengagement, renforçant la paralysie politique palestinienne à un moment où l’unité était plus que jamais nécessaire.

Il est assez courant pour un régime colonialiste de diviser pour mieux régner sur une population indigène colonisée. En effet, Israël a une longue histoire d’assassinats ou d’emprisonnements de dirigeants palestiniens « difficiles » et de renforcement du pouvoir de ceux qui se montrent « coopératifs ». En 2005, l’unité et la mobilisation de la première Intifada avaient été supplantées par le processus d’Oslo, qui a engendré de profondes divisions parmi les Palestinien.ne.s. Le mouvement national palestinien a perdu sa vitalité et sa capacité à définir son programme, coincé par le cadre limité et la cooptation de l’autonomie gouvernementale d’Oslo dirigé par l’Autorité palestinienne. La deuxième Intifada était, dans une large mesure, une réponse à cette réalité.

Le désengagement de Gaza a accentué cette fragmentation, créant une brèche qu’Israël continue d’exploiter. Le degré de division politique et de marginalisation palestiniennes – aujourd’hui mis en évidence de manière terrifiante par le génocide perpétré par Israël à Gaza – peut, dans une large mesure, être compris comme le résultat d’un plan sioniste, mais perpétué par les dirigeants palestiniens eux-mêmes.

La résistance armée de la deuxième Intifada, emmenée par le Hamas mais pas exclusivement, a été largement considérée par les Palestinien.ne.s comme ayant déclenché la première évacuation israélienne des colonies des territoires palestiniens occupés. Cela contrastait fortement avec l’échec de l’Autorité palestinienne dirigée par le Fatah, et le fait qu’Israël ait explicitement et intentionnellement exclu les négociateurs de l’Autorité palestinienne du processus de retrait de Gaza a renforcé ce message. Sans surprise, lors des élections qui ont suivi, le Hamas a obtenu la majorité des voix et la majorité au Parlement (un résultat favorisé par les divisions internes du Fatah et la mauvaise stratégie des candidats dans les circonscriptions plurinominales).

Des Palestiniens pénètrent dans la colonie de Gush Katif après son évacuation, le 12 septembre 2005. (Flash90)

Mais le mensonge le plus souvent répété ces deux dernières années est que cette guerre est nécessaire pour chasser le Hamas du pouvoir à Gaza. En réalité, le Hamas est prêt à céder le pouvoir à Gaza depuis des années. C’est plutôt la direction de l’Autorité palestinienne, en suivant la voie tracée par Israël, les États-Unis et d’autres alliés occidentaux, qui a été le plus grand obstacle à l’unité palestinienne et donc à l’instauration d’un nouveau pouvoir à Gaza. Elle reste absente au moment où son peuple en a le plus besoin et est désormais complètement discréditée aux yeux de la population.

Il existe bien sûr d’autres facteurs qui expliquent l’évolution de la politique israélienne et palestinienne au cours des 20 dernières années. Le principal d’entre eux est le fait que les États-Unis et les autres alliés occidentaux d’Israël ont évité de demander des comptes à Israël et de lui imposer des sanctions pour ses crimes, ce qui, associé aux accords d’Abraham, n’a fait que récompenser l’extrémisme israélien. Mais d’un autre côté, le contexte géopolitique est en train de changer. La primauté des États-Unis s’estompe à mesure que nous nous dirigeons vers un monde multipolaire dans lequel les pays du Sud, y compris les puissances moyennes, exerceront une influence accrue, ce qui pourrait remettre en cause l’équilibre des pouvoirs si les Palestiniens adoptaient une approche politique à la hauteur de la situation.

 Un dernier lancer du dé de la partition

Le désengagement d’il y a 20 ans annonçait en grande partie ce qui s’est produit de la manière la plus horrible au cours des deux dernières années. Cela montre la nécessité de procéder à une remise à plat fondamentale — et non pas de nature technique — tant dans les cercles israéliens que palestiniens.

Par exemple, tout en s’opposant vigoureusement au déplacement des Palestiniens de Gaza, il faut également reconnaître que Gaza ne peut plus être reconstituée après sa destruction. De même, il faut reconnaître que Gaza avant 2023 n’a jamais été « reconstituée », car la densité de population déjà invivable était elle-même le résultat d’un nettoyage ethnique qui nécessite réparation.

Le sort des Palestinien.ne.s qui survivent à Gaza ne devrait pas se limiter à un nouveau départ vers un pays tiers ou à résider indéfiniment parmi les décombres. Il existe un endroit plus naturel pour la réhabilitation de beaucoup d’entre eux : les terres dont eux-mêmes et la plupart de leurs familles ont été expulsés en 1948.

Le retrait unilatéral de Gaza devrait peut-être être compris comme le dernier coup de dés de la partition. Il aurait déjà dû être clair que ce projet reposait sur les mêmes principes que ceux qui avaient attiré l’attention d’Ariel Sharon dans l’Afrique du Sud de l’apartheid : le régime ethno-supremaciste de la colonie de peuplement dictant les conditions de la capitulation et d’une existence de seconde zone aux colonisés des bantoustans.

Il ne s’agit pas ici d’appeler à remplacer un résultat de nettoyage ethnique à somme nulle par un autre. Ni la population juive israélienne ni la population arabe palestinienne ne vont disparaître. Mais les choix d’aujourd’hui ne peuvent se limiter au génocide ou à l’apartheid. Si la désobéissance civile des colons a été la réponse efficace au retrait unilatéral de 2005, alors rien de moins n’est exigé de ceux qui sont prêts à s’opposer à l’anéantissement de Gaza par Israël en 2025.

Daniel Levy

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