Historien, spécialiste de l’histoire de l’immigration et des minorités aux Etats-Unis, je figure sur la liste des chercheurs ayant accepté de participer à l’Institut d’études sur l’immigration et l’intégration et à son « groupe de travail ». Cet institut doit être installé au sein du Haut Commissariat à l’intégration (HCI) par le ministre de l’immigration et de l’identité nationale, Brice Hortefeux, le 8 octobre.
Une note technique du HCI donne la liste des membres du « groupe de travail » et fixe les missions de cet institut, présidé par Hélène Carrère d’Encausse, dont on se souvient des propos violemment racistes sur la polygamie. Il s’agit, je cite, de « constituer un guichet unifié des études sur l’immigration et l’intégration donnant des moyens élargis à la recherche et finançant des recherches d’université (...) et de laboratoire ; de déterminer des champs et des sujets pertinents ». Plus spécifiquement, le groupe de travail est censé « dégager les grands axes de recherche en cours ou souhaitables et de les soumettre au Conseil scientifique », lequel sera chargé de « valider ou d’orienter les grands axes de recherche et de veiller à la neutralité et à la qualité des recherches qui seront rendues publiques ».
Bien qu’une lettre du 19 septembre du HCI accompagnant la note technique indique que cet institut sera indépendant, cet objectif louable semble contredit par cette autre mention : « Cet institut a pour vocation de constituer un guichet unifié rassemblant des chercheurs, des universitaires, des administrations et des entreprises privées qui commanditent des recherches sur ces questions. » On ne sait ce que signifie un « guichet unifié » pour la recherche, mais il y a lieu d’être inquiet pour l’indépendance de la recherche sur ces questions.
Au vu des orientations actuelles du ministre de tutelle - qui a provoqué au printemps la démission en bloc des historiens de la Cité de l’immigration [1] -, on ne peut que s’interroger sur la manière dont ce futur institut choisira les recherches à subventionner et sur le sens qui sera donné à la « neutralité et la qualité » de ses recherches. Pour ma part, il est inconcevable, vu certains des noms qui figurent sur cette liste et la façon dont les missions sont définies, de voir le mien y être associé. J’y vois une contradiction directe avec l’indépendance du travail universitaire mais aussi avec les orientations scientifiques et théoriques partagées par la majorité des chercheurs travaillant sur ces questions. Leur travail ne consiste pas à valider le programme sur lequel le gouvernement actuel a été élu ni à ériger de manière officielle avec leur caution scientifique l’immigration en problème pour la société française.
La circulation de ces documents par voie électronique parmi les chercheurs est d’autant plus susceptible de porter atteinte à la réputation scientifique et professionnelle de ceux qui y figurent soit à leur insu soit contre leur gré.
J’ai ainsi eu la désagréable surprise d’apprendre par des collègues choqués ou perplexes que je ferais partie du groupe de travail de cet institut, sans avoir jamais été officiellement sollicité. Il va de soi que si je l’avais été, j’aurais refusé de participer à cette aventure et d’assister à son installation par un ministre pour qui les immigrés sont par définition un problème et une menace pour l’identité nationale de mon pays. La désinvolture du procédé alliée aux inquiétudes soulevées par les missions et la personnalité des dirigeants de cet institut ne peuvent qu’accroître le divorce entre les chercheurs spécialistes de ces questions et un ministre en quête de relais d’opinion à sa botte.
Que mon nom et ma fonction soient utilisés pour légitimer la persécution dont sont aujourd’hui victimes les immigrés dans ce pays me révolte autant en tant que chercheur qu’en tant que citoyen.